Calvin et bible

Le contenu de la spiritualité de Jean Calvin : la Parole de Dieu

Nous avons parcouru trois chemins de la spiritualité de Calvin. Si l’axe de sa spiritualité est de répondre à l’amour divin, sa ligne directrice de ne plus s’appartenir soi-même, mais à Dieu, le troisième chemin est de faire de la Parole de Dieu son trésor.

 « (La sainte Ecriture) est le principal bien et le plus précieux que nous ayons en ce monde. Vu que c’est la clef qui nous ouvre le Royaume de Dieu pour nous y introduire, afin que nous sachions quel Dieu nous devons adorer, et à quoi il nous appelle…C’est l’école de toute sagesse, voire sagesse surmontant tout entendement humain, et que les anges même ont en admiration. C’est le miroir auquel nous contemplons la face de Dieu, pour être transfiguré en sa gloire. C’est le spectre royal par lequel il nous gouverne comme son peuple, et la houlette par laquelle il nous donne pour enseigner qu’il nous veut être pasteur. C’est l’instrument de son alliance qu’il a faite avec nous, passant obligation volontaire par sa bonté gratuite d’être conjoint d’un lien perpétuel. C’est le témoignage de sa volonté bonne, par lequel nous avons repos en nos consciences, sachant où gît notre salut. C’est la pâture unique de nos âmes, pour les nourrir à la vie éternelle ».[1]

Sola et tota Scriptura

Comme Luther, Calvin insiste sur le « Sola Scriptura », « L’Ecriture seule ». S’il reconnaît l’autorité de l’Eglise et de sa tradition, qui est une norme dérivée (norma normata) l’Ecriture est la norme de toutes les normes (norma normans)

« Le premier point de la chrétienté, c’est que l’Ecriture est toute notre sagesse, et qu’il nous faut écouter Dieu qui y parle, sans y rien ajouter ».[2]

Deux « prédications » chaque dimanche dans chacune des trois Eglises de Genève, plus l’enseignement du catéchisme à midi ; cinq prédications pendant la semaine. Voilà ce que prévoient les Ordonnances de 1541.[3] Tous y sont astreints, également les écoliers.[4] L’Eglise réformée est une Eglise de la Parole ; et ceci sera accentué par l’échec de Calvin d’instaurer une sainte cène fréquente. La prédication de la Parole de Dieu est la marque par excellence de l’Eglise, absolument nécessaire. Sans elle, « que serait-ce sinon une confusion horrible, sinon que l’enfer serait ouvert, et tout soit dissipé en ce monde ?…Ce serait couper la gorge à l’Eglise et mettre tout en désolation ».[5]

Plus que Luther, Calvin insiste sur l’autorité et l’inspiration de toutes les Ecritures : « Tota Scriptura ». Alors que Luther avait une lecture christocentrique qui l’a conduit à exclure la lettre de Jacques, parce qu’il n’y découvrait pas la justification par la foi, le lecture de Calvin – également christocentrique – prend au sérieux toute l’Ecriture, vu son inspiration. Elle constitue un tout et doit être interprétée par elle-même.

Sobria discipula

Dès la première édition de l’Institution Calvin insiste sur la prédication comme fonction principale des pasteurs.[6] Ils ne doivent pas imiter l’Eglise de Rome, qui a fabriqué moult doctrines et spéculations théologiques.

Au contraire l’Eglise est la « sobria discipula », l’épouse fidèle suspendue aux lèvres de son divin époux : « elle n’est pas sage en soi-même, elle ne songe rien de soi…Là où elle est appuyée de la Parole de Dieu, elle ne vacille ni doute rien, mais en grande certitude et constance elle s’y repose sûrement  ». Et dans la mesure où elle renonce aux artifices de la sagesse humaine, elle ne peut faillir.[7] Calvin lui-même dit lorsqu’il monte en chaire : « Je dois être écolier, et la Parole qui procède de ma bouche me doit servir aussi bien qu’à vous, ou malheur sur moi ».[8] L’Eglise est à l’exemple de Marie, modèle d’écoute, dont même les Apôtres sont les élèves.[9]

Cependant, si Calvin insiste sur l’autorité des Ecritures, il cite abondamment – plus que Luther – les Pères de l’Église et les docteurs médiévaux, en particulier Bernard de Clairvaux. Il renvoie aux « homélies des anciens docteurs, c’est à dire [à] leurs sermons populaires ». (Institution chrétienne, abrégé en IC 3,6,1). Il veut aussi montrer que la Réforme est en continuité avec la vraie Tradition, alors que l’Eglise romaine de son temps n’est plus vraiment catholique.

Jésus-Christ, saveur des Ecritures

La lecture que fait Calvin de l’Ecriture, et partant sa prédication, est clairement christocentrique. Il est LA Parole.

Se référant au commentaire de Bernard Clairvaux sur le Cantique des Cantiques, il dit, de manière savoureuse, que le nom de Jésus est « huile et confiture, sans laquelle toute viande est sèche ;…sel pour donner goût et saveur à toute doctrine, qui autrement serait fade. Bref, c’est miel en la bouche, mélodie aux oreilles, liesse au cœur ; médecine à l’âme ; et que tout ce qu’on peut disputer n’est que fadaise, si ce nom n’y résonne ».[10]

Lire l’Ecriture pour y chercher les indications qui nous donneront « la façon de bien régler notre vie, afin que ceux qui désirent se convertir à Dieu ne s’égarent en affection inconsidérée ». (IC 3,6,1) Mais la lire surtout rencontrer le Christ, car « tout ce qui se pourrait penser ou désirer de bien est trouvé en ce seul Jésus-Christ », écrit-il dans la Préface au Nouveau Testament.

Par le Christ, Dieu nous justifie ; il est le modèle du chrétien appelé à la sainteté : «Dieu s’est réconcilié avec nous en son Christ, aussi il nous a constitués en lui comme un exemple et patron auquel il faut nous conformer (Rm 6.4-6,18)… Christ, nous réconciliant avec Dieu son Père nous est donné comme un exemple d’innocence, duquel l’image doit être représentée en notre vie ». (IC, 3,6,2)

La vie spirituelle, un chemin

Dans la ligne de l’Imitation de Jésus Christ, fameux livre de spiritualité du début du 16e siècle, Calvin invite à un regard constant sur la sainteté du Christ (IC 3,6,3), la sainteté étant l’objectif de notre vocation (IC 3,6,2). La sanctification du chrétien est ainsi un chemin , voire une « course », où il ne faut pas perdre de temps :

« Toute cette vie est comme une course, de laquelle quand nous viendrons à la fin, le Seigneur nous fera ce bien que nous parviendrons à ce but que nous poursuivons maintenant, bien que nous en soyons encore loin ». (IC, 2,7,13)

Faire la volonté de Dieu est un voyage. Nous devons y tendre chaque jour un peu mieux : « Certes il nous faut avoir ce but devant nos yeux, auquel toutes nos actions soient compassées : c’est de tendre à la perfection que Dieu nous commande… Allons chacun selon son petit pouvoir, et ne laissons point de poursuivre le chemin que nous avons commencé. Nul ne cheminera si pauvrement qu’il ne s’avance chaque jour quelque peu pour gagner le pays ». (IC 3,6,5)

Pour trouver la patience nécessaire et avoir « les cœurs élevés en haut pour aimer le Christ » il faut s’accoutumer à méditer continuellement la résurrection bienheureuse et la béatitude future (IC 3,25,1).

Au cours de ce saint voyage, il faut progresser, malgré toutes les embûches, et ne pas mépriser ceux qui trébuchent. Au contraire tous doivent d’encourager les uns les autres : « Persévérons et progressons régulièrement sur la voie du Seigneur. Ne perdons surtout pas courage, si nous n’avançons qu’un petit peu. Bien que cela ne corresponde pas à notre souhait m tout n’est cependant pas perdu, si aujourd’hui est mieux qu’hier», (IC 6,3,5)

Disciple de la Croix

Or, cheminer avec la Parole, c’est avant tout être disciple de la croix. Chaque chrétien est appelé à vivre continuellement dans la logique pascale de la mort à la résurrection, dont le baptême est le signe : « Il est besoin que notre fierté soit domptée et matée sous la discipline de la croix ».[11]

Pour Calvin, lire l’Ecriture, c’est en particulier Jésus crucifié, qu’il découvre aussi dans les vallées de larmes de ce monde, comme il l’écrit souvent dans ses lettres, consolant ses correspondants atteints de toutes sortes de maux : « C’est puisque nous cherchons Jésus-Christ qu’il nous convient attendre de le trouver crucifié partout où nous irons en ce monde ».[12] « Qu’il vous souvienne…que, partout où nous irons, la croix de Jésus-Christ nous suivra ».[13]

Son ministère genevois est une croix permanente. Dans une lettre à Guillaume Farel, il se confie : « Je recommence à apprendre ce que cela signifie de vivre à Genève ! Me voici au milieu des épines ».[14]    

Une spiritualité solide donne sens à la souffrance.[15] Calvin la comprend comme une communion avec les souffrances du Christ, dont « la vie n’a été qu’une croix permanente » (IC 3,8,1). Calvin n’a pas été épargné par les épreuve : santé fragile, deuils familiaux, exil : « La vie humaine est environnée et quasi assiégée de misères infinies » (IC 1,17,10s). Il souligne combien Dieu nous rejoint dans nos épreuves : il les transforme en grâce (3,8,1), elles nous rendent lucides sur nous-mêmes (3,8,3), nous stimulent à chercher la volonté de Dieu (3,8,6).

Une lecture conciliaire

Un dernier point au sujet de ce troisième chemin de la spiritualité de Calvin. Contre l’anarchie doctrinale dont il suspecte les anabaptistes et contre les « libertins spirituels » qui ajoutent leurs « rêveries » aux Ecritures, Calvin estime nécessaire un magistère ecclésial.

Déjà dans l’Ancien Testament, argumente-t-il, les lévites occupaient cette fonction.[16] Calvin s’en prend aux interprétations privées, qui dissolvent le « lien de l’unité que Dieu veut être gardé inviolable », alors que l’interprétation des Ecritures doit se faire dans la communion de l’Eglise.[17]

Il est nécessaire en particulier de distinguer les points fondamentaux des Ecritures des points secondaires, lesquels sont disputés entre les Eglises, mais ne rompent pas leur unité.[18]

Ce n’est que de manière collégiale que l’interprétation du vrai sens de la Parole de Dieu peut être donnée. Sur le plan local, dans la Genève de Calvin, les cinq pasteurs de la ville se réunissent chaque semaine avec ceux de la campagne pour des « conférences des Ecritures », afin de « conserver pureté et concorde de doctrine entre eux ».[19]

Pour juger des points controversés de la foi, un « concile de vrais évêques », comme celui de Nicée, aura beaucoup plus de poids que si chacun prenait une résolution personnelle pour la prêcher ensuite au peuple. « Ç’a été la façon ordinaire de conserver l’unité des Eglises, depuis le commencement ».[20]

Toutefois nul concile, ni décision de synode n’ont une autorité souveraine : « Le premier point de la chrétienté, c’est que l’Ecriture sainte est toute notre sagesse, et qu’il nous faut écouter Dieu qui parle là, sans y rien ajouter ».[21]


[1] Préface à la Bible de Genève. 1551

[2] Corpus Reformatorum. Ioannis Calvini opera quae supersunt omnia. 1887, (abrégé en CR) 26, 131

[3] CR 10, 15-30 ; Cf. Higman, Francis, La diffusion de la Réforme en France. Genève, Labor et Fides, 1992, p. 117

[4] Jean Cottret, Calvin. Biographie. J.C. Lattès. 1995, p. 264

[5] CR 27, 27 Sermon LXX sur Deut. 10,8-11.

[6] CR 1, 216

[7] Institution de la Religion Chrestienne. Edition de 1541, Paris, Belles-Lettres, 1939, 4, 169-171

[8] CR 34, 424

[9] CR 46, 111 ; « Ainsi, à l’exemple de la Vierge nous apprenons de tellement écouter ce qui nous est enseigné par la Parole de Dieu, et de la lire avec un zèle, que ce soit pour lui donner un tel siège en nos cœurs, que là elle prenne racine », écrit Calvin au sujet de Marie disant à Cana : « Faites tout ce qu’il vous dira ! » (CR 46, 482)

[10] IC 2,16,1 ; Bernard de Clairvaux, Cantique des Cantiques, Sermon 15,6

[11] Des Scandales, 117

[12] Lettre à Monsieur et Madame de Falais. F. Bonali-Fiquet (éd), Genève, Droz, 1991, 66 : 5 août 1545

[13] Lettres françaises. J. Bonnet (éd), Paris, Meyrueis, 1854, Vol. I, 303, 10 juin 1549.

[14] CR 11, 719, 31 mai 1544

[15] Voir les belles pages sur ce thème dans Gill Daudé, Prier quinze jours avec Calvin, Nouvelle Cité, Bruyères-le-Chatel, p. 101-106

[16] IC IV, 1,5

[17] Ibidem

[18] La notion de hiérarchie des vérités, qui jouera un rôle si important dans l’ouverture de l’Eglise catholique romaine à l’oecuménisme à Vatican II (Unitatis redintegratio, 11), apparaît déjà chez Calvin : « Tous les articles de la doctrine de Dieu ne sont point d’une même sorte. Il y en a certains dont la connaissance est tellement nécessaire que nul n’en doit douter, non plus que d’arrêts ou de principes de la chrétienté…Il y en a d’autres qui sont en dispute parmi les Eglises, et néanmoins ne rompent pas leur unité…Ce sont les paroles de l’Apôtre, que si nous voulons être parfaits, il nous faut avoir un même sentiment ; au reste, que si nous avons quelque diversité, Dieu nous révèlera ce qui en est (Phil. 3,15) ». IC 4, 1,12.

[19] Ordonnances, 1541, Registres de la Compagnie des pasteurs de Genève (1964) 3

[20] IC 4,9,13

[21] CR 26, 131


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