Les religions et la paix avec la création

Castelgandolfo, 2 juin 2024. Les religions ont été sources de sagesse et ont fourni des ressources pour vivre en harmonie les uns avec les autres. Également avec la création. Lors du congrès interreligieux organisé par le mouvement des Focolari, la relation entre les religions et l’écologie a été exploré.

Blesser la création signifie blesser l’humanité

Margaret Karram, la présidente du Mouvement des Focolari, constate que la crise écologique révèle la crise morale de l’homme. Si on se désintéresse de Dieu, on se désintéresse aussi d’autrui et de la création.

Que peuvent alors faire les religions pour soutenir une culture respectueuse de la création ? Dans toutes les religions, on trouve des éléments sur le respect de la création. La fraternité vécue activement peut être leur contribution. La communauté redonne vigueur, espérance, et donne de vivre un sentiment d’appartenance plus vaste : avec Dieu et les uns avec les autres. Leur grand défi est de recomposer l’unité de la famille humaine.

« Ces jours ont permis de vivre une belle expérience de fraternité, constate M. Karram. Nous avons à l’étendre à toute la création.  Nous devenons plus conscients que si nous faisons mal à la création, nous blessons aussi l’humanité. Vivre en harmonie les uns avec les autres conduit à vivre en harmonie avec la création ».

La paix, don de Dieu

Mgr. Paulin Batairwa Kubuya, secrétaire du Dicastère pour le dialogue interreligieux (Vatican), apporte le message du cardinal Ayuzo, son président. Il partage quelques réflexions de fond sur le dialogue. La parole de Jésus « je vous laisse ma paix » rappelle que la paix est un don de Dieu. La déclaration sur le dialogue interreligieux Nostra Aetate (§ 5) rappelle qu’on ne peut invoquer Dieu comme père, si on refuse de voir en autrui un frère. Ainsi toute discrimination détruit l’unité de la famille humaine. Le travail pour la paix a conduit l’Église à travailler avec d’autres religions et institutions.

Le pape François a toujours condamné la guerre comme une folie qui sème la haine. Elle est une défaite humaine qui porte atteinte à la dignité humaine. La raison des guerres est le manque de confiance que la terre est notre maison commune.

Nous sommes membres d’une même famille et la diversité est voulue par Dieu dans sa sagesse, dit le document « Fratelli tutti ». Ce message peut être partagé par tous. Tout effort de dialogue est une contribution à réaliser cette vision d’harmonie. Il ne peut toutefois pas y avoir de dialogue sans conscience de sa propre identité. Une identité claire facilite le dialogue.

« Dieu sous toutes choses »

Jesús Moran, coprésident du mouvement des Focolari, développe la compréhension de la sauvegarde de la création chez Chiara Lubich. Il commence par critiquer le projet du transhumanisme visant à améliorer la condition humaine, par une rationalité progressive. Ceci conduit à exclure ce qui est imparfait et inutile. Sur ce point, les religions ont porté un point de vue différent. Chaque être est digne d’être connu et valorisé. La logique avec laquelle Dieu a créé le monde est inscrit en toutes choses.

C. Lubich, durant un temps passé en 1949 dans les Alpes italiennes, a eu de nombreuses intuitions. L’unité vécue avec ses compagnes les a transformées. Cela les a aussi conduites à une perception différente de la création en laquelle elles découvrent l’amour de Dieu : « Dieu sous toutes choses changeait notre regard sur elles : elles étaient toutes liées entre elles par l’amour, toutes – pour ainsi dire – éprises l’une de l’autre. De sorte que, si le ruisseau se jetait dans le lac, c’était par amour. Si un pin se dressait à côté d’un autre, c’était par amour », écrivait-elle dans son « Paradis de 1949 » (§16-18)

Prendre soin de la création signifie alors pour elle prendre soin avant tout de nos relations. Cela demande une vigilance permanente. Elle tourne son regard vers la trame souterraine de la création : l’amour de Dieu. Toutes les créatures participent au dessein de Dieu sur le cosmos.

L’urgence d’un changement

John Mundell, animateur de la Plate-forme d’action Laudato Sì, pense que la paix avec la création est possible et, par conséquent, appelle à commencer un processus de « conversion écologique ». En vérité, ajoute-t-il avec humour, « inviter est un mot gentil, je voudrais plutôt nous donner un solide coup de pied pour changer » ! Il cite le document Laudate Deum sur l’urgence du changement : « il n’y a pas de changements durables sans changements culturels, sans maturation des modes de vie et des convictions au sein des sociétés, et il n’y a pas de changements culturels sans changements personnels » (§70).

S’engager dans une action qui nous implique nous fait découvrir l’importance entre l’être, le dire et le faire. Et, surtout que nous ne vivons pas vraiment notre foi. Qui parmi nous peut-il dire qu’il vit de manière écologique, demande-t-il ? Il nous appelle à faire un « éco-examen de conscience ».

Pour surmonter les nombreux défis – l’inertie, l’insignifiance, le manque de ressources et de connaissances – il faut trouver des âmes sœurs qui nous encouragent. La Plateforme Laudato si est un de ces lieux pour s’encourager réciproquement et représente plus de 100 millions de personnes.

Le mouvement des Focolari a adhéré à cette plateforme. Il rappelle que C. Lubich a eu cette intuition prophétique : « la santé du corps mystique, de l’humanité, est la paix. Et la santé du cosmos est l’écologie… Une écologie saine est le fondement de la paix. »

Se satisfaire

Kosho Niwano est la petite fille de Niko Niwano, fondateur de la Rissho Kosei-kai, un grand mouvement bouddhiste japonais. Elle évoque le jardin d’un temple de Kyoto où on peut lire « je suis toujours satisfait ». En d’autres mots, l’insatisfaction est le signe que nous ne serons jamais heureux. Le Bouddha a enseigné que la personne satisfaite trouvera la paix intérieure.

Le défi du changement climatique ne peut être résolu par le désir ou la peur, mais par la prise de conscience que nous avons déjà tout ce qui nous est nécessaire. Il s’agit donc de trouver un style de vie plus authentique. Nikko Niwano disait « la nature nous donne tout ». Les religions en réseau peuvent intensifier les actions dans ce domaine. Chacun a sa part à faire. Pour cela, il faut retourner à notre vrai soi et vivre avec la conscience que tout est interconnecté.

Présence de Dieu dans le monde

L’ancien grand rabbin de Genève Marc Raphael Guedj, directeur de laFondation Racines et Sources, apporte une réflexion sur la dimension de la paix avec la création dans le judaïsme. Il note le risque, chez les monothéismes, de dominer la création et d’oublier que le monde est le lieu de la présence divine.  « Il ne s’agit pas simplement d’aller au-delà du monde pour s’unir avec le divin, mais il s’agit de rencontrer ce divin dans le monde ». 

Les philosophes font la différence entre le panthéisme (où Dieu se confond avec la nature) et le « panenthéisme ». Pour le panenthéisme, il y a une présence de Dieu dans le monde, mais la source de cette présence dépasse le monde. Notre responsabilité est d’orienter notre désir, de le ramener à sa source et d’arrêter l’acharnement à la consommation, l’accumulation des biens et des besoins, et d’aller vers une « sobriété heureuse ».

Aider les enfants

Vinu Aram, membre du Shanti Ashram, un grand mouvement gandhien, est émue des paroles de M. Guedj et brandit une marionnette de Gandhi qu’elle vient de recevoir. Pour elle, la paix doit être enracinée dans une vision du bien-être de tous. Il faut rappeler que la prière renforce l’action collective. « Si nous apprenons à vivre ensemble, il y a un million de bénédictions que nous pouvons partager. « Avec l’amour, le dialogue est possible », ces paroles de Chiara sont pour moi la boussole morale qui me guide », affirme-t-elle.

L’indice de pauvreté montre que tant de personnes vivent avec moins d’un dollar par jour. D’autre part, nous vivons, en Occident, dans une sécurité alimentaire sans précédent. Mais, la crise environnementale affectera la sécurité de tous, avec le risque de maladies bactériennes. Gandhi affirmait que la pauvreté est la pire forme de violence. En particulier, celle des enfants. Ceux-ci ne demandent qu’une chose : qu’on les aide.

Mais donner sans amour pour les aider, n’est pas donner. Nous devons dialoguer avec nos enfants pour qu’ils comprennent nos valeurs et non celles du monde. Pour cela, nous devons collaborer entre nous, membres de différentes religions, en mettant en valeur nos bases communes. « C’est ce que nous vivons maintenant. Mais, nous avons à aller plus loin en collaborant davantage, voire à créer une table ronde mondiale. Écoutons au plus profond notre conscience : quel futur laisserons-nous à nos enfants. Nous avons à y réfléchir ensemble ».

Ne pas exclure la spiritualité

Dicky Sofjan, du Consortium indonésien pour les études religieuses, présente la perspective musulmane, en rappelant la sourate du Coran : « si Dieu l’avait voulu, il aurait pu faire de vous une seule communauté » (5,48) Donc les religions ont besoin les unes des autres.

Pour lui, la crise écologique vient d’une crise théologique, d’une crise de la transcendance. Il a travaillé aux Nations unies et s’est rendu compte que beaucoup de personnes ont une vision matérialiste et ne voient pas l’urgence d’impliquer des personnes de foi…alors que la majorité des personnes est croyante (en fait 9 sur 10 dans le monde !).

Il a créé un néologisme : le « heartware » pour indiquer que les motivations du cœur sont centrales. Cependant, les agences de l’ONU n’entendent pas cela. Elles sont bureaucratiques et ne tiennent pas compte de la foi de la majorité des personnes. Elles conçoivent les villes sans foi, ni spiritualité. C’est une absurdité d’exclure la spiritualité des objectifs du millénaire, car les personnes ne sont pas mues par la seule rationalité.

Une de ses tâches est de concevoir des programmes incluant la spiritualité dans l’écologie pour les étudiants en théologie. Dans le Coran et la Bible on parle beaucoup du paradis. C’est un paysage intact, un jardin où coulent des fleuves. Cette sagesse doit être retrouvée et apportée dans le concert des organisations internationales. 

Autres articles sur ce congrès : https://www.hoegger.org/article/une-seule-famille-humaine/


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