Prendre le temps de s’arrêter, de voir et d’entendre

La période de l’Avent et des fêtes voit régulièrement une offensive commerciale, à grand renfort publicitaire. Ainsi, on voit ces temps des publicités clinquantes pour le film « Wicked », mettant en scène deux sorcières, une bonne et une mauvaise, avec quantité de produits dérivés : habits, jouets, etc… Ce n’est pas un hasard que ce film soit lancé à cette époque de l’année. Comme il s’adresse aux jeunes à partir de 10 ans, les réalisateurs sont sûrs de ratisser un large public.

Mais je me pose cette question : qu’auront à l’esprit les jeunes, en arrivant à Noël ? L’image de l’idéal humain que le cinéma propose souvent s’incarne en des héros vainqueurs à force de magie, de puissance psychique ou d’arsenal pyrotechnique. « Ces Noëls-là sentent le souffre et leur clinquant est aussi volatile que celui des guirlandes de pacotille dont nos villes et nos campagnes se parent une fois l’an », ai-je lu quelque part. 

Notre société, axée sur le spectaculaire, est-elle encore en mesure de recevoir le message profond que Noël tente de murmurer ? Avons-nous encore des yeux, des oreilles et un coeur pour le voir, l’entendre et le comprendre ?

Sommes-nous si pressés et stressés que nous n’avons plus le temps de méditer sur le mystère de Noël ?  Je pense à deux livres : celui de Claude Morin intitulé « l’homme pressé » et joué au cinéma par Alain Delon. Il met en scène un homme toujours pressé, qui finit par être terrassé par une crise cardiaque. L’autre livre est son contraire, celui de Christian Bobin : « L’homme qui marche », une méditation sur la vie de Jésus. 

La publicité et la filmographie de l’Avent veulent nous presser de toute part, à commencer par notre porte-monnaie. En revanche l’histoire de Bethléem nous fait marcher sur un chemin intérieur. Si nous y marchons, nous nous mettons à réfléchir pour comprendre le sens profond de nos vies. 

Les temps messianiques

Au début de la prophétie d’Esaïe, Dieu disait de son peuple qu’il a des yeux, mais il ne voit pas, des oreilles, mais il n’entend pas, un coeur mais il ne comprend pas (chapitre 6). Par conséquent, il ne peut pas se tourner vers le vrai Dieu. 

Le texte de ce dimanche décrit ce qui advient lorsque le roi messianique régnera : la justice le droit. Puis le prophète annonce des changements personnels. Il se passera le contraire de ce qui était dit au chapitre 6 : « Les yeux des ceux qui voient ne seront plus fermés, les oreilles de ceux qui entendent seront attentives. Les gens pressés réfléchiront pour comprendre. » (Esaïe 32.3s). 

Les temps messianiques se caractérisent donc par le fait d’avoir des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. On arrêtera de courir après le vent et on prendra le temps de réfléchir en profondeur : «Les gens pressés réfléchiront pour comprendre ». 

Écouter est la vocation du peuple de Dieu

L’écoute est la vocation du peuple de Dieu : « Shema Israël » – « Ecoute Israël, le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un ». (Deut 6,4). Et, cela est, singulièrement, la vocation du Messie. 

L’écoute, en effet, caractérise le Messie : « Chaque matin, il éveille mon oreille, il me réapprend à écouter, comme doivent écouter les disciples. Le Seigneur Dieu m’ouvre les oreilles, et je ne lui résiste pas, je ne recule pas » (Es. 50,4)

Une des plus belles prières de la Bible est celle de Salomon : « Donne-moi un coeur qui écoute », demande-t-il à Dieu qui s’était manifesté à lui (1 Rois 3,9). 

Il s’agit de demander un cœur qui écoute à la foi Dieu et son prochain. 

Selon Dietrich Bonhoeffer le premier service au frère est de l’écouter …avec les oreilles de Dieu :

« Le premier service que l’on doit à l’autre dans la communauté, c’est de l’écouter. De même que l’amour pour Dieu commence par l’écoute de sa Parole, de même l’amour pour le frère commence par l’apprentissage de l’écoute. C’est l’amour de Dieu pour nous qu’il ne nous donne pas seulement sa parole, mais qu’il nous prête aussi son oreille. Ainsi, c’est son œuvre que nous faisons pour notre frère, si nous apprenons à l’écouter.

Celui qui ne sait pas écouter longtemps et patiemment passera toujours à côté de l’Autre et finira par ne plus s’en rendre compte lui-même.

Celui qui pense que son temps est trop précieux pour le passer à écouter, n’aura jamais vraiment de temps pour Dieu et pour le frère, mais seulement pour lui-même, pour ses propres paroles et ses propres projets.

Mais il y a aussi l’écoute à demi-mot, avec la conscience de savoir déjà ce que l’autre a à dire. C’est l’écoute impatiente, inattentive, qui méprise le frère et n’attend que le moment où l’on pourra enfin parler soi-même.

Nous devons écouter avec les oreilles de Dieu, afin de pouvoir parler avec la Parole de Dieu ». (Dietrich Bonhoeffer, de la Vie communautaire).

Dans le Messie, nous sommes prophètes, prêtres et rois

Esaïe annonce aussi que le roi messianique sera bienfaisant : il exercera la justice et protègera son peuple contre les dangers et le conduira vers des sources d’eau de la vie. « Il y aura un roi qui régnera selon les principes de la justice ; et les princes exerceront le pouvoir conformément au droit. Chacun d’eux sera bienfaisant, comme un abri contre le vent, un refuge contre l’orage, un ruisseau dans une terre aride ou l’ombre d’un gros rocher dans un pays torride » (32,1-2).

Ce roi ne sera pas le seul à exercer son autorité, mais il le fera avec ses « princes ». Qui sont-ils, ces princes ? Eh bien, chacun d’entre nous par la foi et baptême en Christ, devient un roi. Nous sommes appelés à exercer une autorité dans la justice et à défendre la vie dans nos diverses responsabilités. 

Nous devenons non seulement rois en Christ, mais aussi prophètes et prêtres. Prophètes pour confesser son nom avec courage et vérité. Prêtres en nous donnant avec générosité aux autres, comme le dit cette magnifique réponse du Catéchisme de Heidelberg, le texte le plus populaire de la piété réformée : 

« Question 32. Pourquoi es-tu appelé chrétien ?

Parce que je suis, par la foi, un membre du Christ et participe ainsi à son onction 

–      pour confesser son Nom (Prophète) 

–      pour m’offrir à lui en un vivant sacrifice de reconnaissance, (Prêtre) 

–      pour combattre dans cette vie, avec une conscience libre, contre le péché et le Diable et régner enfin éternellement avec lui sur toutes les créatures (Roi) »[1]

Actualité de l’appel au contentement de Jean-Baptiste 

Dans le texte de l’Évangile de Luc proposé pour ce dimanche, Jean-Baptiste appelle, justement, à s’arrêter, à voir et à entendre. Il inaugure les temps messianiques en annonçant Celui qui vient : le roi Messie bien plus grand que lui ; il n’est pas digne de délier la courroie de ses sandales. 

Comment réagit le peuple à cet appel ? Il s’arrête et entend l’interpellation du baptiste. Ces temps messianiques que tous attendent pour la fin des temps, sont anticipés par la venue du Messie Jésus, sa vie sainte débordante d’amour, sa mort et sa résurrection.

Depuis sa résurrection d’entre les morts, il est avec nous tous les jours. Son Esprit ne cesse de souffler et nous dit que le moment pour nous arrêter, ouvrir les yeux et tendre les oreilles, c’est maintenant : 

« Aujourd’hui, si vous entendez la voix de Dieu, ne fermez pas votre cœur, comme autrefois » (Hébr. 3,15)

Et que nous dit aujourd’hui l’Esprit saint, à travers le message permanent de Jean-Baptiste ? On le lit dans ces quelques versets : 

« Les foules lui demandaient : « Que devons-nous donc faire ? » Il leur répondait : « Celui qui a deux chemises, qu’il en donne une à celui qui n’en a pas. Et celui qui a de quoi manger, qu’il partage ce qu’il a.

Des collecteurs d’impôts vinrent aussi pour être baptisés et demandèrent à Jean : « Maître, que devons-nous faire ? » Jean leur répondit : « Ne faites pas payer plus que ce qui vous a été indiqué. »

Des soldats lui demandèrent également : « Et nous, que devons-nous faire ? » Il leur dit : « Ne prenez d’argent à personne par la force, ne portez pas de fausses accusations, mais contentez-vous de votre solde. » (Luc 3,12-14)

Pour le dire avec de simples mots d’aujourd’hui : Jean nous dit d’ouvrir les yeux sur ceux qui sont nus pour les habiller, sur ceux qui ont faim pour les nourrir. 

Comment pouvons-nous rester tranquilles alors que tant de personnes dans le monde manquent de quoi se vêtir ou manger ? C’est l’une des grandes questions de notre époque, où la pauvreté et les inégalités ne cessent de croître. Les croyants sont appelés à élargir encore plus leur cœur, à donner encore plus de place aux pauvres et aux faibles pour qu’ « aucun des petits ne se perde ».

Puis Jean appelle à l’honnêteté ceux qui réalisent des opérations financières. 

Il supplie ceux qui communiquent de ne chercher que la vérité. 

Il implore ceux qui portent des armes de ne pas se laisser emporter par la violence. 

Enfin, Jean adjure les soldats de se contenter de leur salaire et à refuser d’extorquer. Je pense que cet appel s’adresse à tous. La pratique du contentement du cœur est possible si notre cœur se remplit de l’Esprit-Saint. Il est la réponse au plus grand problème actuel sous nos latitudes qui est de vivre au-dessus de nos moyens ! 

Un signe de l’urgence de la nécessité de répondre à l’appel au contentement est le montant de la dette en France. Selon le site officiel de la République, au deuxième trimestre 2024, la dette publique de la France s’élevait à 3 228 milliards d’euros, soit 112% du PIB.

Cet appel à se contenter de ce que l’on a s’adresse non seulement aux politiques, mais à chacun d’entre nous. Ce n’est pas une invitation à la résignation, mais un appel à la limite, à la sagesse qui consiste à ne pas suivre aveuglément ses désirs. 

Noël parle de contentement du cœur et de simplicité. 

Bref le Baptiste nous appelle à comprendre le sens du temps dans lequel nous vivons. Ce temps est celui de la simplicité et du contentement du cœur. 

Selon l’apôtre Paul, le temps actuel nous est donné pour nous tourner vers Dieu dans la joie et la prière, et vers notre prochain en pratiquant la bonté. Et le fruit de ce double regard sur Dieu et notre prochain est « la paix de Dieu qui dépasse tout ce que l’on peut comprendre » (Phil. 4,4-7)

Jean, nous dit l’Évangile, est le plus grand des prophètes, mais devant le Christ, il se sent tout petit. Il n’est « pas digne de délier les courroies de ses sandales ». Alors si Jean, qui est le plus grand, s’est ainsi humilié, à combien plus forte raison avons-nous, nous aussi, à chercher un style de vie humble et simple. 

Le temps de l’Avent et de Noël parle de simplicité, d’humilité et de don de soi. J’ai confiance que ce message est tellement plus fort que les films les plus agressifs, ou les productions les plus prestigieuses. Car il y a là, dans la crèche, un Dieu né au milieu de nous, qui irradie ceux qui s’en approchent. 

L’art des icônes et de peintres représente cette lumière intérieure. Alors que dans le cinéma les visages sont éclairés par les feux de la rampe, les tableaux d’un Rembrandt montrent la lumière jaillissant de l’enfant de Marie et éclairant toutes les personnes.

J’ai aussi confiance que cette lumière de Noël saura toucher et agir dans le cœur des jeunes de manière beaucoup plus profonde que toutes les productions du grand cirque de décembre. Les visites de Noël chez les personnes âgées que j’ai pu souvent vivre avec des jeunes me confirment dans cette espérance. 

La rencontre avec Jésus, depuis le premier Noël et, à chaque fois, quand on se rassemble en son nom, que ce soit dans une Église ou dans une maison, ouvre les yeux de notre coeur et nous introduit dans la vraie compréhension. Car, c’est lui au milieu de nous qui est la vraie lumière, la vraie parole, le vrai sens.

Avec lui, nous pouvons marcher sans hâte ni stress, sans haine ni envie. Donnons-lui une place dans notre temps de l’Avent et il nous tirera en avant !

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[1] La Question précédente du Catéchisme de Heidelberg (31) demande : « Pourquoi est-il appelé Christ, c’est-à-dire Oint ? ». Ce texte répond en résumant le triple office du Christ, Prophète, Prêtre et Roi : 

« Parce qu’il a été ordonné de Dieu le Père, et oint du Saint-Esprit pour être notre Souverain Prophète et docteur : c’est lui qui nous a pleinement révélé le conseil secret et la volonté de Dieu pour notre rédemption ;

pour être notre unique Souverain Sacrificateur : c’est lui qui nous a rachetés par le seul sacrifice de son corps et qui intercède continuellement pour nous auprès du Père;

et pour être notre Roi éternel: c’est lui qui règne sur nous par sa Parole et par son Esprit et qui nous garde et maintient dans la rédemption qu’il nous acquise »


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