Luther rose

La rose et le lys du Christ ! La spiritualité de Martin Luther

Le 5 juillet 2017, j’ai participé à un moment historique pour les Eglises catholique et protestantes. C’était dans l’Eglise de Wittenberg, où Martin Luther a prêché la Réformation la plus grande partie de sa vie. Une déclaration commune sur le sens de la justification par la foi a été signée entre les Eglises catholique, luthérienne, méthodiste et réformée.

 Cela a été un grand pas en avant vers davantage d’unité visible entre chrétiens. Se mettre d’accord sur un point qui a divisé la chrétienté au 16e siècle est source de grande espérance.

En deux lignes : lorsque nous croyons de tout notre coeur dans le Christ vivant nous recevons l’Esprit saint qui nous transforme et devenons de ouvriers de justice et de paix ![1]

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  1. La spiritualité de Luther est centrée sur le Christ mort et ressuscité.

 

Cette signature a eu lieu devant l’autel de la réformation peint par Lukas Cranach. Il met en scène Luther annonçant le Christ crucifié et ressuscité qu’on rencontre dans l’Evangile, le baptême, la sainte cène et la vie fraternelle (sujet des trois tableaux du haut).cranach wittenberg altarpiece

La première chose à dire sur la spiritualité de Luther est qu’elle regarde au Christ crucifié.

Mais elle est aussi centrée sur le Christ ressuscité. L’autre côté du tryptique de l’Eglise paroissiale de Wittenberg le représente.

Luther est tendu vers le Christ mort et ressuscité. C’est lui qui l’a saisi un jour. Le connaître est la passion de sa vie.

La Réformation, c’est avant tout remettre Jésus-Christ au centre de notre vie et de celle de l’Eglise. Un mouvement permanent car nous ajoutons sans cesse des superstructures.

 

  1. La conversion du coeur, racine de sa spiritualité

Dans le chœur de cette même église, la première des 95 thèses de Martin Luther est écrite en dessus de trois arcades : « En disant : Faites pénitence (Matthieu 4:17), notre Maître et Seigneur Jésus-Christ a voulu que la vie entière des fidèles fût une pénitence. »

De l’autre côté du chœur, la 62e thèse est également écrite : « Le véritable trésor de l’Église, c’est le très-saint Évangile de la gloire et de la grâce de Dieu« .

Pour Luther la phrase latine « Poenitentiam agite » – ‘faites pénitence’ ne signifie pas une action pénitentielle externe, mais un appel à un changement de cœur. Le problème est le cœur de l’homme qui doit être transformé.

 

La rose : symbole de sa spiritualité

C’est ce qu’exprime le symbole préféré de Luther : la rose qui contient un cœur traversé par La Croix du Christ (voir image plus haut).

Quand Luther parle de pénitence, il parle de ce changement du cœur, de ce cœur nouveau qui est annoncé par le prophète et qui advient lorsque nous reconnaissons nos fautes et mettons notre confiance dans le Christ.

Quand le coeur est touché, notre vie change, fleurit comme une rose et porte un fruit de justice. 

C’est ainsi qu’il faut comprendre l’appel du Christ tout au début de son ministère : « Changez radicalement (convertissez-vous, repentez-vous), car le règne de Dieu s’est approché » (Matthieu 4,17)

C’est chaque jour qu’on à se convertir de mieux en mieux à l’Evangile de Jésus-Christ.

Martin Luther l’a exprimé par cette maxime : « Simul semper justus et peccator ». « toujours à la fois juste et pécheur ». Mais il ajoutait aussi – et on l’oublie parfois …et penitens : « Toujours à la fois juste, pécheur et pénitent ».

C’est chaque jour que nous avons à changer notre coeur, combattre contre le mal en nous et autour de nous. Ce mal qui est aussi dans les structures d’injustices de ce monde.

La spiritualité de Luther est dans la ligne de celle de l’apôtre Paul qui dit avec force la nécessité de cette lutte contre l’injustice en soi et dans le monde : « Je ne fais pas le bien que je veux, mais je pratique le mal que je ne veux pas » (Romains 7,19). Tout le chapitre 7 de la lettre aux Romains montre que le chrétien doit mener quotidiennement ce combat contre le mal, en lui est hors de lui.

Comme c’est chaque jour que nous demandons le pain et pardon quotidiens dans la prière du « Notre Père« . 

Dans une rencontre œcuménique à Fribourg sur le Saint Esprit, en juin 2017, on a demandé à l’archevêque anglican de Canterbury, Justin Welby, de dire un cadeau qu’il a reçu de l’Eglise catholique et à l’archevêque catholique de Vienne, le cardinal Christoph Schönborn, de dire un cadeau que les Eglises protestantes ont donné à l’Eglise catholique. Ce dernier a répondu : l’appel à la repentance !

Dans la première interview qu’il a donnée, le pape François a répondu à cette question  « Qui êtes-vous » ? en disant : « Je suis un pécheur » !

Il est dans la ligne de l’apôtre Paul ! Il a pris au sérieux l’appel à la repentance lancé par Jésus et relayé par Luther.

 

Jusqu’où Luther a-t-il vécu cet appel la repentance ?

Luther et les juifs A la fin de sa vie Luther a vécu une tragique dérive antisémite avec en particulier son pamphlet « Des juifs et de leurs mensonges » (1943). Il y appelle à incendier les synagogues, à raser leurs maisons, à confisquer leurs livres de prière, à interdire aux rabbins d’enseigner et finalement à les expulser !

De nombreuses demandes de pardon ont été formulées au sujet de l’attitude de Luther contre les juifs, en particulier en Allemagne, où on est de plus en plus conscient qu’on ne peut célébrer le jubilé de la Réforme sans repentance.

Il apparaît que Luther est resté imperméable à l’Evangile en ce qui concerne sa relation avec les juifs.

Son attitude montre qu’il a tordu le sens de l’Evangile, puissance de salut « pour le juif d’abord, mais aussi pour le non-juif » (Romains 1,16) !

Dans ses écrits sur les juifs, Luther a été aveuglé par les idées de la société de son temps. Cela nous pose la question : dans les pressions culturelles et idéologiques des sociétés dans lesquelles nous vivons, quelles sont nos zones d’ombre que l’Evangile doit encore illuminer ?

« Il n’est pas admissible d’avoir une relation naïve à Luther », affirme avec raison Thomas Kaufmann.[2] Il ne s’agit pas seulement de le critiquer, mais il faut aussi se demander quels sont nos lieux de conversion aujourd’hui pour que l’Evangile de la grâce et de la réconciliation nous transforme.

Pour cela il faut sans cesse « embrasser le Christ » par la foi, comme nous y invite sans cesse Luther.

 

  1. Embrasser le Christ par la foi

Un jour Martin Luther a été saisi par le Christ.

Pour découvrir sa spiritualité, il faut considérer sa foi. Luther a été un chantre du salut par la foi. Son œuvre illustre ce slogan de la foi protestante : « sola fide ». « Par la foi seule ». Que représente pour lui la foi ?

La foi naît de l’écoute de la Parole.

La foi vient de ce que l’on entend. L’Esprit Saint agit dans la mesure où la Parole de Dieu est annoncée. « Dieu ne veut donner à personne l’Esprit et la foi, sans la Parole extérieure et le signe (les sacrements) » (WA 18,136,31)

La foi est une connaissance du Christ et une confiance du cœur.

Luther distingue une foi historique qui ne sauve pas, d’une foi salutaire par laquelle le croyant met toute sa confiance en Jésus-Christ.
« Si elle est une foi authentique, elle est une confiance assurée du cœur et un ferme assentiment, par quoi Christ est saisi » (WA 40,I,228,12-229)

La foi, c’est embrasser et saisir le Christ

Tableau SibiuLuther parle de manière très vivante, la foi c’est embrasser le Christ. C’est accueillir son amour, les mains vides, qui ne peuvent que saisir ce que Dieu donne.

J’aime ce tableau dans la cathédrale luthérienne de Sibiu en Transylvanie qui dit cela de manière très vivante et illustre très bien la spiritualité de Luther.

On y voit des bras qui embrassent la Croix de Jésus.

Les deux textes cités sont la parole de Jésus : « Venez à moi, vous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai du repos ». (Matthieu 11) et une citation du prophète Esaïe sur le serviteur souffrant, le juste qui a souffert pour les coupables (chap. 53).

La foi, c’est venir à lui, déposer son injustice au pied de sa croix et recevoir sa justice : « Christ, saisi par la foi et habitant dans le cœur, est la justice chrétienne à cause de laquelle Dieu nous répute justes et nous donne la vie éternelle » (WA 40,I,228,28-30)

La foi accueille la déclaration d’amour de Dieu : il nous dit tu es aimé, tu es beau et bon, tu es dans la vérité, si tu embrasses le Christ. En une ligne, Luther le dit d’une magnifique manière :

« Car en effet, les pécheurs sont beaux parce qu’ils sont aimés, ils ne sont pas aimés parce qu’ils sont beaux » (Controverse tenue à Heidelberg, 1518, 185, thèse XXVIII)

 

La foi est une expérience du Christ en nous et du Saint Esprit

Quand le Christ est ainsi embrassé, il vient habiter en nous. Alors nous pouvons chercher et faire ce qui est beau, bon et vrai. Ce n’est plus nous qui vivons, mais lui en nous :

« Il est le nouvel hôte de la conscience qui vient y habiter lui seul. Là où il se tient, la loi, le péché, la colère, la mort n’ont plus de place, il n’y a que grâce, justice, bonheur, vie, il n’y a qu’une confiance filiale envers un Père apaisé, favorable et propice » (WA 40,I,262,26-29)

Pour Luther, la vraie spiritualité chrétienne, c’est faire vivre le Christ en nous. Comme Paul le disait déjà : « Ce n’est plus moi qui vit, c’est Christ qui vit en moi » (Galates 2,20).

Alors le S. Esprit vient aussi vivre en nous : « Le Saint Esprit inscrit dans nos cœurs des affirmations plus certaines et plus fortes que notre vie même et que toute expérience » (WA 18,605,32)

 

  1. Une spiritualité priante

Si la foi est créée par l’annonce de la Parole de Dieu, la prière est sa réponse. Son exercice est pour Luther aussi vital que le pouls. La vraie foi s’exprime par une prière sincère et persévérante Elle est une force qui vient à bout de tous les obstacles.[3]

Le réformateur a une grande confiance dans la promesse de Jésus : « Si deux d’entre vous se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit au Père, cela leur sera accordé » (Mat 18,20) :

« Quoi qu’il advienne, cela adviendra ou arrivera par la prière, qui est la seule impératrice dans les affaires humaines. Par elle, nous obtiendrons tout ; nous dirigerons tout ; nous corrigerons les erreurs ; nous tolérerons ce qui peut être corrigé ; nous vaincrons tous les maux ; nous maintiendrons toutes les bonnes choses, ainsi que nous l’avons fait jusqu’à présent et que nous avons expérimenté la force de la prière » (WA Br n. 3461 :9,89,12-16).

Prier c’est présenter à Dieu nos besoins matériels et spirituels, dit-il dans le commentaire du Notre Père, qui est la norme de toute prière. A réciter plusieurs fois par jour.

Prier c’est invoquer Dieu dans les épreuves et crier vers lui quand on prend conscience de ses fautes : « Ce cri n’est autre qu’un désir très fort et très grave de la grâce de Dieu, désir qui naît en l’homme à moins qu’il ne voie dans quel abîme il gît » (Œuvres I, Labor et Fides, p. 73.)

Prier c’est faire nôtre la volonté de Dieu. Luther le dit dans une de ces formules saisissantes dont il a le secret : « Si ce que nous voulons n’advient pas, adviendra cependant ce qui est meilleur » (WA Br n. 1611 :5,413,61s)

Luther avait une vive conscience que la prière est une arme contre un ennemi qui fomente sans cesse la division. Le lecteur découvre avec étonnement que cet aspect apparaît sans cesse dans ses textes : « Nous devons savoir que notre abri et notre entière protection consistent uniquement dans la prière. Car nous sommes bien trop faibles contre le diable, sa puissance et sa suite, qui nous assaillent de telle sorte qu’ils pourraient assurément nous fouler aux pieds » (Œuvres VII, Labor et Fides, p. 106.)

Le modèle du priant est Marie dans son humilité, dit Luther dans son commentaire sur le Magnificat. L’humilité est le signe de la vraie prière. « La vraie humilité ne sait jamais qu’elle est humble, car, si, elle le savait, elle tirerait orgueil de la contemplation de cette belle vertu » (Œuvres, Labor et Fides, III, p. 34)

Luther commençait chaque journée par un long temps de prière – trois heures selon ses contemporains. Comme Paul il appelle le chrétien à prier sans cesse : « Là où est le chrétien, là est le Saint Esprit qui ne fait rien d’autre que de prier sans discontinuer » (WA 45, 541, 27s).

Comment prier quand on est distrait, un des plus grands obstacles ? Luther nous livre sa pratique dans un livret de 1535 – Une manière simple de prier : « D’abord, quand je sens que des occupations ou des pensées étrangères m’ont rendu froid et m’ont ôté l’envie de prier…je prends mon petit psautier, je cours dans ma chambre ou, si c’en est le jour et l’heure, à l’église parmi la multitude, et commence par réciter, de bouche, pour moi-même, les Dix commandements, la Foi (c’est-à-dire le Symbole des Apôtres) et, si j’en ai le temps, quelques paroles du Christ, de Paul ou des Psaumes, tout comme le font les enfants. C’est pourquoi il est bon de faire de la prière la première occupation, au début du jour, et la dernière, le soir » (Œuvres VII, Labor et Fides, p. 198.)

 

  1. Une spiritualité de la croix

 

« Seule l’expérience fait le théologien », écrit Luther. Pour lui, la spiritualité a toujours un lien avec la vie. Au sujet des théologiens spéculatifs il écrit : « Ils ne savent pas de quoi ils parlent ». (WA 5,209,25-27)

Ceux-ci ne sont pas de vrais théologiens, car ils n’ont pas fait l’expérience des choses dont ils traitent. En effet, on devient théologien à travers un chemin de vie et la souffrance, non pas à travers des lectures.

Nous avons déjà vu combien la croix du Christ est centrale dans la pensée de Luther. Il en fait le cœur de sa prédication et il appelle le croyant à l’embrasser.

C’est pourquoi il écrit : « La croix du Christ est l’unique instruction sur les paroles de Dieu, l’unique théologie vraiment authentique » (WA 5,217,2s)

Et par « croix », il entend non seulement celle du Christ mais aussi nos croix et nos souffrances.

Sa spiritualité est donc une spiritualité de la croix.

La vitalité d’une spiritualité se manifeste par la capacité qu’elle a de donner un sens à la souffrance, à traverser les déserts, à affronter les moments critiques de notre vie.

Et c’est ce que nous offre la spiritualité de Luther. Il nous invite à vivre une « sagesse de la croix ».

Cette sagesse nous apprend qu’avant d’être comblés des dons de Dieu, nous devons nous vider de nous-mêmes, avant d’être élevés, nous devons nous abaisser et expérimenter notre néant.[4]

Cette sagesse de la croix nous fait comprendre que nous avons à être délivrés de notre repliement sur soi (« incurvatio in se »). [5] Elle nous fait prendre conscience que nous ne pouvons pas trouver le fondement de notre vie en nous-mêmes et dans ce que nous faisons.

Cette sagesse nous fait désespérer de nous-mêmes pour nous attacher avec foi et espérance à Dieu.

 

  1. L’admirable échange

 

Dans une lettre à Georg Spenlein, un confrère augustinien (8 avril 1516), Luther écrit sa compréhension de la foi chrétienne, après avoir fait la découverte de la justification par la foi. Il s’agit de se mettre à l’école de la Croix.[6]

Il faut demander au Christ de nous l’enseigner, à savoir comment vivre les deux relations les plus fondamentales de notre vie : celle au Christ et celle avec le prochain.

Dans sa grâce Dieu nous délivre du repliement sur soi et nous donne de vivre l’admirable échange entre Christ et nous.

Cet échange doit aussi advenir entre nous, car nous aussi avons à devenir un « Christ pour l’autre », comme il l’écrit dans son traité sur la Liberté du chrétien : « un chrétien ne vit pas en lui-même, mais en Christ et dans son prochain : en Christ par la foi ; dans le prochain par l’amour ».

Ce double échange a donc deux étapes : l’échange avec le Christ par la foi et l’échange avec le prochain par l’amour.

Le grand risque de la vie spirituelle est celui de l’autosuffisance devant Dieu, d’ignorer la justice de Dieu qui nous est donnée de manière surabondante et gratuite en Christ, écrit-il à G. Spenlein.

Le repliement sur soi est le problème humain le plus fondamental. Il faut donc se détacher de nous-mêmes et faire du Christ notre centre.[7]

Voici l’échange : si nous embrassons sa croix, Jésus-Christ prend sur lui notre infidélité et notre culpabilité et nous donne sa fidélité et son innocence.

Nous devons lui dire : « Toi, Seigneur Jésus, tu es ma justice, tandis que moi je suis ton péché ; tu as pris sur toi ce qui est mien, et tu m’as donné ce qui est tien ; tu as pris sur toi ce que tu n’étais pas et tu m’as donné ce que je n’étais pas ».

 

La rose et le lys du Christ

La justification par la foi nous conduit ensuite, dit Luther à Spenlein, à vivre un autre échange:  avec nos prochains, cette fois. Grâce au Christ nous pouvons supporter avec patience nos frères indisciplinés et errants et à faire nôtre leurs péchés, et à ce que le bon en nous devienne leur.

Il cite l’apôtre Paul qui appelle à l’accueil réciproque comme le Christ nous accueillis (Rom 15,7) : « accueille les frères encore ignorants et errants comme Jésus-Christ t’a accueilli toi-même. Supporte avec patience ; fais de leurs péchés les tiens propres ; et si tu as quelque chose de bon, communique-le leur » !

Ce que le Christ a fait pour nous à la croix, nous sommes appelés à le faire avec nos prochains : « Toi aussi, si tu as l’impression d’être meilleur, ne le considère pas jalousement comme un trésor qui t’appartiendrait, mais vide-toi de toi-même et oublie ce que tu es. Sois comme un des leurs afin de les porter ».

Comme le Christ s’est vidé de tout pour nous rejoindre, nous avons à nous vider de nos prétentions devant les autres.

La spiritualité de Martin Luther est donc une spiritualité kénotique ou une spiritualité du vide de soi par amour du Christ. Une spiritualité de la désappropriation, pour reprendre un terme cher à Maurice Zundel.

Elle est même doublement kénotique : elle nous appelle à nous vider de toute autosuffisance devant Dieu (kénose de la foi), et de nous vider de tout sens de supériorité devant les autres (kénose de l’amour).

La foi en Dieu s’exprime donc par une vie nouvelle caractérisée par une nouvelle relation avec notre prochain. Le chrétien se met à son service par amour au lieu de le regarder de haut.

Sa vocation est d’être « la rose et le lys du Christ » parmi les épines, c’est à dire de toujours témoigner de la foi, de l’espérance et de l’amour du Christ, quelles que soient les circonstances, surtout dans l’adversité qu’il ne faut pas fuir. [8]

 

Conclusion

La spiritualité de Luther est une spiritualité kénotique.

Elle a appelle à une conversion quotidienne, comme Luther l’affirme dans sa première thèse.

Quelles sont les parties de ma vie qui ont besoin encore d’être évangélisées ?

Qu’est-ce qui résiste à l’action de l’Esprit saint ? Qu’est ce qui dans notre culture et le « Zeitgeist » dans lequel nous vivons devient « ennemi de la croix du Christ » (Phil 3,18)

Ce sont les questions qu’on peut se poser par rapport à l’attitude de Luther avec les juifs. Il y avait sans doute en lui une zone d’ombre qu’il n’a pas exposé à la lumière du Christ.

La Croix avec son symbolisme de verticalité et d’horizontalité, nous délivre de notre repliement sur nous-mêmes. Comme le Christ a vécu tendu vers le Père, la vocation du chrétien est de vivre tendu vers le Christ. Il embrasse la croix.

Comme le Christ s’est vidé de lui-même, le chrétien se vide de ses prétentions pour accueillir chacun et se mettre à son service.

Cette spiritualité a, je crois, beaucoup à nous dire aujourd’hui. Comment vivre les uns avec les autres, dans notre monde si divers, sinon en nous accueillant les uns les autres dans l’humilité du Christ, sinon en invoquant l’Esprit saint pour devenir, à sa suite, « rose et lys » au milieu des épines?

Martin Hoegger

[1] Voici ce qui a été affirmé d’un commun accord :

« La justification signifie que le Christ lui-même est notre justice, car nous participons à cette justice par l’Esprit saint et selon la volonté du Père.

Nous confessons ensemble: c’est seulement par la grâce au moyen de la foi en l’action salvifique du Christ et non sur la base de notre mérite que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit saint qui renouvelle nos cœurs, nous habite et nous appelle à accomplir de bonnes œuvres ».

[2] Les Juifs de Luther, Labor et Fides, Genève, 2017.

[3] Sur la prière chez Luther, cf Matthieu Arnold, Prier quinze jours avec Luther. Nouvelle Cité, 1998

[4] La reductio ad nihilum de la Thèse 24 de la dispute de Heidelberg, WA 1,363,24-37

[5] Le pape François a forgé un néologisme – l’autoréfentialité – pour exprimer cette tendance humaine à se faire le centre de tout.

[6] « Disce Christum et hunc crucifixum » « Apprends du Christ et de sa croix ». Lettre du 8 avril 1516. WABr 1,35-36,61)

[7] La prière de Nicolas de Flue, dont nous fêtons cette année la 600e année de sa naissance, dit la même chose :

Mon Seigneur et mon Dieu, enlève-moi tout ce qui m’éloigne de toi !

Mon Seigneur et mon Dieu, donne-moi tout ce qui me rapproche de toi !

Mon Seigneur et mon Dieu, enlève-moi à moi-même et donne-moi tout à toi !

[8] « Si tu es le lys et la rose du Christ, sache que ta demeure est parmi les épines. Seulement prends garde que par ton impatience, tes jugements téméraires et ton orgueil caché, tu ne deviennes toi-même une épine » (Lettre à Spenlein)


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