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Souviens-toi !

Le temps dans lequel nous sommes entrés – ces 40 jours de marche vers Pâques qu’on appelle « Carême », du latin Quadragesima, quarante – est un temps de mémoire.

Mémoire des 40 ans d’Israël dans le désert et des 40 jours de jeûne du Christ dans un autre désert.

Le mot d’ordre de ce temps est « Souviens-toi » !

Nous avons besoin de nous souvenir, car sans cesse nous oublions d’où nous venons, où nous allons et quelle est notre condition.

Mais de quoi avons-nous à nous souvenir ?

Avant tout du cœur de notre foi. Ce que les théologiens appellent le « kérygme » ou, selon le mot de H.U Von Balthasar, la « dramatique divine » : par sa mort et sa résurrection, Jésus nous ouvre le ciel.

Face aux graves soucis de toutes les Églises, le temps est de nouveau venu de faire mémoire de l’essentiel de notre foi qui peut se résumer en trois mots : incarnation, passion et résurrection du Christ.

 

1.Nous souvenir que nous sommes « étrangers et voyageurs » ici-bas

La première lecture nous rappelle que nous nous sommes les héritiers spirituels d’un pauvre « araméen errant », descendu en Égypte où il y a vécu en immigré.
Comme lui, notre condition est d’être passant ici-bas, « étranger et voyageur », sans cité permanente. Dans nos Égypte spirituelles, nous avons besoin d’être délivrés de « l’oppression et de la peine ». Nous avons besoin de libération. (Deutéronome 26,4-10)

C’est la première chose dont nous avons besoin de nous souvenir : nous sommes errants et avons besoin d’un libérateur. Nous sommes perdus et avons besoin d’un sauveur.

En dehors du Christ, nous sommes des SDF – des « sans destination fixe ».

Mais ose-t-on encore parler de perdition et de salut dans l’Église ?  

C’est pourtant le cœur de la foi chrétienne. Si le Christ est devenu homme, mort sur une croix et ressuscité au troisième jour, c’est bien pour nous tirer de l’errance et nous ouvrir le chemin vers la Vie.

Sans lui, c’est l’errance. Bien plus, c’est le néant, la destruction. Le rejeter c’est ouvrir la porte à Satan qui infuse partout le goût du néant. Sans le nommer, le dernier roman de Michel Houellebecq décrit son œuvre de destruction des couples, des corps et des âmes. (Sérotonine)

Et pourtant, dit-il « Dieu s’occupe de nous en réalité, il pense à nous à chaque instant, et il nous donne des directives parfois très précises. » Et d’évoquer « ces élans d’amour qui affluent dans nos poitrines jusqu’à nous couper le souffle ».

Oui, si nous lui ouvrons notre cœur, un chemin s’ouvre. Nous sortons de l’errance. Le Ressuscité nous rejoint sur nos chemins d’Emmaüs : avec lui, nous allons enfin quelque part.

 

2. Nous souvenir que la vie est une épreuve

La deuxième chose à nous souvenir est que la vie chrétienne est un chemin qui passe par le désert.

 « Souviens-toi de tout le chemin que le Seigneur ton Dieu t’a fait faire pendant quarante ans dans le désert, afin de t’humilier, de t’éprouver et de connaître le fond de ton cœur : allais-tu ou non garder ses commandements ? Il t’a humilié, il t’a fait sentir la faim » (Deut 8,3).

Le Carême nous rappelle que la vie chrétienne est une épreuve, non une sinécure. Un combat spirituel contre le mal et le diable, contre l’égoïsme et la haine. Le récit de la tentation de Jésus, dans le désert nous le dit avec force. (Luc 4,1-13)

Mais dans cette lutte sans relâche, nous ne sommes pas sans ressources.

Jésus nous appelle à jeûner et prier, à partager nos biens et à exercer la miséricorde dans la justice.

L’apôtre Paul nous appelle aussi à revêtir les armes de l’Esprit pour lutter contre les puissances du mal…du Malin. (Eph 6)

Tout disciple de Jésus est appelé à traverser ses déserts avec humilité et patience, avec générosité et persévérance.

Le désert révèle ce qui habite notre cœur : dans les temps d’épreuve allons-nous mettre Dieu en premier, faire sa volonté, exercer la patience et l’espérance, ou bien allons-nous nous laisser aller à la révolte, à la transgression ou à la résignation ?

 

3. Nous souvenir de la Parole de Dieu

La troisième chose à nous souvenir est la Parole de Dieu

 « L’homme ne vit pas seulement de pain ». C’est la réponse de Jésus à la première tentation de Satan (Luc 4,4). Il cite le livre du Deutéronome qui continue ainsi : « mais l’homme vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur ». (Deut 8,3)

Tout près de toi est la Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur. (Romains 10,8), lit-on dans la deuxième lecture de ce dimanche.

Dans le récit des tentations, Jésus ne dialogue pas avec le diable, mais il lui oppose la Parole de Dieu.[1]

Mais, attention, le diable est aussi menteur. Dès le début il est le père du mensonge. Il trafique la Parole de Dieu. C’est ce qu’il fait quand il tente Jésus où il cite le Écritures de manière très pieuse.

Il dit à Jésus : « Je te donnerai toute cette puissance et la gloire ». Or c’est à Dieu seul qu’est la puissance et la gloire comme on le prie dans le Notre Père.

Le diable veut nous détourner de l’humilité du Christ, qui est le Dieu humble et qui nous appelle à chercher notre gloire en devenant petits comme les enfants et humbles comme lui.

Toute interprétation des Écritures qui nous éloigne de l’humilité et de la simplicité du Christ doit être suspecte.

 

4. Nous souvenir du « mystère de l’iniquité »

Un des plus grands mensonges du diable est de nous faire croire à son inexistence.

Des théologiens, pris dans les filets du rationalisme, ne reconnaissent plus l’action du démon, ce « mystère de l’iniquité » dont parle l’apôtre Paul.

Récemment certains journalistes ont poussé des grands cris lorsque le pape François a désigné l’action de Satan dans les crimes sexuels qui ont été mis au grand jour dans l’Église catholique. Cela serait une manière commode de déresponsabiliser les criminels.

Or, loin de déresponsabiliser la conscience et la libérer du poids de la faute, le mystère de l’iniquité nous renvoie à la nature véritable du mal, qui n’est pas seulement défaut de la volonté mais complicité intime avec ce qui détruit.  

Et tout au long de l’Évangile on voit comment Jésus rencontre le Démon et libère les personnes de son oppression.

Avant même de commencer son ministère il l’affronte dans le désert.

Si nous voulons exercer un service dans l’Église, nous avons à nous souvenir, chaque jour, de ce mystère de l’iniquité et nous cacher en Jésus, en nous fortifiant dans sa vigilance.

 

5. Nous souvenir de notre baptême

La cinquième chose à nous souvenir est notre baptême.

Dans le baptême Dieu nous dit que nous sommes, chacun, ses enfants bien aimés. Comme il l’a dit à Jésus : « Tu es mon Fils bien-aimé. En toi je mets toute ma joie » (Luc 3,22).

En Christ, nous sommes unis à sa mort et sa résurrection. Nous lui appartenons. Le baptême nous le dit : nous avons été immergés avec le Christ, pour mourir et ressusciter avec lui.

Le diable veut nous en faire douter dans la troisième tentation.

Par sa question est insidieuse : « Si tu es le fils de Dieu… » (Luc 4,9), il veut mettre un doute dans l’esprit de Jésus, comme il veut le mettre aussi dans notre esprit.

Son désir le plus grand est de nous couper de l’amour de Dieu et de la vie en Christ. De vivre sans aucune référence à lui. De vivre comme si Dieu n’existait pas.

C’est pourquoi nous avons sans cesse à faire mémoire de notre baptême qui n’est pas seulement un événement du passé, mais une réalité qui doit nous accompagner chaque jour.

Il nous enseigne à faire mourir en nous tout ce qui n’est pas du Christ et à faire vivre en nous tout ce qui lui appartient.

 

6. Nous souvenir que nous sommes habités par le Saint Esprit

La sixième chose à nous souvenir est que nous sommes « chrétiens », c’est-dire comme le Christ, le Messie, habités par l’Esprit saint. Nous avons à marcher selon l’Esprit.

Cet Esprit habite le Christ et c’est dans la force de l’Esprit qu’il arrive à résister aux tentations.

Le Christ vit « selon l’Esprit » et non « selon la chair ».

Il est le nouvel Adam qui est vainqueur des tentations, alors que le premier Adam s’y était soumis.

Voyons cela avec la première tentation.

L’enjeu de cette tentation est de voir si Jésus vit « selon la chair », en se soumettant aux besoins de son corps qui avait faim, comme l’avaient fait Adam et Ève en mangeant du fruit défendu, ou s’il vit « selon l’Esprit ».

« Vivre selon l’Esprit », c’est vivre comme le Christ : dans la patience et l’humilité, à l’écoute de la Parole de Dieu et en résistant aux convoitises dans le monde.

Résumons : le temps du carême, 40 jours avant Pâques est un temps pour nous souvenir :

  • que nous sommes « étrangers et voyageurs » ici-bas
  • que la vie est une épreuve
  • de la Parole de Dieu
  • du « mystère de l’iniquité »
  • de notre baptême
  • que nous sommes habités par le Saint Esprit

 

Seigneur, donne-nous de nous souvenir

que nous sommes « étrangers et voyageurs » ici-bas

et que notre vie est une traversée de désert.

Face au mystère de l’iniquité,

en tout et pour tout, nous voulons faire mémoire

de ta Parole et de notre baptême.

Dans la force de l’Esprit donne-nous d’en vivre !

Merci de nous donner tout cela dans ton repas:

où tu nous dis: « Faites cela en mémoire de moi »!

[1] Ces paroles de Grégoire le Grand sont fortes : « Il est une chose qu’il faut remarquer dans la tentation du Seigneur : tenté par le diable, le Seigneur a riposté par des textes de la Sainte Écriture. Il aurait pu jeter son tentateur dans l’abîme par le Verbe qu’il était lui-même. Et pourtant il n’a pas eu recours à son pouvoir puissant ; il a seulement mis en avant les préceptes de la Sainte Écriture. Il nous montre ainsi comment supporter l’épreuve, de sorte que, lorsque des méchants nous font souffrir, nous soyons poussés à recourir à la bonne doctrine plutôt qu’à la vengeance. Comparez la patience de Dieu à notre impatience. Nous, quand nous avons essuyé des injures ou subi une offense, dans notre fureur nous nous vengeons nous-mêmes autant que nous le pouvons, ou bien nous menaçons de le faire. Le Seigneur, lui, endure l’adversité du diable sans y répondre autrement que par des mots paisibles. » Grégoire le Grand, Homélies sur l’Evangile, n° 16 (trad. Véricel, L’Evangile commenté, p.68)


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