La synagogue chassée, symbole de l’exclusion du judaïsme à Nicée. Fresque du monastère d’Abu Gosh (Israël).
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L’année 2025 marquera les 1700 ans du Concile de Nicée, dont le credo a permis de confesser sans équivoque la foi en Jésus-Christ comme « vrai Dieu », contre la doctrine du prêtre Arius qui rejetait sa divinité. Ce concile a été un moment décisif dans le chemin de l’Église et reste d’actualité, car il nous rappelle nos racines chrétiennes communes.
Cependant, des recherches doivent être faites sur des aspects critiques de ce concile, tel que le rôle décisif qu’il a joué dans les relations entre juifs et chrétiens. Le christianisme et le judaïsme se sont alors définis l’un contre l’autre et leur histoire a désormais été davantage une tragédie qu’un enrichissement mutuel.
De plus, le concile de Nicée a aussi conduit à l’éloignement des communautés judéo-chrétiennes composées de disciples juifs de Jésus, qui existaient encore à l’époque.
Lieux de séparation entre chrétiens et juifs à la suite du concile de Nicée
L’apôtre Paul avait la vision d’une Église où juifs et gentils sont réconciliés grâce à l’œuvre de Jésus-Christ, mais en gardant la distinction au sein de l’unique communion ecclésiale de foi (Éphésiens 1,13-14 ; Romains 15,7-13). Ensemble, ils forment le « mystère de l’Homme nouveau » (Éphésiens 2,11-18).
Mais, très tôt, à la fin du premier siècle déjà, cette vision a été battue en brèche, au nom d’une « théologie de la substitution » selon laquelle les promesses données à Israël sont considérées comme caduques et concernent dorénavant l’Église. D’autre part, l’Église issue des nations a progressivement tenté d’assimiler les juifs croyants en Jésus-Christ.
Toutefois, bien que la question reste débattue, des communautés judéo-chrétiennes ont survécu jusqu’au 6e siècle.
A Rome, par exemple, le souvenir d’une Église composée de juifs et de gentils perdurera, comme le montre la mosaïque de l’Église de Sainte Sabine représentant l’« Ecclesia ex circumcisione” (l’Eglise issue de la circoncision) en face de l’”Ecclesia ex gentibus” (l’Eglise issue des nations).

Voyons maintenant quelques lieux où, à la suite de Nicée, les conciles et les synodes ont voulu marquer la séparation entre juifs et chrétiens !
- Refus de la convivialité entre juifs et chrétiens
Ce que ces conciles indiquent par leur volonté de marquer une nette distanciation entre juifs et chrétiens est qu’il existait une vraie convivialité entre juifs et chrétiens au début du IVe siècle. Par exemple, le concile d’Elvire (en Espagne) a décrété en 306 : « Si l’un des prêtres ou des croyants prend son repas avec un juif, nous décidons qu’il ne participe pas à la communion afin qu’il se rachète ». (Canon 50)
- Rejet du Shabbat
La décision de l’empereur Constantin, en 321 de faire du dimanche le jour du repos dans son empire, a conduit l’Église à interdire aux chrétiens de se reposer le jour du shabbat, comme le faisaient les juifs et les communautés judéo-chrétiennes, sous peine d’anathème.
Quatre décennies après Nicée, un canon du Synode de Laodicée – un concile régional, vers 364 en Asie Mineure – défend aux chrétiens de « judaïser et garder le repos du sabbat… S’ils persistent à judaïser, qu’ils soient anathèmes auprès du Christ ». (§29)
- Rejet des fêtes et des pratiques de piété juives
Les canons ont aussi voulu cadrer les pratiques de piété et la participation aux fêtes. Ainsi, le synode de Laodicée prescrit « On ne doit accepter des Juifs ou des hérétiques aucun cadeau de fête, ni célébrer des fêtes avec eux. On ne doit pas accepter des Juifs des azymes, ni communier à leurs impiétés » (§37-38).
- Rejet de la datation juive de Pâques
L’argument central pour justifier la décision de célébrer Pâques le premier dimanche suivant la pleine lune de l’équinoxe du printemps, et non le 14 Nisan, comme le faisaient les Églises issues du judaïsme, est que cette seconde pratique se fonde sur la pratique juive de datation, dont il faut se distancer.
Devenu disciple de Jésus-Christ, l’empereur Constantin avait une haute vision de sa mission et était convaincu de l’importance de l’unité de l’Église pour la paix sociale…mais pas avec le peuple juif. Sa présence à Nicée a donné à ce concile autorité et prestige. Dans la lettre qu’il a écrite pour annoncer les résultats du concile de Nicée auquel il a participé, il affirme que suivre la pratique des juifs est « indigne » et qu’il faut « nous séparer de la détestable compagnie des juifs ».[1] Tout signe donnant à penser que l’Église était dépendante du peuple juif pour sa foi et sa pratique doit être rejeté.
- La foi en la divinité du Christ : un marqueur d’identité contre les juifs.
La négation de la divinité du Christ par le prêtre alexandrin Arius constituait un défi encore plus grave pour l’unité de l’Église que la date de Pâques. Quelle que soit la parenté historique de l’arianisme avec des penseurs juifs, le Credo de Nicée trace une distinction nette entre l’orthodoxie chrétienne et le judaïsme. L’incarnation de notre Seigneur, sa divinité ainsi que le mystère de la Trinité deviennent les marques de la foi chrétienne.
Nicée et les conciles qui l’ont suivi ont souligné l’identité de Jésus comme « vrai Dieu » et « vrai homme ». Les textes confessionnels de la Réforme protestante ont considéré cette christologie comme fidèle aux Écritures. Comme « réformé confessant », je la reçois aussi.[2]
Toutefois, je déplore que le credo de Nicée et les credos ultérieurs aient gommé toute référence à l’humanité juive de Jésus et à son enracinement dans l’histoire de son peuple. En vérité, Jésus a été « vrai juif » et le dialogue judéo-chrétien actuel permet de redécouvrir sa judéité qu’il ne faut jamais passer sous silence.
Le point de vue d’un théologien juif messianique sur Nicée
Pour Mark Kinzer, coprésident du dialogue entre le Vatican et le judaïsme messianique, le problème le plus grave est que l’Église issue de la circoncision n’était pas représentée à Nicée. Pour lui, c’était un concile de l’Église des nations, pas un concile universel. De plus, en gommant toute référence au peuple d’Israël et à son rôle crucial dans l’histoire des relations de Dieu avec le monde, le problème relatif au credo est la « substitution par omission ».
« Nicée représente donc un moment décisif dans l’histoire de la substitution chrétienne, où l’Église chrétienne, en alliance avec l’empereur romain, a formellement renoncé à sa constitution bilatérale. De manière consciente et décisive, l’Église s’est détournée du peuple juif et s’est tournée vers l’empire romain », écrit-il. [3]
Toutefois, Kinzer pense que ce credo doit être pris au sérieux et traité avec respect par les juifs messianiques, car il résume l’enseignement essentiel et durable de l’Église issue des nations.Il constate aussi que dans les milieux où la fidélité à l’orthodoxie de Nicée décline, la foi et la vitalité spirituelle des Églises s’affaiblissent.
Conclusion : réparer les relations
A Nicée, l’Église a décrit, de manière abusive, le Juif comme la représentation de « l’autre », du « différent » avec lequel on ne veut pas avoir de relations. L’héritage de Nicée reste essentiellement celui d’un rejet du judaïsme par le christianisme. Alors comment commémorer les 1700 ans du Concile de Nicée dans le contexte des relations judéo-chrétiennes actuelles ?
- Nourrir des relations fraternelles
Pour œuvrer à la réparation de ces relations, il faut nourrir la fraternité entre juifs et chrétiens, en avançant dans une meilleure connaissance mutuelle par des dialogues et l’entraide, en nous visitant, en répondant aux invitations de nos sœurs et frères juifs, en participant à leurs offices religieux, en mettant l’accent sur les relations, plus que sur les institutions.
En 2022, j’ai fait une retraite spirituelle dans le monastère d’Abu Gosh, à une vingtaine de kilomètres Jérusalem. Dans l’église construite par les Croisés au 11e siècle, on peut voir de nombreuses fresques. L’une d’entre elles m’a frappé : celle d’un ange repoussant une femme qui tient une lance brisée et dont le visage est empreint de frayeur et de désarroi. Avec l’inscription « Synagoga », elle représente le judaïsme exclu par le christianisme, comme au concile de Nicée (voir l’image ci-dessus)
« Tandis que je contemple la Synagogue, mes pensées m’entraînent à travers le temps. Des photos de juifs du 20e siècle avec ce même regard empreint de frayeur et de désarroi aux côtés de ceux qui les haïssent et les chassent sans la moindre hésitation », écrit le peintre juif Peter Maltz à propos de cette fresque.[4

Mais, à la lumière des relations que P. Maltz a entretenues avec les moines et moniales d’Abu Gosh, il a dessiné cette esquisse exprimant ce qu’il éprouve vraiment. L’ange embrasse maintenant la synagogue !
« Mon expérience de la religion chrétienne a été marquée par la guérison et la compassion et non par une volonté de rejet », dit l’artiste peintre à la suite de son compagnonnage avec les moines et les moniales d’Abu Gosh ».
- Humilité et repentance
Pour préparer le jubilé de l’an 2000, le pape Jean-Paul II avait appelé à la repentance et à la conversion. Sa prière de demande de pardon au peuple juif au « Kotel », le Mur occidental à Jérusalem, durant ce jubilé, a été un moment symboliquement très fort.La réparation ne peut pas se réaliser sans humilité ; celle-ci permet la repentance qui ne doit pas cesser d’accompagner la rencontre entre juifs et chrétiens. Après le jubilé de l’an 2000, celui des 1700 ans de Nicée en 2025 sera à nouveau l’occasion, pour les Églises de condamner les manifestations d’antijudaïsme qui se sont alors exprimées, comme les manifestations antijuives actuelles. Passer sous silence cette dimension problématique du Concile de Nicée signifierait être d’accord avec elle.
La repentance est une composante essentielle de la tradition des jubilés. Dans l’Ancien Testament, l’année jubilaire commence et se termine, en effet, au jour du Grand Pardon (Lév. 25,8s). Dans une interview, le patriarche de Constantinople Bartholomée 1er a évoqué la nécessité de la dimension pénitentielle pour que le jubilé des 1700 de Nicée en 2025 soit authentique.[5]
J’espère que lors des commémorations du concile de Nicée en 2025, il y ait aussi une rencontre entre les plus hauts représentants du judaïsme et ceux des Églises. Que ces responsables ecclésiaux reconnaissent la tragique exclusion du judaïsme à Nicée et donnent une fraternelle accolade à leurs frères et sœurs juifs, comme l’ange embrassant « Synagoga », si bien dessiné par P. Maltz. Et que cette étreinte soit « le début d’un nouveau départ », comme nous y a invité le récent séminaire avec ce titre !
3. Redéfinir les relations avec « l’Église issue de la circoncision »
Le jubilé de Nicée permettra aussi une réflexion sur la relation avec l ‘« Église issue de la circoncision », éclipsée lors de ce concile. Sa renaissance actuelle, durant les 50 dernières années, est un appel puissant adressé à toutes les Églises.Comment transformer cette éclipse en accueil réciproque ? C’est la question que pose l’initiative « Vers un second concile de Jérusalem », dont la réponse est claire : convoquer un concile dans lequel les communautés de juifs reconnaissant la messianité de Jésus sont parties prenantes, contrairement aux sept conciles « œcuméniques », depuis le premier à Nicée.
Que l’année 2025 soit aussi une étape importante dans le pèlerinage vers 2033, le grand jubilé des 2000 ans de la résurrection de Jésus le Messie, lumière des nations et gloire d’Israël (Luc 2,32).[6] Prions et travaillons pour une grande effusion de l’Esprit durant cette année et le chemin qui y mène, afin que l’Église corresponde davantage à ce que son Seigneur a voulu pour elle : une communion dans son amour entre juifs et gentils !
[1] Eusèbe de Césarée, Vie de Constantin III,18
[2] Durant le séminaire « Depuis Nicée, marcher ensemble vers l’unité. Le début d’un nouveau départ » (voir note 1), j’ai apporté une contribution sur le Credo de Nicée en montrant son actualité pour faire face à des tendances « néo-ariennes » du protestantisme : Le Credo de Nicée dans le protestantisme : rejeté, facultatif ou normatif ? https://www.hoegger.org/article/nicee-protestantisme/
[3] Mark Kinzer, Scrutant son propre mystère, Parole et Silence, Paris, 2016, p. 281
[4] Peter Jacob Maltz, « Synagoga », In Jean-Baptiste Delzant, L’église d’Abu Gosh. 850 ans de regards sur les fresques d’une église franque en Terre Sainte, Tohu-bohu – Archimbaud, Paris, 2018, p. 218.
[5] Dans une interview du journal italien Avvenire (13.2.2021). Voir : https://www.avvenire.it/chiesa/pagine/intervista-bartolomeo-patriarca-ecumenico-di-costantinopoli
[6] Sur ce Jubilé, voir https://www.jc2033.world.fr/
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