02. Bible de souvigny

La notion biblique de création

Un jour j’ai visité une exposition sur le lien entre le Big Bang et la création avec un groupe de jeunes se préparant à la confirmation. Après l’avoir parcourue, nous nous sommes assis et avons eu un moment de discussion. Une jeune a lors posé cette question : « Qu’est ce qu’il y avait avant Dieu ? »

 

Y-a-t-il question plus fondamentale que celle des origines ? Au 5e siècle, Augustin parlait ainsi de cette interrogation sur les origines, qui, selon lui, habite chaque homme : « Tu nous a fait pour toi et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi. »
La Bible a évidemment réfléchi à cette question. Son portail d’entrée, majestueux, commence par cette affirmation : « Au commencement, Dieu créa », beréshit bara elohim. Trois petits mots étonnants dans le contexte proche oriental où la Bible est née. Dans toutes les religions et les philosophies d’alors l’origine est pensée comme une matière éternelle, qui est façonnée par les dieux. La création n’existe dans aucune tradition humaine. Elle n’est que là dans les trois premiers mots de la Bible.
Bereshit, au commencement. Quand Dieu créa il n’y avait avant l’acte de création ni espace, ni étendue. Il n’y avait que Dieu et de Dieu jaillit la totalité de l’être cosmique. Tout provient de sa volonté, de sa liberté et de son amour.
« Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ». Le ciel et la terre : expression hébraïque signifiant la totalité de l’être créé. Puis le récit montre comment Dieu sépare et organise au moyen de sa Parole les éléments de cette totalité . L’unité vient d’abord, puis la distinction !
Ces trois mots bereshit bara elohim, les sages d’Israël les ont formulés non à l’ombre d’une académie, non comme des philosophes, mais comme des personnes qui ont fait l’expérience de son amour. C’est parce que ce Dieu s’est révélé à eux et qu’il les a sauvés de l’esclavage de l’Egypte, qu’il ont commencé à s’interroger sur sa présence dans la création. C’est à la lumière de la menorah, du chandelier à sept branches, qui brûle dans le temple, symbole de l’amour permanent de Dieu, qu’Israël a réfléchi. Pour découvrir qu’une même lumière imprègne tout l’univers.
« L’idée de création signifie qu’un être commence absolument d’exister sans aucune préexistence », écrit Claude Tresmontant. Cette idée a été un scandale et une pierre d’achoppement, depuis les Pères de l’Eglise des premiers siècles, qui ont maintenu cette doctrine contre vents et marées contre la philosophie grecque, jusqu’à aujourd’hui, où le paradigme dominant est celui du scientisme.

Quand nous ouvrons le Nouveau Testament, en écho à Genèse 1, à la première page de l’Evangile de Jean, nous lisons trois autres petits mots, tout aussi révolutionnaires :
« Au commencement était la Parole ».
Cette Parole éternelle de Dieu, dont Jean dit plus loin qu’elle s’est faite chair, tout fut fait par elle. La révélation par la vie, la mort et la résurrection de Jésus Christ, du Dieu-Trinité a une répercussion immense sur la manière de penser l’origine.
Dans l’immense nuit des origines rien n’existait hormis l’Amour du Père pour le Fils dans la tendresse de l’Esprit Saint. C’est lui, le Fils-Parole, qui chantait l’amour quand il n’était pas encore d’anges, ni de matière pour avoir part à sa beauté.
Cette première page de l’Evangile de Jean nous révèle un amour trinitaire de Dieu « en dedans de soi », caractérisé par l’unité et la distinction. Les personnes de la sainte Trinité se donnent librement l’une à l’autre. Elles s’aiment tellement qu’elles ne sont qu’un dans l’amour. Or quand la Trinité crée, sa création est l’expression de son amour « en dehors de soi ». Alors dans tout l’univers il y a une empreinte trinitaire. Toute la création reflète en elle-même l’unité et la distinction propre à la Trinité.
La physique des particules ne montre-t-elle pas que dans et entre les plus petites particules, il y a des relations d’une densité immense : indices de l’unité et de la distinction, qui sont le prolongement, dans le temps, du dynamisme éternel du libre don réciproque de l’amour trinitaire ?

Quels sont maintenant les traits particuliers de la notion biblique de création ?

a) La création est continue.
Comme le décrit le Psaume 104, Dieu n’est pas seulement à l’origine de tout (ce que chante Genèse 1), mais il soutient toutes choses par son acte créateur continuel. Ainsi il est celui envoie l’eau des sources dans les ravins (10), fait pousser l’herbe pour les troupeaux et fait grandir les plantes afin que l’homme puisse tirer le fruit de la terre et de son travail : le vin qui réjouit son cœur et l’huile qui fait briller son visage (14).
Dieu ordonne toutes choses et les anime dans une unité merveilleuse, mais aussi dans la distinction de toutes choses entre elles. Le Psaume 139 chante comme une création continue le corps humain dans le sein maternel : « C’est toi qui as créé ma conscience, c’est toi qui m’as tissé dans le ventre de ma mère. Seigneur je te dis merci parce que tu m’as créé. Oui mon corps est étonnant et très beau. Ce que tu fais est magnifique, je le reconnais. Quand tu me formais dans le secret, quand tu me brodais dans la profondeur de la terre, tu voyais tout, rien n’était caché pour toi. J’étais à peine formé, tu me voyais déjà ! » (V. 13-16)

b) Tous les éléments de la création sont reliés les uns aux autres.
Le Cantique des trois amis de Daniel (Daniel Grec 3) chante le fil d’or qui relie toutes choses dans l’univers. Toute la création est convoquée pour remercier Dieu. Les choses invisibles d’abord : les anges et toutes les puissance du ciel (59, 61). Si l’astrophysique nous dévoile un univers d’une puissance et d’une immensité inimaginable, quelle sera l’ampleur du monde invisible ? Ce monde invisible des forces angéliques qui pénètre le visible et lui est relié, car les mêmes rayons de soleil divin traversent ces deux mondes et leur donnent leur beauté.
Puis après le monde invisible, ce sont toutes les autres créatures qui sont invitées à la louange : les astres et les vents, le froid et la chaleur, la pluie et le gel, les éclairs et les nuages, les terres et les mers, les bêtes et les poissons, tous les humains et le peuple d’Israël.
On dirait qu’une lumière amoureuse pénètre et relie tout, comme s’il existait une harmonie et une unité entre toutes choses, comme si tout l’univers n’était qu’un unique chant d’amour. C’est par amour que l’eau des sources coule vers les vallées, pas par hasard. C’est par amour que le fruit mûrit sur l’arbre, pas par hasard.
Tous les éléments, du roseau à la galaxie, du ver de terre à l’homme sont dans leur être le plus profond comme fondus avec cette lumière divine-amoureuse et entre eux. Il y a de la poussière d’étoiles en nous comme dans la petite algue.
Ambroise, un chrétien du 5e siècle, parlait de cette « loi indissoluble de concorde et d’amour » qui traverse toute la nature. C’est aussi l’expérience de François d’Assise en écrivant son Cantique des Créatures. Pourquoi appelle-t-il frère le soleil et sœur l’eau ? Est-ce uniquement un procédé poétique ? Non. François a l’intuition que tous les éléments de la nature sont interdépendants et créés pour se donner les uns aux autres, parce que tous – et nous aussi – sont nés d’un seul Dieu.
L’infiniment grand et l’infiniment petit se rejoignent, il existe une unité dans tout l’univers, qui est fraternisé par la présence de Dieu. C’est ainsi que les résultats des recherches de l’astrophysique et de la physique des particules sur l’origine de l’univers se rejoignent. Tous les êtres ont la même racine, sont imbibés de la même sève. Dieu, dont l’Etre est Amour, leur donne vie et mouvement et être.

c) Le destin de la création : retourner dans le sein du Père.
Nous avons dit que la création est l’expression de l’amour « hors de soi » de Dieu-Trinité. Or son destin n’est pas de demeurer « en dehors » de la maison du Père, mais d’y retourner, de demeurer en lui, tout en étant distincte de lui. La métaphore de la nouvelle Jérusalem, des cieux et de la terre nouveaux, où Dieu sera tout en tous, l’exprime.
Le destin de toute la création – et par conséquent de l’homme qui la résume – est d’être unie à Jésus-Christ, comme le dit Paul : « C’est en lui que Dieu a tout créé dans les cieux et sur la terre : les choses visibles et les choses invisibles, les forces et les esprits qui ont autorité et pouvoir. Tout est créé par lui et pour lui. »
En s’incarnant, la deuxième personne de la Trinité a anobli la création. Elle a apporté sur terre l’amour brûlant de la Trinité. Elle a brûlé tout le mal dans le foyer ardent de l’amour divin. Le mal, c’est le refus de la distinction entre la créature et le Créateur, le mépris de Dieu et de sa création. En voulant détruire la distinction, le péché détruit aussi l’unité entre Dieu et la création et entre les créatures.
Jésus a annulé la distance qui nous séparait du Père en faisant l’expérience des conséquences ultimes du mal, lui qui était l’Innocent. Il révèle l’amour de Dieu en vivant la plus profonde séparation d’avec Dieu sur la croix. Il surmonte ainsi la rupture en l’assumant et réconcilie toute la création avec le Père.
Dieu, par sa seconde personne, s’est uni à la matière, et – mystère qui dépasse toute compréhension – ne sera plus jamais séparé de la nature humaine de Jésus. Jésus-Christ est ressuscité. De ce fait, pour toute l’éternité, notre nature humaine est désormais présente en Dieu. Tel est notre destin, avec la création entière : être uni à Jésus-Christ.
« Par la foi, nous comprenons que l’univers a été formé par la parole de Dieu, de sorte que ce qui est visible a été fait à partir de ce qui est invisible » (Hébreux 11.1). La foi procède d’une autre logique que la recherche scientifique : c’est recevoir plutôt que chercher, accueillir et approfondir le mystère plutôt que le résoudre. Ces paroles d’Angelus Silesius l’expriment bien : « J’ai cherché Dieu avec ma lampe si brillante que tout le monde me l’enviait. J’ai cherché Dieu dans les astres. J’ai cherché Dieu dans d’infimes trous de souris. J’ai cherché Dieu dans les universités. J’ai cherché Dieu au télescope et au microscope…Jusqu’à ce que je m’aperçoive que j’avais oublié se ce que je cherchais. Alors éteignant ma lampe, je jetai mes clés et me mis à pleurer. Et aussitôt sa lumière fut en moi. »


Publié

dans

par

Étiquettes :