Vivre Jésus crucifié pour annoncer Jésus ressuscité 

J’ai participé au Colloque Théologie de la Mission, au Collège des Bernardins à Paris, le 8 mars 2025. Le thème qui m’a été proposé a été « La Croix annoncée et vécue ».

Je me suis demandé, tout d’abord, pourquoi l’accent a été mis sur la Croix, plutôt que sur la Résurrection ou sur Pentecôte. 

A vrai dire, j’aurais préféré parler de « la Résurrection annoncée et vécue ». En effet je collabore depuis plus de huit ans à l’initiative JC2033, qui invite à préparer de manière œcuménique le Jubilé des 2000 ans de la résurrection de Jésus. Le but est de donner un témoignage commun afin que le monde entier entende à Pâques 2033 la salutation pascale : « Le Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ». 

Avec notre petite équipe, nous avons visité plus de 50 pays et plus de mille responsables de toutes les Églises. La semaine dernière, nous avons rassemblé des ambassadeurs JC2033 venant de 35 pays, pour un congrès à Genève.  

A cette occasion, Jerry Pillay, le secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises nous a dit : « Si les chrétiens célèbrent avec joie la naissance, la mort, la résurrection, l’ascension et la seconde venue du Christ, c’est la résurrection de Jésus qui a changé le cours de l’histoire, inspiré notre foi et généré notre espérance en Dieu dans une vie souvent marquée par la souffrance, la douleur et les injustices. L’espérance de la résurrection est ce qui nous donne courage, force et joie ». (Lire ici sa conférence)

Mais, comme il m’a été demandé de parler de la « Croix annoncée et vécue », je parlerai de la Croix, étant aussi conscient que Croix, Résurrection et Don de l’Esprit forment un tout indissociable, qui constitue notre Rédemption. 

D’ailleurs l’Église catholique a célébré un « Jubilé de la Rédemption » en 1933, pour la première fois. Et, elle l’appellera aussi ainsi, sans doute, en l’année 2033.  

S’il y a une bonne nouvelle à annoncer, c’est bien la Résurrection de Jésus. C’est elle qui constitue le cœur du kérygme et la raison de l’envoi en mission. On le voit très bien avec le récit des disciples d’Emmaüs, qui constitue, dans l’œuvre de l’évangéliste Luc une synthèse de son évangile. 

Que font-ils après leur rencontre avec Jésus sur le chemin et autour d’une table, où il s’est manifesté à eux : ils courent pour le dire aux autres disciples. Lesquels leur disent, à leur tour : « Le Seigneur est vraiment ressuscité. Et il est apparu à Simon » (Luc 24,34). 

D’autre part, je me suis demandé si c’est la Croix qu’il faut annoncer ou vivre. La Croix, comme la Résurrection, est un concept. Or ce ne sont pas des concepts que nous voulons vivre et faire connaître. 

La mission de l’Église est de faire connaître et aimer une personne : Jésus le Messie et le Fils de Dieu, qui par sa croix nous a réconciliés avec Dieu et qui, par sa résurrection et le don de son Esprit, nous transforme et nous unit.

J’aimerais donc intituler ma conférence : « Vivre Jésus crucifié pour annoncer Jésus ressuscité »

  1. La croix des chrétiens palestiniens  

Deux images me viennent à l’esprit.  La première est la croix amenée en bateau sur la plage d’Agios Andreas – Saint André, où se tenait la Conférence missionnaire du Conseil œcuménique des Églises, près d’Athènes, en 2005. Cette croix a été fabriquée à Bethléem, à partir d’oliviers déracinés à la suite de l’occupation israélienne. (voir ci-dessus)

Elle a été faite avec art en assemblant une multitude de morceaux et veut rappeler que « plus nous sommes proches de la croix, plus nous sommes proches les uns des autres », comme l’a affirmé la Conférence œcuménique de Stockholm, en 1925.  

Quand cette croix est arrivée à Agios Andrea, un des délégués de Terre sainte a affirmé que plus les Églises collaborent, plus leur témoignage sera positif et plus la croix aura le pouvoir d’attirer l’humanité au Christ : « Quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi ». (Jean 12,32)

De manière très parlante, une vingtaine d’hommes et de femmes tendent alors les bras pour soulever la croix et la tenir debout avant qu’elle soit apportée devant la tente des célébrations, où elle restera le temps de la Conférence, centrée sur la guérison et la réconciliation.

Cette grande croix nous a rappelé que le Christ sur la croix a porté nos meurtrissures et nos divisions.

Elle est très lourde, mais portée par plusieurs, ce fardeau devient léger. Ainsi en est-il de la mission du Christ : si nous sommes ensemble son Église, nous pouvons l’apporter au monde.

II. La croix des chrétiens africains

La deuxième image est également une croix portée par quelques jeunes hommes dans le cadre de l’autre Conférence missionnaire du Conseil œcuménique des Églises à laquelle j’ai pu participer, celle d’Arusha, en Tanzanie en 2018. 

La question qui nous a été posée était : « Que veut dire « vivre Jésus crucifié » ?

Les réponses ont été multiples, et elles ne se limitent pas à la situation des chrétiens africains : 

  • Tout d’abord, vivre Jésus crucifié, signifie vivre la persécution dans bien des pays d’Afrique. Le Nigéria est le pays avec le grand nombre de martyrs victimes de la haine de la foi en Jésus, mais aussi le pays où l’Église grandit le plus rapidement. Combien actuelle est la maxime de l’africain Tertullien qui disait au 2e siècle : « Le sang des martyrs est une semence des chrétiens ». Être disciple du Christ signifie se donner à Lui en se rappelant que s’il a été persécuté, nous le serons aussi.  
  • Puis, vivre Jésus crucifié, sur un continent où il y a tant de pauvreté, signifie montrer un amour sacrificiel, particulièrement envers ceux qui sont dans le besoin.  
  • Vivre Jésus crucifié, signifie aussi ne pas garder le silence devant les injustices, la violence, le sectarisme, le mensonge, les abus de toutes sortes, etc…
  • Vivre Jésus crucifié, c’est également s’engager après avoir reçu gratuitement. Dietrich Bonhoeffer avait lancé cet appel : « Prie et bats-toi pour la justice » !  Pour lui, la grâce nous engage, elle ne peut être une « grâce à bon marché », mais « une grâce qui coûte ». La croix a coûté beaucoup à Dieu. Vivre Jésus crucifié implique une vie de disciple qui coûte. Trop souvent, nous et nos Églises voulons être des disciples sans la Croix. Nous voulons évangéliser sans le coût de la vie de disciple. Nous avons à nous rappeler que « Si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance » (Jn 12, 24). « Ces paroles du Christ laissent entrevoir quel est le secret de la vie. En Jésus, il n’y a pas de joie sans accepter la douleur ni de résurrection sans passer par la mort », dit Chiara Lubich.[1]
  • Enfin, j’ajouterai que vivre Jésus crucifié, nous fait comprendre l’Évangile. L’amour manifesté à l’extrême est celui que Jésus a vécu dans sa passion. « Il les aima jusqu’au bout », dit l’évangéliste (Jean 13,2). Jésus crucifié a vécu tout l’Évangile et accompli toutes les Écritures. « Tout est accompli » : c’est une de ses sept paroles sur la croix. « Jésus crucifié et abandonné est la Parole par excellence, la Parole toute déployée, la Parole complètement manifestée. Il suffisait donc de le vivre, lui. Ainsi tout s’était simplifié. Le vivre, lui, signifiait se vider de nous-mêmes pour être tout pour Dieu, dans sa volonté, et pour les autres », dit encore Chiara Lubich.[2]
  • Ou bien, dit autrement, vivre Jésus crucifié, c’est simplifier sa vie, renoncer à sa propre volonté pour faire celle de Dieu, « se désapproprier », comme le disait Maurice Zundel, ou renoncer à tout ce qui nous sépare de Dieu, comme le dit la prière de Nicolas de Flue, probablement le chrétien suisse le plus provocateur : « Mon Seigneur et mon Dieu, ôte de moi tout ce qui me sépare de toi » !

III. Vivre Jésus crucifié, c’est « ne rien savoir d’autre que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié » (I Cor 2,2)

Jésus crucifié : qu’entend l’apôtre des nations par ces deux mots ? Et, pourquoi n’a-t-il rien voulu savoir d’autre que Jésus crucifié parmi cette communauté ?

Pour Paul, la croix n’est pas seulement ce terrible moment où Jésus est suspendu à un bois à Jérusalem. L’ombre de la croix frôle toute la vie et le ministère de Jésus. Elle est le symbole de l’humilité avec laquelle Jésus a tout vécu.

Déjà, l’incarnation de Jésus est un acte d’humilité : le Fils éternel, vrai Dieu devient vrai homme. Il s’abaisse et assume la chair d’une jeune femme. Les conditions de sa naissance le manifestent clairement : le bois de la crèche annonce celui de la croix.

La vie cachée à Nazareth durant trente ans témoigne aussi de cette humilité. Également son ministère de trois ans où il donne des paroles de vie éternelle, guérit des malades et ressuscite des morts : toujours, il se retire dans le désert pour se mettre à genoux devant son Père.

Devant les oppositions qu’il affronte dès le début, Jésus reste toujours dans la confiance.
Durant son dernier repas avec ses amis, il leur lave les pieds.

Dans le jardin de Gethsémani et le lendemain sur une croix, il vit l’extrême de l’humilité. Au moment même où il a le sentiment d’être abandonné par Dieu, il se tourne vers lui et pardonne à ses bourreaux : « Père, pardonne-leur !… Père entre tes mains, je remets mon esprit » !

Lorsque Paul dit les qualités de l’amour dans son fameux hymne au chapitre 13 de la première lettre aux Corinthiens, c’est en fait l’amour qui a animé Jésus crucifié qu’il chante :

« L‘amour est patient et bon, il n’est pas envieux, ne se vante pas et n’est pas prétentieux ; l‘amour ne fait rien de honteux, n’est pas égoïste, ne s’irrite pas et n’éprouve pas de rancune ; l‘amour ne se réjouit pas du mal, il se réjouit de la vérité. L‘amour supporte tout et garde en toute circonstance la foi, l’espérance et la patience ». (13,4-7)

 Paul en était convaincu : la mort n’a pas pu retenir Jésus crucifié. Dieu l’a ressuscité et désormais le Ressuscité est à jamais vivant parmi nous.

Il désire infuser dans notre cœur son humilité. Il nous donne son Esprit pour faire de nous des ouvriers de vérité et de justice. Le fruit de son œuvre dans nos vies est la paix et l’unité dans la communauté.

Cet appel de Paul est d’une actualité permanente : seul le regard vers Jésus crucifié peut apporter un peu de vérité au milieu de la confusion et un peu de paix dans un monde dans lequel l’on ne cesse de s’accuser les uns les autres.

IV. La croix qui détruit le mur de séparation entre juifs et non-juifs

La troisième image de la croix que j’aimerais vous montrer est un tableau du peintre japonais Soichi Watanabe. 

Il a représenté Jésus, la pierre angulaire réconciliant par sa croix juifs et non juifs, mais aussi toutes les personnes divisées de notre monde. 

Pour vivre ensemble et témoigner dans l’unité, il faut sans cesse regarder au Christ crucifié, la pierre angulaire ou la pierre de faîte. 

Mais, le Crucifié est aussi le Ressuscité : la couleur jaune exprime la lumière de sa résurrection. 

C’est en lui que s’édifie l’Église représentée par les pierres. Le vert qui entoure l’édifice symbolise l’Esprit saint qui porte l’Église, habitation de Dieu, corps du Christ, maison de l’Esprit. 

Le Crucifié-ressuscité est la « pierre d’angle » (2,20). La référence à Jésus est donc indispensable à l’unité et à la croissance de l’Église à travers la mission et l’évangélisation. À moins d’être constamment et solidement attachée à Jésus-Christ, l’Église cessera de grandir, ou se développera d’une manière désordonnée, ou même se désintégrera.

Cette œuvre est une méditation de ce grand texte de la lettre aux Éphésiens. Par la croix, le Christ a fait l’unité entre juifs et non juifs. Il faut toujours revenir à ce texte fondamental. 

« Mais maintenant, en Jésus-Christ, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches, par le sang du Christ. Car c’est lui qui est notre paix, lui qui a fait que les deux soient un, en détruisant le mur de séparation, l’hostilité. Il a, dans sa chair, réduit à rien la loi avec ses commandements et leurs prescriptions, pour créer en lui, avec les deux, un seul homme nouveau, en faisant la paix, et pour réconcilier avec Dieu les deux en un seul corps, par la croix, en tuant par elle l’hostilité. » (Éphésiens 2,13-16)

Une grande hostilité régnait entre juifs et païens. Le mur de séparation du temple de Jérusalem la symbolisait : il n’était pas permis à un païen d’y entrer, sous peine de mort. Il devait rester sur le parvis des païens.

Jésus a détruit cette inimitié : il nous réconcilie avec Dieu et les uns avec les autres. Il détruit le mur de séparation, l’aliénation, la haine. Il crée une nouvelle société, réconciliée. 

Il crée un « Homme nouveau » qui représente la communauté chrétienne. Cette humanité nouvelle caractérisée par la communion entre juifs et païens se réalise et se développe par l’union personnelle au Christ. En lui, juifs et païens forment un « seul Homme nouveau ».

Une réalité qui, aujourd’hui, a pris une nouvelle dimension avec l’essor sans précédent de juifs qui reconnaissent Jésus comme leur Messie. Comment les accueillons-nous dans l’Église ? Comment vivons-nous l’appel de Paul adressé aux juifs et aux non juifs à « nous accueillir les uns les autres, comme le Christ nous a accueillis pour la gloire de Dieu » (Rom 15,20)

Cette nouvelle unité par le Christ et en lui ne se limite pas à combler le fossé entre juifs et païens. Ailleurs, Paul l’applique à toutes les autres divisions sociales. (Col 3,11 ; Gal 3,28).

Soichi Watanabe que je connais personnellement m’avait envoyé une photo de son œuvre, après qu’il ait reçu les divers comptes-rendus de ma participation à la semaine de prière pour l’unité des chrétiens à Jérusalem, en janvier 2016.[3]

C’était dans le cadre des « Montées de Jérusalem », où nous avions prié avec les Églises de la vieille ville de Jérusalem et également avec des juifs qui reconnaissent la messianité de Jésus. 

Il me disait sa joie : ce que nous avons vécu correspondait à ce qu’il voulait exprimer dans ce tableau, à partir d’une méditation de ce texte de la lettre aux Éphésiens. 

Cette photo prise à l’issue d’une célébration de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, dans la cathédrale grecque-catholique de Jérusalem, l’illustre bien : on y voit, à gauche, l’archevêque grec-catholique Jules-Joseph Zerey tenant la main du rabin juif messianique Ruben Berger.  

Quelle joie d’avoir pu prier ensemble les uns avec les autres et vivre un peu cette réalité de « l’Homme nouveau » !

Un seul est capable de « détruire le mur de séparation », de « tuer la haine » et de nous donner de nous rencontrer en vérité : Jésus ressuscité qui se faufile au milieu de nous si nous sommes prêts à vivre sa croix, en renonçant à nous-mêmes. 

Conclusion

« Vivre Jésus crucifié pour annoncer Jésus ressuscité »

Je conclus en revenant sur la résurrection par laquelle j’ai commencé. Pour Paul, le cœur de la bonne nouvelle à annoncer est la victoire de Jésus ressuscité sur la mort et toute division : « Souviens-toi de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts, le descendant de David : voilà mon Évangile », dit-il à Timothée 

Mais on ne peut l’annoncer qu’en vivant en communion avec sa croix dans une profonde humilité, patience et persévérance. C’est pourquoi Paul continue : « C’est pour lui que j’endure la souffrance, jusqu’à être enchaîné comme un malfaiteur. Mais on n’enchaîne pas la parole de Dieu ! C’est pourquoi je supporte tout pour ceux que Dieu a choisis, afin qu’ils obtiennent, eux aussi, le salut qui est dans le Christ Jésus, avec la gloire éternelle » (2 Tim. 2,9-13). 

« Vivre Jésus crucifié pour annoncer Jésus ressuscité ». C’est ce que nous nous efforçons de vivre sur le chemin vers 2033, en invitant toutes les Églises à un pèlerinage d’unité, afin qu’en cette année jubilaire de 2033 chaque personne entende, dans sa propre langue, parmi les 7359 langues de l’humanité, la joyeuse salutation du jour de Pâques : « Le Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité » ! 

Et vous, chers amis, quelle est votre vision pour cette marche vers 2033 ?  N’est-ce pas une merveilleuse occasion de témoignage commun entre tous les chrétiens, de toutes les Églises ? 

En France quels seront les ambassadeurs pour 2033 qui se lèveront pour appeler le peuple de Dieu à l’unité en aimant Jésus crucifié afin d’annoncer à tous Jésus ressuscité ?

A bon entendeur salut !


[1] Chiara Lubich, Parole de vie, avril 2006

[2] Paradis de 1949, §10-11

[3] Voir ma chronique « Prier pour l’unité à Jérusalem ». https://www.hoegger.org/article/prier-pour-l-unite-a-jerusalem/


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