La paix du cœur dans la tradition chrétienne

Les Églises ont une riche tradition sur la paix. Toutes rappellent que la paix n’est pas d’abord un programme, quelque chose d’extérieur, mais elle commence à l’intérieur de nous. Un cœur pacifié est pacifiant. Durant la récente rencontre oecuménique de « Synaxe » en Roumanie, ce thème a été approfondi.

Dom Johan Geysens, du monastère bénédictin de Chevetogne en Belgique, parle de la paix du cœur dans la tradition chrétienne, avec quelques figures spirituelles importantes. Dans sa « vie de Saint-Benoît », S. Grégoire le Grand dit de lui qu’il « habitait avec lui-même ». C’est pourquoi il ne craignait personne.

Dans l’ « Imitation de Jésus-Christ », T. A Kempis met l’accent sur la paix intérieure en réponse aux sollicitations extérieures. « C’est en résistant aux passions et non en y cédant qu’on trouve la véritable paix intérieure… c’est la voie de la croix qui conduit à une mortification continuelle », écrit-il. La condition nécessaire pour trouver la paix est donc la conversion intérieure : « Quittez-vous et vous jouirez d’une grande paix intérieure » !

Parmi les mystiques espagnols, Thérèse d’Avila avertit sur l’importance de la vigilance contre les pensées importunes : « Que rien ne vous trouble, ni ne vous afflige ». Pour Jean de la Croix, la paix n’est pas possible dans la nuit de l’âme.

La paix se vit dans les contradictions de ce monde, non pas hors du monde. Ainsi, Thérèse de Lisieux témoigne d’une expérience de solidarité avec les pêcheurs, et Thomas Merton avec les inquiétudes de l’homme moderne. Aujourd’hui, le chrétien doit aussi travailler aussi à la paix universelle, à lutter contre des situations de violence et d’injustice dont souffrent surtout les pauvres. Il est appelé à incarner la paix de Dieu, ce « don eschatologique qui appelle notre collaboration ».

Témoins roumains de la paix du Christ

Le métropolite roumain Serafim rappelle que dans l’orthodoxie, la tradition « hésychaste » met aussi l’accent sur l’intériorisation. Toute prière doit être une prière du cœur, pas seulement celle qu’on appelle « prière de Jésus ». La méditation doit descendre dans notre cœur, au moyen de l’ascèse et de la prière. Sans elles, on ne peut pas acquérir la paix du cœur. 

Il a illustré son propos en présentant quelques grandes figures du monachisme. Le monastère de Brâncoveanu a recommencé son activité grâce au père Arsène Boca, un prêtre doué dans plusieurs arts, en particulier en peinture. Il a créé un mouvement spirituel avec Dumitru Stanilonae, grand théologien roumain du 20ᵉ siècle. Ensemble, ils ont retraduit et enrichi la philocalie, une collection de Pères de l’Église, en y ajoutant plusieurs Pères et en la commentant. Ils ont fait paraître quatre volumes jusqu’au début du régime communiste en 1948. Les deux ont alors été jetés en prison. En 1959, 5000 moines ont été chassés des monastères et plus de 2000 ecclésiastiques des différentes Églises ont été emprisonnés.

Comment garder la paix du cœur dans ces circonstances ? C’est la grâce de Dieu mais nécessite aussi une attention constante. Deux maximes apparemment contradictoires sont, en effet, à la base de cette spiritualité : « tout est grâce », et « donne ton sang pour acquérir la grâce » ! Il faut tenir ensemble ascèse et prière.

Arsène Boca avait un don de prédication et de clairvoyance. La foule venait à lui et beaucoup de miracles lui ont été attribués. Il mettait l’accent sur l’importance de la famille chrétienne. Aujourd’hui, les pèlerinages à sa tombe ne cessent pas. 

Serafim Popescu était connu pour sa grande bonté et sa simplicité de cœur. Théophile Paraïan, né aveugle et disciple de Serafim, a été ordonné prêtre malgré son handicap. Grand confesseur et conférencier après la chute du communisme, il a été invité par toutes les universités.

 Le père Cleopa connaissait le psautier par cœur, de même que de nombreux écrits des pères de l’Église qu’il citait durant ses prédications. Il a passé neuf ans en prison. Le père Yohanikè a publié des centaines d’entretiens avec des moines et des moniales contenant une grande sagesse. 

Après la chute du communisme, plus de 2000 nouvelles églises ont été construites, ainsi que plus de 100 monastères. Mais, ce renouveau extraordinaire s’est tari aujourd’hui. La vie monastique a moins d’attrait qu’au temps de la fin du communisme. Il y a aussi moins de vocations au sacerdoce.

Mgr Serafim dit sa reconnaissance à Dieu, car il a connu plus de 50 pères et mères spirituels et a été marqué à vie par leur fréquentation et par la visite des monastères. 

Vrai et faux oecuménisme

Bela Visky est pasteur protestant et professeur de théologie à Cluj. Il appartient à la minorité hongroise qui compte un million de personnes en Roumanie et nous parle de la question de la cohabitation des différentes communautés religieuses.

En se référant à un commentaire de Dietrich Bonhoeffer sur la Béatitude des artisans de paix, il affirme que le chrétien doit procurer la paix de manière active, pas seulement de la vivre de manière passive. Le chrétien accueille les autres en leur souhaitant la paix et préfère souffrir que de faire souffrir quelqu’un. C’est ainsi que les diverses communautés religieuses devraient se relier les unes aux autres.

En Transylvanie, les protestants ont une tradition de tolérance dont ils sont fiers. Aujourd’hui, il y a deux sortes d’œcuménisme. L’un est authentique, l’autre non. Le faux œcuménisme avait la bénédiction du dictateur durant le communisme. Il était purement extérieur et un moyen de propagande. La méfiance actuelle de certains chrétiens contre l’œcuménisme s’enracine dans une réaction à ce faux œcuménisme.

Le vrai œcuménisme est intérieur et vient de l’expérience de persécution durant le communisme, où de vraies amitiés ont été vécues dans les prisons. Par exemple, celle entre Nicolae Steinhardt et des luthériens et des gréco-catholiques. B. Visky recommande de lire le « Journal de la félicité » de Nicolae Steinhardt, où ce juif converti à l’orthodoxie raconte sa joie de la présence du Christ vécue en prison avec des chrétiens d’autres Églises. 

Sa génération de pasteurs est l’héritière de ces deux types contradictoires d’œcuménisme. En général, les Églises vivent en parallèle, sauf durant la semaine de prière pour l’unité. Quand il pose cette question à ses étudiants : « l’œcuménisme est-il optionnel ou appartient-il à l’ADN de la structure de l’existence chrétienne », les réponses seront très différentes en fonction des convictions.

Pour d’autres articles sur ce thème voir : https://www.hoegger.org/article/heureux-les-artisans-de-la-paix/

Image: le repas à Emmaüs. Monastère de Brancovenau


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