Trois questions sur l’Unité

Voici les réponses de quelques groupes du mouvement des Focolari en France et en Suisse Romande sur une méditation de frère Alois et du texte biblique de Romains 15,1-7, lors de la rencontre (25-27.3.2022) du Département de recherche communautaire à Taizé

Romains 15,1-7

1 « Nous qui sommes forts, nous avons une obligation : prendre à cœur les scrupules des personnes faibles et ne pas chercher ce qui nous plaît.

2 Que chacun de nous cherche à plaire à son prochain pour son bien, de manière constructive.

3 En effet, le Christ n’a pas recherché ce qui lui plaisait. Au contraire, comme le déclare l’Écriture : « Les insultes que l’on te destinait sont retombées sur moi. »

4 Tout ce que nous trouvons dans l’Écriture a été écrit dans le passé pour nous instruire, afin que, grâce à la persévérance et au réconfort qu’elle nous apporte, nous possédions l’espérance.

5 Que Dieu, la source de la persévérance et du réconfort, vous rende capables de vivre en bon accord les uns avec les autres en suivant l’exemple de Jésus Christ.

6 Alors, tous ensemble et d’une seule voix, vous louerez Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ.

7 En résumé, accueillez-vous les uns les autres, comme le Christ vous a accueillis, pour la gloire de Dieu ».

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1. Que nous faut-il, dans un contexte marqué par des antagonismes, pour « être bien d’accord entre nous » (v. 5)?

La première chose, c’est l’écoute. S’écouter les uns les autres, dans une attitude profonde d’écoute intérieure et extérieure.

L’écoute profonde « perd tout » pour laisser de l’espace à l’autre, et permet à l’Esprit Saint d’intervenir, d’inspirer les protagonistes pour les conduire à un accord mutuel, à la concorde.

Il faut aussi l’humilité, comme le dit la méditation de Frère Alois : savoir prendre la dernière place, en mettant en avant l’autre.

Humilité signifie en effet se mettre à la place de l’autre, le justifier, chercher à le voir comme Dieu le voit.

Cela veut dire aussi ne pas interrompre le dialogue. Écouter jusqu’au bout, en essayant de comprendre la pensée de l’autre. Oser aller jusqu’au fond des choses. Savoir qu’il faut aussi du temps et de la persévérance pour résoudre des conflits

Donc, comme nous l’enseignait Chiara Lubich, la fondatrice du mouvement des Focolari, se mettre dans la position d’apprendre car on a toujours beaucoup de choses à apprendre d’autrui.

En un mot : accueillir l’autre tel qu’il est, en nous rappelant que nous sommes des frères et des sœurs, enfants d’un même Père. Accueillir concrètement son prochain signifie être conscients que ce que nous lui faisons, c’est à Jésus que nous le faisons.

Après l’avoir accueilli et écouté, il faut aussi, dans un deuxième temps, donner son opinion sur tel ou tel sujet. Cela conduit à nous respecter les uns les autres dans les différences.

Ensuite, se mettre d’accord implique de créer entre nous un climat de confiance et de bienveillance pour qu’on puisse s’exprimer, dire ce qu’on a en soi.

Sur le plan humain, être en rapport les uns avec les autres, même s’il y a de la bonne volonté, est un défi : on n’y arrive pas nécessairement… Il faut demander l’intervention de Dieu. Comme le dit le verset 5, c’est Dieu qui nous donne. Il faut invoquer la présence de Dieu, qu’il prenne la place primordiale. Puis il faut un chemin personnel de chacun, chacune avec Dieu et ensemble.

Le verset 5 nous parle aussi de la persévérance, cela nous rappelle l’importance de « recommencer ». En effet on n’arrive pas toujours à aimer nos prochains, ni à vivre ce qu’on s’est proposé de vivre mais on a toujours la possibilité de recommencer. Dieu qui est la source de la persévérance nous aide à cela.

En somme « être bien d’accord entre nous » signifie être dans l’amour entre nous. En effet, dans un groupe chrétien, l’appel est de mettre à la base de tout le « commandement nouveau » de l’amour réciproque. Voilà le « bon accord », qui correspond à « l’unité », comme le dit l’Évangile de Jean, et suppose donc une pluralité.

Dans la méditation proposée par frère Alois, il est aussi question de la belle amitié entre les personnes qui ont des pensées et des valeurs différentes. Le bon accord, c’est l’amour qu’il y a entre des personnes qui pensent peut-être de manières différentes mais qui peuvent arriver au respect mutuel. Il ne s’agit pas d’avoir la même pensée ou d’arriver à un même résultat mais que chacune des parties grandisse avec leurs différences.

Une des clés qui peut aider est de ne pas dominer nos frères et soeurs. Cela rejoint ce passage de la méditation qui appelle à prendre la dernière place. Parfois on pense avoir raison et on prend le dessus mais, ce qui aide c’est l’ouverture, l’accueil dans la diversité, l’unité dans la diversité.

Être bien d’accord entre nous, suppose aussi, au départ, une personne unifiée. S’il y a l’ombre d’un conflit, ce conflit doit au préalable être résolu. Qu’il n’y ait aucune ombre, aucun sous-entendu, aucun ressentiment !

Il faut ne pas avoir peur du conflit, ne pas craindre de dire « j’ai été blessé car… » ou « tes paroles ont été exagérées à mon encontre » … Il faut que cela soit absolument clarifié afin qu’il n’y ait aucune goutte d’acide qui persiste.

« L’accord » c’est de savoir que les uns et les autres ont un vécu commun, une histoire qui n’est pas toujours lisse… Il faut l’admettre. De ces antagonismes, il faut penser qu’ils peuvent être une chance afin d’aller plus loin, et plus en vérité.

L’histoire centrale pourrait être celle de Joseph et de ses frères : « Vous aviez projeté de me faire du mal, Dieu l’a changé en bien ». (Genèse 50-20)

Joseph veut pardonner à ses frères, il en a le désir ardent, mais avant de pardonner, il repose le conflit entièrement. Seulement sur ce terrain, où les actions et les pensées ont été dévoilées, une autre relation vraie sera possible.

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2. Quand est-ce que cela me coûte de « chercher à plaire à mon prochain » (v. 2)?

Nous nous sommes demandé, dans un premier temps, pourquoi Paul n’a pas utilisé le verbe « aimer» à la place de « plaire ».

« Plaire à l’autre » n’est pas, pour nous, une expression familière… sans doute parce que nous y percevons le piège de la séduction, de la superficialité, des apparences, d’un sentiment intéressé. A qui veut-on plaire ? Pourquoi cherche-t-on à plaire ?  Certes Paul ajoute « pour son bien, de manière constructive ».

« Aimer son prochain » coûte le plus souvent à cause des préjugés et des perceptions que nous avons de lui, surtout s’il est différent de nous, s’il vient d’une autre culture, professe des idées opposées aux nôtres, ne nous inspire pas confiance ou nous dérange dans nos habitudes…

Cela nous coûte d’aimer lorsque nous avons l’impression qu’il n’y a pas une réciprocité sincère, lorsque nous sommes stressés, impatients, vulnérables, blessés, lorsque nous avons le sentiment d’être trahis ou de devoir perdre notre identité pour nous mettre à la place de l’autre…

C’est difficile d’aimer quand on a été blessé. Que faire quand on se retrouve toujours dans la même difficulté, dans la même situation avec quelqu’un ? Cela nous coûte de faire le pas pour aller au-delà.

Par exemple, comment vraiment écouter un autre qui a un avis entièrement opposé au mien, ou un autre qui agit mal, ou quand il n’est pas disposé à écouter mon avis, ou quand moi-même je ne suis pas dans de bonnes dispositions à l’égard de l’autre ?

Ou encore quand l’autre utilise des arguments tirés de la Bible pour justifier son raisonnement ou son comportement, parfois même abusif, et qu’il prétend me l’imposer.

Ce mot « plaire », pourrait évoquer une relation tordue de laquelle il faut sortir.

On ne parvient pas toujours à plaire à l’autre. Ce qu’on devrait chercher, c’est plutôt de plaire à Dieu. Chercher à plaire au prochain peut être problématique.

Toujours est-il que ce « plaire, pour le bien du prochain, de manière constructive » peut inclure la relation à Dieu. Plaire à Dieu dans son prochain. Concrètement, on peut essayer de tout faire pour que le prochain soit heureux, essayer de lui donner de la joie, mais pas pour soi-même.

En lisant le texte dans son contexte, ce « plaire » rappelle l’art d’aimer enseigné par Chiara Lubich qui invitait à « se faire un » avec le prochain, dans un esprit de service pour comprendre ce dont le prochain a besoin. Se faire un signifie se vider de ses propres préoccupations, de sa tendance à avoir raison et à se justifier.

Après ce « vide de nous-même », il nous faut reformuler le besoin de l’autre, en laissant de côté notre point de vue. Laisser notre point de vue de côté « coûte ».

On essaie alors de mettre en valeur le point de vue de l’autre sans se mettre en avant.

La démarche préalable que recommandait une des responsables des Focolari est qu’il faut « se mettre presque en-dessous » des autres afin de les mettre en lumière. C’est une démarche d’humilité.

« Se faire un » signifie donc s’intéresser à ce que l’autre vit, entrer dans ce qui l’habite. Pour cela, il faut taire en soi le désir de partager sa propre expérience, aussi belle soit-elle.

Parfois, on fait du bien à quelqu’un parce qu’on a envie d’être aimé par la personne, mais ici l’idée est de plaire gratuitement, pas pour soi, mais pour le prochain. Il s’agit aussi de faire ce qui est possible pour le bien du prochain en vue de l’aider à grandir, dans la foi, dans un but constructif.

Revenant à la question, cela coûte souvent de « se faire un » avec l’autre. Il faut perdre quelque chose de soi-même, ses idées, ses désirs… Se faire un c’est aussi faire le premier pas. Cela implique de prendre un risque, car il n’est pas sûr que le désir de faire le bien soit perçu positivement par l’autre.

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3. Quelles sont les occasions où, dans nos communautés, nous glorifions Dieu « d’un même coeur et d’une seule voix » (v. 6)?

Dans notre communauté, louer Dieu d’un même cœur et d’une seule voix se réalise quand on fait le « Pacte d’unité » entre nous. Là en effet, nous sommes dans la même disposition du cœur, unis d’une manière profonde, désireux de nous donner les uns aux autres.

Nous glorifions aussi Dieu quand nous avons le Ressuscité au milieu de nous, grâce à l’amour réciproque vécu.

Nous avons également nos journées de retraite avec la promesse de la présence du Christ au milieu de nous, ou quand nous faisons la méditation ou vivons les moments de prière ensemble. Par exemple lorsque nous disons la prière commune du « Notre Père » et lorsque nous avons conscience que nous avons le même baptême, chrétiens provenant de différentes Églises.

Nous le glorifions également lorsque nous lisons ensemble la Bible et que nous essayons de trouver un sens pour nous éclairer, nous fortifier, nous guider.

Bref tous ces moments où, en communauté, nous éprouvons que « les joies sont multipliées et les souffrances partagées. » Durant les rencontres d’été vécues à la montagne, ce sont aussi les temps de balades, de échanges spontanés et libres qui nous font vivre cette communion. Sans oublier l’humour !

Une autre manière de le vivre est de participer aux célébrations de l’Église de l’autre, pour aimer ce qui est différent et ce dont on n’a pas l’habitude. Donc être capable de vivre ce que vit l’autre, pas seulement dans ce qui nous unit mais aussi dans ce qui est différent. Dans la prière du soir, par exemple, on s’adapte, on fait quelque chose qui peut aller pour tous et toutes, et il y a aussi des moments où on va au culte ou à la messe, et où on adapte le cœur à l’autre.  

Nous rendons aussi gloire à Dieu ensemble dans les célébrations œcuméniques et par des actions caritatives vécues ensemble, en se demandant « qu’est-ce que Dieu veut ? »

Chez les Focolari, la prière dite du « Consenserint », mot latin venant de Mat 18,19 signifiant « se mettre d’accord » dans la prière, est également une manière d’agir « d’un même cœur et d’une seule voix ». Dans cette prière, nous apportons ensemble les difficultés que quelqu’un a exposé.

Trois autres démarches sont encore évoquées : celle du partage de la « Parole de vie » telle qu’elle est pratiquée chez les Focolari, où une parole biblique est méditée ensemble dans le but de la vivre durant tout un mois. La « Lectio divina » participative qui, à travers l’accueil de la Parole dans le silence et le partage permet à la Parole « d’habiter pleinement parmi nous » (Col 3,16). Et le « partage des itinéraires de foi », pratiqué récemment lors du Forum chrétien romand (en lien avec le Forum chrétien mondial), auquel quelques-uns ont participé. (https://romandie.forumchretien.org/forum-chretien-romand-partageons-nos-itineraires-de-foi/ )

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Impressions sur la méditation des propositions pour 2022

La méditation du beau texte de frère Alois (« Devenir artisans d’unité » – https://www.taize.fr/fr_article32839.html ) nous a rejoints dans ce que nous vivons. Cela fait du bien de savoir que d’autres vivent aussi pour l’unité et l’expriment avec d’autres mots.

Cette méditation a été également un examen de conscience : faire grandir l’unité passe par le fait de tisser des relations de confiance.

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Propos recueillis par Martin Hoegger


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