Fraternite de la transfiguration

La lectio divina et l’Ecole de la Parole en Suisse romande. Une contribution à l’unité chrétienne.

Fête de la Fraternité de la Transfiguration  

J’ai été invité à partager cette expérience oecuménique, à la fête de la Fraternité de la Transfiguration, à Moscou, le 21 août 2016. Avec ce grand mouvement de l’Eglise orthodoxe russe, j’ai été confirmé que notre pèlerinage vers l’unité ne peut se renouveler que par une constante écoute de la Parole de Dieu.  

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Le chemin vers l’Ecole de la Parole en Suisse romande

En 1989 je suis entré en contact avec le cardinal Carlo Maria Martini, alors archevêque de Milan. Celui-ci avait proposé aux jeunes de son diocèse l’Ecole de la Parole pour les familiariser avec la lecture de la Bible au moyen de la lectio divina.
A l’époque, j’étais directeur de la Société biblique suisse et j’avais pris contact avec plusieurs responsables de jeunesse de Suisse romande pour les intéresser à cette expérience. Nous avons visité Mgr Martini, puis nous avons participé à une célébration de l’Ecole de la Parole à Milan avec une centaine de jeunes
Devant la réponse positive des jeunes, nous avons décidé de lancer l’Ecole de la Parole en Suisse romande. La première célébration a eu lieu en janvier 1994 dans la cathédrale de Lausanne pleine à craquer.
Beaucoup de jeunes ont participé aux célébrations des premières années, dans tous les cantons de Suisse romande. Mais l’engouement des débuts a fait place à une réalité plus modeste. Et la moyenne d’âge est montée.
Aujourd’hui, chaque année le comité de l’Ecole de Parole composé de chrétiens catholique, réformé, évangélique, luthérien et orthodoxe publie un livret pour sept célébrations qui est utilisé dans une trentaine d’endroits en Suisse romande.

Les étapes de la lectio divina
Mais qu’est-ce que la lectio divina ? Il y a plusieurs manières de la faire avec certaines constantes. Traditionnellement il y a quatre étapes : préparation – lecture – méditation – prière. Dans les temps modernes, on a ajouté la communication. Prenons-les l’une après l’autre :

a. La préparation
La préparation consiste essentiellement en une invocation de l’Esprit saint. Cet Esprit qui a inspiré les Ecritures, nous lui demandons de venir nous éclairer. Je commence donc chaque lectio par une invocation, qui prédispose à lire la Parole d’un cœur libre.

b. La lecture
Il s’agit ensuite de lire et relire à plusieurs reprises le texte. Dans le temps de lecture, l’important est le silence. Le silence est un des outils les plus importants dans la lectio divina. Il est le signe que nous sommes là non seulement pour écouter, mais pour avoir un contact actif avec le texte, en l’analysant, en le mémorisant, en le reliant avec d’autres textes.

c. La méditation
Dans le temps de lecture, je me demande ce que dit le texte ; dans le temps de méditation, ce qu’il me dit à moi aujourd’hui, dans ma vie, dans l’Eglise, dans le monde. C’est le moment où je me demande comment le texte me rejoint.

d. La prière
Durant ce moment, je réponds au Christ, qui me parle à travers le texte. Je puise dans les mots de la Bible, les mots de la prière. Parler au Christ avec Ses propres paroles, c’est le premier fruit de la lectio divina.
Une des plus belles prières est le Cantique de Marie, qui est une tapisserie de versets bibliques de l’Ancien Testament animés par le souffle de l’Esprit qui l’a visitée (Luc 1,46-55). L’Evangile de Luc nous présente d’ailleurs Marie comme celle qui « médite profondément les paroles dans son cœur ». (Luc 2,19) Elle est en quelque sorte le modèle de la lectio divina.

e. La communication
L’étape suivante est le partage de ce que nous avons vécu durant la lectio. Dans la vie spirituelle, il est important de ne pas garder pour soi ce que nous avons reçu. Cela apparaît dans plusieurs récits des évangiles où les personnes racontent ce qu’elles ont vécu avec Jésus. Mais parfois Jésus leur demande de garder le silence Il nous faut aussi apprendre à communiquer ou à nous taire, en devenant des témoins de la miséricorde de Dieu par nos paroles ou nos silences.

Comment se vit la lectio divina ?

Elle se vit seul ou en petit groupe. L’Ecole de la Parole se vit aussi durant des célébrations qui ont une forme liturgique.
J’essaye chaque jour de prendre un temps de Lectio divina (mais je n’y arrive pas toujours). Je la vis aussi en couple (une à deux fois par semaine) ; avec le temps ce moment est devenu l’axe spirituel de notre vie conjugale : le moment où à la lumière de l’Evangile, nous pouvons relire notre vie.
Je pratique encore la Lectio divina dans des groupes. Certains se réunissent chaque mois, d’autres sont plus occasionnels, comme lors d’une retraite. Je viens d’animer deux lectios divina dans le cadre de la rencontre de l’Association internationale et interconfessionnelle de religieux et religieuses (EIIR), le mois dernier à Tallin en Estonie. A nouveau j’ai constaté la force de la Parole de Dieu pour nous unir catholiques, orthodoxes et protestants.
Je constate qu’il y a une sorte de va et vient entre la lecture solitaire et la lecture communautaire. Vivre ensemble une Lectio m’encourage toujours à persévérer dans ma lecture personnelle, car c’est à chaque fois une expérience qui allume en moi le feu de l’Esprit.

La lectio divina chez les Pères de l’Eglise

Chez les Pères de l’Eglise, la recommandation de prier sans cesse (1 Th 5,17) est jointe à celle de consulter assidûment la Bible. Jérôme exhortait la vierge Démetriade, une des jeunes romaines appartenant à son Eglise de maison: « Que l’amour de la lectio divina occupe totalement ton âme ».
Un autre Père, Ambroise de Milan donne ce conseil: « Tout le jour, médite la Parole de Dieu. Prends comme conseillers Moïse, Esaïe, Jérémie, Pierre, Paul, Jean. Prends comme conseiller suprême Jésus-Christ, afin d’acquérir le Père. Parle avec eux, médite avec eux tout le jour ».
Les Pères de l’Eglise d’Orient et d’Occident ont prié ainsi, en s’imprégnant de l’Ecriture par une méditation continuelle. « Appliques-toi avec constance et assiduité à la lecture sacrée jusqu’à ce qu’une incessante méditation imprègne ton esprit et, pour ainsi dire, que l’Ecriture te transforme à sa ressemblance », recommande Cassien.

Pour Chrysostome, cette familiarité avec la Bible n’est pas réservée aux moines, elle est pour chaque fidèle : « Quand vous rentrez à la maison, vous devriez prendre l’Ecriture et, avec votre épouse et vos enfants, relire et répéter ensemble la Parole écoutée (à l’église). […] Qui vit au milieu du monde et y reçoit chaque jour des blessures a bien plus grand besoin de remèdes. Ainsi y a-t-il encore un plus grand mal que de ne pas lire, c’est de croire la lecture vaine et inutile ».

L’Ecole de la Parole et l’Eglise orthodoxe

L’Ecole de Parole en Suisse romande n’a pas touché jusqu’à ce jour beaucoup d’orthodoxes, semble-t-il. Il y a une certaine méfiance à l’égard des cercles bibliques. Et si l’on forme un groupe de lecture, c’est plutôt pour lire des Pères de l’Eglise ou des auteurs spirituels.
Mais justement l’Ecole de la Parole n’est pas un groupe de lecture. Et sa visée devrait intéresser des orthodoxes, puisqu’elle utilise une méthode traditionnelle, la lectio divina, pratiquée et recommandée par les Pères de la Tradition, en rassemblant les croyants autour de la Parole de Dieu, le Verbe, le Logos, Fils de Dieu.
Lire liturgiquement la Parole, en Eglise, comme l’Eglise orthodoxe le pratique, c’est se souvenir de la phrase du Christ : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. » L’Ecole de la Parole ne veut pas satisfaire une curiosité, un intérêt culturel. Elle sait que c’est la Parole, le Christ lui-même, qui crée l’Eglise.
Pour progresser vers l’unité chrétienne, les fidèles orthodoxes auraient un grand profit à participer à l’Ecole de la Parole. Plutôt que de rencontrer les autres chrétiens autour de thèmes qui sont souvent conflictuels, étant donné l’histoire des uns et des autres, se réunir autour de la Parole, c’est se ré-unir autour d’un essentiel que nous pouvons partager, autour d’une présence réelle authentique, celle du Verbe de Dieu, en la célébrant, la priant et en en vivant.
Pratiquer la lectio divina, c’est mettre nos pas dans ceux des Pères de l’Eglise, eux qui sans cesse demandaient de pratiquer la Parole, de l’accueillir, de la ruminer, de l’assimiler, d’en vivre. Au cœur de l’Eglise, il y a la Parole de Vie et le Pain de Vie. Nous pouvons au moins partager la Parole de Vie.

Lectio divina et unité des chrétiens

Permettez-moi de conclure avec quelques réflexions sur l’unité chrétienne. Après plus de 20 ans de cette expérience, une conviction s’est forgée en moi. La Lectio divina nous unit à Dieu et aussi nous réunit les uns aux autres, d’une manière très profonde.
Ceci n’est pas une expérience nouvelle, mais celle des chrétiens à travers les siècles : par lecture des Saintes Ecritures nous nous rapprochons du Christ et en lui, nous nous rapprochons les uns des autres. Saint Jérôme dit à ce sujet qu’ « ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ ».
Voici une expérience magnifique : un printemps spirituel se produit quand les chrétiens acquièrent une plus profonde familiarité avec les textes sacrés à travers la lecture priante. Par elle ils invitent en leur âme la présence aimante et la voix de leur époux qui nourrit nos âmes, nous donne de discerner sa volonté et des forces pour avancer dans le saint voyage vers Dieu.
Notre pèlerinage vers l’unité telle que le Christ la veut ne peut se ressourcer, se renouveler que par une constante écoute de la Parole de Dieu. De plus, on tirera un profit encore plus grand de cette écoute de la Parole si elle a lieu ensemble, je veux dire entre chrétiens de confessions diverses.
En priant et en écoutant ensemble la Parole de Dieu, en échangeant nos impressions personnelles sur les cordes que la Parole de Dieu fait vibrer en nos âmes lorsque nous la lisons, nous ne nous enrichissons pas seulement de la spiritualité de l’autre mais nous améliorons notre compréhension réciproque et cela est porteur de bienfaits incalculables pour l’unité de l’Eglise.

Dossier sur la lectio divina


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