Broye Prilly

Le débat autour de la Toussaint dans le protestantisme

« Commémorer les prophètes et des martyrs est reconnu de plus en plus par toutes les Églises, comme un élément intégral de la spiritualité chrétienne », affirme Lukas Vischer. Il estime que les évolutions catholiques par rapport à la vénération des saints – ils ne portent plus ombrage à la médiation unique du Christ dans le culte – et celles des protestants qui sont revenus du rejet radical par rapport à toute forme d’évocation de la « nuée des témoins », sont des facteurs de rapprochement œcuménique. (0)

Mais que font les réformés de la Toussaint ? A vrai dire, ils peinent à réintégrer cette fête, qui se réclame d’une haute antiquité.1 Ce ne sont pourtant pas les initiatives qui ont manqué. Une publication d’Église et Liturgie a invité, en 1939, à une commémoration de la Toussaint et des défunts.2 Elle a proposé deux nouveautés en terrain réformé :

  •  Elle estime que la fête de la Réformation (premier dimanche de novembre) et la Toussaint ne s’excluent pas au calendrier de l’Église. Les protestants devraient redécouvrir la Toussaint et étendre la commémoration des témoins du Christ à tous les siècles, ne pas la limiter aux réformateurs du 16e siècle, ce qui était (et reste) la pratique courante dans les Églises réformées.3
  • Elle invite à consacrer le 2 novembre à une commémoration des défunts. Église et Liturgie avait déjà publié en 1931 un formulaire pour le « Souvenir des morts».4 Plusieurs paroisses célébraient alors ce souvenir, le dernier dimanche de l’année ecclésiastique.

Contre ce papier d’Église et Liturgie, la faculté de théologie de Lausanne publia un Avis critique, qui illustre bien les réticences réformées sur la commémoration des défunts et des saints témoins.5  Résistances qui perdurent jusqu’aujourd’hui. Elle met en garde contre le danger lié au « culte des morts ». Il faut résister, écrit-elle, au mouvement actuel qui voudrait réintroduire la mémoire des défunts. Elle cite Augustin : « Si l’on veut honorer la mémoire de Pierre, il faut avant tout pratiquer ses préceptes, et non pas se rendre en pèlerinage dans une basilique ».

De plus, l’Avis voit dans la proposition d’Église et Liturgie « un parti pris d’entrer dans une tradition qui n’est pas la nôtre ; une volonté de sortir de la ligne proprement réformée…Parce que nous avons le souci du véritable œcuménisme, nous croyons devoir rester nous-mêmes ».

Les propositions d’Église et Liturgie trouvèrent cependant un écho auprès de Max Thurian6 et Richard Paquier[7], qui demandent de réintégrer la Toussaint dans l’année liturgique. Plus récemment Jean-Baptiste Lipp a repris l’idée d’Église et Liturgie de conjoindre la Toussaint à la fête de la Réformation et d’en faire une célébration œcuménique : « Une Toussaint œcuménique sera peut-être célébrée un jour dans toutes les Églises ici-bas. Alors il n’y aura certainement plus de Dimanche de la Réformation, sinon peut-être un Dimanche des Réformations, placé sous le signe de la communion de tous les saints ».[8]

De même Lukas Vischer souligne la signification œcuménique de cette célébration de « tous les saints », connus de Dieu seul, innombrables et ne pouvant se limiter aux saints du calendrier d’une Église particulière.[9]

Alors que plusieurs Églises ont introduit un « dimanche de l’Église persécutée », à ma connaissance, la Toussaint n’a pénétré, pour le moment, dans aucune liturgie réformée francophone, alors que des Églises réformées d’autres pays l’ont introduite.[10]

Cependant, l’Office divin de Crêt Bérard propose des prières et des lectures bibliques pour le 1er novembre, la fête de « Tous les saints témoins » : « L’Église fête en ce jour la famille innombrable de ceux qui sont déjà entrés dans la joie du Royaume: non seulement les témoins connus, mais tous ceux que le Christ déclare bienheureux pour avoir mis leur espérance en lui seul et conformé leur vie à l’Évangile. Dans la prière et dans l’espérance, nous sommes solidaires de tous les croyants de tous les temps ».[11]

Image:  Un témoin du renouveau liturgique et artistique protestant au 20e siècle: la fresque de Louis Rivier (Temple de Broye à Prilly), représentant « tous les saints » acclamant le Christ.

Notes

(0) Commemorating Witnesses and Martyrs of the Past, John Knox, Genève, 2006, p. 17. Sur l’évolution catholique romaine, cf. André Haquin, L’Église catholique romaine et les saints après Vatican II. En A. Barnard, P. Post, E. Rose (Eds) : A Cloud of Witnesses. The Cult of Saints in past and present. Peeters, Leuven, 2005, pp. 275-282. Pour une discussion oecuménique récente, voir l’ouvrage de Foi et Constitution : « A Cloud of Witnesses. Opportunities for Ecumenical Commemoration. » Faith and Order Paper, no. 209, Genève, 2009.

[1] Au 4e siècle déjà, Chrysostome parle d’une fête de « tous ceux qui ont souffert le martyr dans toute l’oikoumene »

[2] Rapport théologique sur la commémoration de la Toussaint et des trépassés. Église et Liturgie, 1939.

[3] Sur le dimanche de la Réformation, cf. Liturgie du dimanche pour le temps ordinaire, Communauté des commissions romande de liturgie, 1986, p. 210. Max Thurian, Joie du ciel sur la terre, p. 121. La revue Unité des chrétiens, avril 2008, consacrée au « Pèlerinage, chemin d’œcuménisme », invite à la découverte du « Culte du désert », commémoration des martyrs huguenots, le 1er dimanche de septembre.

[4] Liturgie de communion, II. Eglise et Liturgie, 1931, p. 15 et 53ss.

[5] Avis du conseil de la faculté de théologie sur le Rapport théologique relatif à la commémoration de la Toussaint et des Trépassés présenté par « Eglise et Liturgie. Eglise nationale évangélique réformée du Canton de Vaud, Annexe à la circulaire No. 622, 1939

[6] « La Toussaint (1er novembre) est la fête de tous les saints, de tous les fidèles qui ont glorifié Jésus-Christ sur la terre, si petite que fût leur foi. Elle rend vivante au cœur de l’Église la réalité de cette communion des saints qui unit en Jésus-Christ tous les membres de son corps, les vivants et les morts, l’Église militante et l’Église triomphante. Ces saints, l’Église rend grâces à Dieu de les avoir donnés. Le temps de l’Église ne serait pas complet sans la Toussaint. » (Joie du ciel sur la terre, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1946, p. 121)

[7] « Il est légitime que l’Église mette à part un jour pour évoquer la grande nuée des témoins dont nous sommes environnés (Hébr. 12,1) et pour remercier le Seigneur d’avoir suscité pour nous tant de frères et de sœurs aînés, dont l’exemple nous stimule. Ils ne sont pas morts, mais ils sont vivants en Dieu (Luc 20,38) : ils sont la vivante couronne du Christ Roi. Pour nous, toute invocation des « saints » est exclue, mais l’évocation de leur vie et de leur témoignage et une bénédiction dont l’Église ne saurait se priver sans dommage. (Traité de Liturgique, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1954, p. 101)

[8] Novembre, une constellation de fêtes pour dire la communion des saints : et si l’on simplifiait ? Vie et Liturgie, 1997, No. 32. p. 10s et Foyers mixtes, No 100/oct. 1995, p. 21

[9]Commemorating Witnesses and Martyrs of the Past, John Knox, Genève, 2006, p. 44.

[10] Ainsi l’Église presbytérienne des États Unis : ses Book of Common Worship and Daily Prayer comportent des prières et des lectures bibliques pour ce jour (www.pcusa.org/ideas/05fall/saints.htm). L’Église protestante d’Hollande inclut dans sa liturgie de 1998 les anniversaires de Jean-Baptiste, Michel et tous les anges, et la Toussaint (Cf. A Cloud of Witnesses. Opportunities for Ecumenical Commemoration. » Faith and Order Paper, no. 209, Genève, 2009, p. 35)

[11] L’Office divin de Crêt-Bérard, Labor et Fides, Genève, 1987, p. 287. Crêt Bérard a été précédé par l’Office divin d’Eglise et Liturgie, 1961, p. 236s et l’Office de Taizé. 2e édition, 1963, p. 392

 


Publié

dans

par

Étiquettes :