Je suis plus que Charlie

« Je suis plus que suis Charlie »

Pour vivre ensemble, ouvrons-nous à plus que nous-mêmes !

« Je suis Charlie » : ces trois mots ont été scandés pour affirmer la liberté de la presse, après les attentats en France des 7 et 8 janvier. Mais on a vu des pancartes avec toutes sortes d’autres attributs après les deux mots « Je suis ». Comment les comprendre ?

Dans l’histoire, des « Je suis » se sont opposés au nom de religions et d’idéologies. Ils continuent à s’opposer et nourrissent le choc des civilisations, si l’on ne dialogue pas. Ou bien cela signifie aussi la domination des puissants qui excluent tous les « Je suis » qui n’entrent pas les cadres qu’ils ont mis en place. L’écrivain franco-libanais Amin Maalouf a appelé ces « Je suis » : « les identités meurtrières ».

Mais je veux croire que ce n’est pas dans ce sens qu’il faut comprendre les « Je suis » que l’on a vus sur les pancartes de Paris et de toutes les villes d’Europe.   

Elles me disent au contraire que suis un être humain avant d’être chrétien, musulman, juif, athée, etc… Ce qui t’arrive me fait mal et me concerne. Elles me disent que nous devons vivre ensemble, nous entraider, nous mettre autour d’une même table.

Je comprends donc ces « Je suis » comme une affirmation du principe d’humanité.

Pourtant je n’arrive pas à m’identifier totalement à ces « Je suis ». En fait « je suis plus que Charlie ». Je reviendrai là dessus.

« Donne-moi à boire » (Jean 4,7)

La semaine de prière pour l’unité chrétienne, qui commence aujourd’hui, propose le texte de méditer sur la rencontre entre Jésus et une femme samaritaine. Deux personnes appartenant à deux peuples, qui se haïssent. « Les Juifs, en effet, ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains » (Jean 4,9). Deux identités meurtrières face à face !

Jésus est fatigué et a soif. C’est la sixième heure, c’est à dire midi, sous le soleil de plomb de Samarie.

Or voici que Jésus prend l’initiative de parler à cette femme. Cette dernière est très surprise. A cette époque un homme ne parle pas directement à une femme, mais, de plus, cet homme est un ennemi.

Jésus lui dit : « Donne-moi à boire » !

Comment Jésus lui a-t-il parlé ? Sur quel ton ?

On ne le sait pas. Est-ce un ordre ou une supplication ? Deux manières très différentes de s’adresser à l’autre. Le ton fait la musique.

A mon avis, Jésus dit « donne-moi à boire » sur le ton d’une prière, comme s’il s’adressait à son Père. Avec la confiance que la femme va l’écouter et l’exaucer. Je ne vois pas Jésus prier son Père en lui donnant des ordres. Je le vois prier avec le cœur, avec des soupirs, du plus profond de lui-même.

Jésus a confiance que dans la rencontre qu’il veut vivre avec cette femme, quelque chose d’important se passera.

Son attitude nous donne aussi confiance pour oser une rencontre, même une rencontre dont on pressent qu’elle sera difficile. Chaque rencontre ouvre des chemins nouveaux, même si, à première vue, on semble confronté à un mur.

Puisons aux sources de la confiance pour ne pas avoir peur de la rencontre !

 « J’ai soif » !

Fatigue et soif. On voit Jésus dans toute son humanité, comme on le verra dans sa passion, à la fin de son chemin terrestre

« Donne-moi à boire » ! Cette demande de Jésus me fait penser à une autre parole : les deux mots qu’il a dits sur la croix : « J’ai soif ».

Mais Jésus n’est pas le seul à avoir soif. La femme a aussi soif. On le voit dès le début de ce dialogue inoubliable. Elle pose des questions et se laisse déplacer.

Elle qui a eu cinq maris a connu aussi la fatigue de la vie. Elle vient à midi à ce puits, à l’heure où personne ne vient, car il fait trop chaud ; elle a peur de rencontrer les autres femmes qui la regardent de travers.

En somme Jésus se retrouve en elle : fatigue et soif. Il connaît aussi l’exclusion, le regard de jugement des puissants. Il en fera l’expérience extrême dans sa passion.

Cette femme, devant lui, c’est sa sœur en humanité. Bien plus, il la voit déjà comme un membre de son corps mystique. « Quand un membre souffre, tous souffre avec lui »…et à commencer par Jésus, qui souffre avec nous !

Lui le Ressuscité nous rejoint aujourd’hui dans nos fatigues, nos soifs, nos enfermements, nos expériences d’abandon.

Jésus crie « donne-moi à boire », « j’ai soif » dans chaque personne qui est dans le besoin : d’amitié, de sens, de visite, de vêtement, de santé. « Tout ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mat. 25,40)

Son Esprit soupire aussi en moi ces mots, si je prends le temps d’écouter mon coeur : « J’ai soif » de communion, d’amour et de relations vraies.

« Je suis »

Revenons maintenant à ces « Je suis » dont je parlais au début !

Jésus n’est pas seulement un « Je suis juif » face à une « Je suis samaritaine ». Il n’est pas seulement un homme rempli d’attention et de respect face à une pauvre femme.

Jésus est plus que cela. Le mystère de la personne de Jésus se dévoile peu à peu dans ce dialogue et soulève l’espérance de cette femme. Et la nôtre, si, comme elle, nous nous ouvrons à ce dialogue.

Dans ce dialogue, Jésus révèle qu’il est la source, l’eau vive, le don de Dieu, plus grand que les patriarches. Plus loin Jésus se dévoile comme étant le seul qui ose dire « Je suis » de manière absolue. Il s’attribue le nom même de Dieu révélé à Moïse : « Je suis celui qui est » ou encore « Je suis avec toi ». (Exode 3,14). Jésus est bien plus que tous les noms que l’on peut mettre à la suite de ces « Je suis » tellement scandés ces derniers jours. Jésus s’identifie au Nom qui est au dessus de tout nom.

Cela sera considéré comme un blasphème par le grand prêtre du Temple de Jérusalem et signera son arrêt de mort.

Allons plus loin. Quand Jésus dit « Je suis », il faut bien voir qu’il le dit non pour s’affirmer soi-même contre les autres et les dominer, mais pour les aimer jusqu’à l’extrême, jusqu’à ne plus être. Jésus est le « Je suis » plein d’amour, qui, parce qu’il se dépossède, parce qu’il n’est pas, se révèle comme le « Je suis » divin.

Tous ceux qui désirent le suivre sont également appelés à marcher sur un chemin de dépossession de soi qui permet à l’autre d’exister et à l’Esprit de se manifester.

Ainsi affirmer « Je suis tel ou tel » ne doit pas me conduire à le considérer comme un rival ou un ennemi à abattre, mais à me mettre à son service.

« Je suis plus que Charlie », je suis plus que ce que je suis, car je veux vivre dans l’Esprit du Christ. « Ce n’est plus moi qui vis mais le Christ en moi » (Gal 2,20)

« Donne-moi cette eau pour que je n’aie plus soif » !

Mais pour que nous vivions dans l’Esprit, il faut prier. J’aimerais conclure sur ce point.

Entrant peu à peu dans le mystère de sa personne, la femme dit à Jésus : « Donne-moi cette eau pour que je n’aie plus soif » ! C’est une magnifique prière que Jésus exaucera au-delà de tout ce que cette femme pouvait rêver dans le plus beau des rêves.

Et si Jésus a exaucé cette prière pour cette femme, il continuera à y répondre lorsque nous la prions aujourd’hui.

Il écoute nos prières, si nous nous mettons à deux ou trois, ou davantage, et cherchons à suivre son style de vie, si, comme nous y invite l’apôtre Paul, « nous nous mettons d’accord comme le veut Jésus-Christ » (Rom 15,5)

Au début de cette Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, nous avons à nous rappeler combien la prière est importante, combien elle nous unit. Ensemble, nous pouvons lui dire : « Donne-nous cette eau pour que nous n’ayons plus soif » !

Posons-nous la question : quelle est notre soif d’unité ou de communion ? Avons-nous cette soif, cette passion qui animait Jésus et l’apôtre ? ou contentons-nous de peu, de communautés juxtaposées et de tiédeur dans nos relations ?

Si nous persévérons ensemble dans la prière, nous avons la promesse que Jésus est présent dans cette prière et nous tire en avant, bien au delà de ce que nous pouvons imaginer. Il nous donne son eau vive et déjà une communion réelle, qui nous remplissent de joie.

C’est une expérience que je vis depuis tant d’années. Je peux en témoigner. C’est une des plus belles réalités de ma vie chrétienne.

C’est pourquoi, cherchons toutes les occasions pour prier ensemble et pour adorer Celui qui dit : « Je suis l’Alpha et l’Oméga…celui qui est, qui était et qui vient »,  (Apoc. 1,8)

Jésus, avec nos fatigues et nos soifs, nous venons à toi.

Tu les connais : sur les chemins de Judée et de Samarie, le soleil t’a brûlé.

Tu es aussi proche de nous, car tu nous aimes, chacun personnellement,

Tel que nous sommes.

Nous avons confiance en toi et te disons :

Donne-nous ton eau vive pour que nous n’ayons plus soif !

Viens à nous durant ce moment, nous visiter, nous pardonner, nous libérer !

 

PS. « Les identités meurtrières » illustrées par une histoire américaine  (à peine) drôle.

Un jour, j’ai vu un type sur un pont, prêt à sauter. Je lui ai dit. « Ne fais pas ça ! ». Il a répondu : « Personne ne m’aime. »

« Dieu t’aime. Crois-tu en Dieu ? ». Il a répondu : « Oui. »

« Moi aussi ! Es-tu juif ou chrétien ? » Il a répondu : « Chrétien. »

« Moi aussi ! Protestant ou catholique ? » Il a répondu : « Protestant. »

« Moi aussi ! Quelle dénomination ? » Il a répondu : « Baptiste. »

« Moi aussi ! Baptiste du Nord ou du Sud ? » Il a répondu : « Baptiste du Nord. »

« Moi aussi ! Baptiste du Nord conservateur ou libéral ? » Il a répondu : « Baptiste du Nord conservateur. »

« Moi aussi ! Baptiste du Nord conservateur de la région des Grands Lacs ou de l’Est? » Il a répondu : « Baptiste du Nord conservateur de la région des Grands Lacs.»

« Moi aussi ! Baptiste du Nord conservateur de la région des Grands Lacs du Conseil de 1879 ou du Conseil de 1912 ? »

Il a répondu : « Baptiste du Nord conservateur de la région des Grands Lacs du Conseil de 1912 »

J’ai répondu : « Meurs, hérétique ! » Et je l’ai poussé en bas du pont.


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