Message de Noël

« Tu brises aujourd’hui le joug de l’oppression, qui pèse sur ton peuple » (Esaïe 9,1,3).

Cette parole forte du prophète Esaïe nous dit le sens de Noël : l’enfant qui naît à Bethléem est le libérateur, qui brise toute oppression.

C’est ce que le prophète attendait, alors que son peuple était opprimé, en exil. Il annonce la libération qui est lumière et joie immense : « Le peuple qui marchait dans la nuit voit une grande lumière. » Et le signe surprenant de cette victoire est la naissance d’un enfant, un roi promis, qui a pour vocation première de rétablir le droit et l’ordre voulu par Dieu : Car un enfant nous est né, un fils nous est donné… ». 

En ce temps éloigné, l’empire assyrien opprimait le pays d’Israël. Dans la succession des temps, d’autres empires viendront : les babyloniens, les perses, l’empire hellénistique, puis l’empire romain. D’autres encore se succèderont jusqu’à aujourd’hui…

Dans l’organisation politique, il y a toujours trois ensembles : l’empire, la royauté (ou la nation) et le peuple. Dans le texte de Luc, l’empereur Auguste exerce son pouvoir en ordonnant un recensement, un instrument de contrôle, qui lui permettra de mieux assoir son pouvoir. Le roi, c’est Hérode, corrompu et violent, à la solde de l’empereur. Il exerce une cruelle oppression, dont les Evangiles donnent un écho : le massacre des saints innocents et d’autres massacres, les impôts levés pour ses fastueuses constructions et pour le tribut dû à Rome.

Le peuple est représenté par la famille venue de Nazareth et les bergers. Ils sont pauvres. Dieu vient dans notre monde non du côté de ceux qui tiennent les rênes du pouvoir, mais du côté des humbles et des petits, qui souffrent des conséquences de l’égoïsme des puissants. Il vient ainsi afin d’opérer un renversement. Comme Marie le dit dans son chant : « Il renversé les puissants et il a élevé les humbles ».

Aujourd’hui également, des empires déterminent des nations et oppriment des peuples. Alors le message de Noël est plus actuel que jamais. C’est aujourd’hui qu’un Sauveur nous est né afin que maintenant il brise les jougs de toute oppression.

Quels sont les jougs qui aujourd’hui oppriment ? Il n’en manque pas. Le mur de Berlin a disparu, mais plusieurs nouveaux murs ont surgi un peu partout. La peur du terrorisme est un joug quasi permanent ; les états dépensent des milliards pour s’en protéger. On pensait que la liberté religieuse serait enfin acquise, mais partout elle est en train de reculer. Et puis, il y a chez nous quantité de personnes qui sont les signes visibles de l’oppression. Les réfugiés nous rappellent à chaque coin de rue l’existence de pouvoirs politiques opprimants, ou encore de pouvoirs économiques qui accaparent les biens de notre planète pour le bien-être de quelques uns. Ils sont un appel permanent adressé à nous, riches, de vivre plus simplement afin que le pauvre puisse simplement vivre. Tant de personnes dépendantes de la drogue, de l’alcool, de la fumée cherchent à se libérer de ces autres jougs. D’autres oppressions sont encore plus subtiles, comme celles des moyens de communication, qui exercent une quasi-hégémonie idéologique. Et puis, il y a tant de personnes opprimées par une mauvaise santé, ou bien encore spirituellement, en vivant dans le non-sens. La Suisse n’a-t-elle pas le triste record des suicides chez les jeunes ?

« Tu brises aujourd’hui le joug de l’oppression qui pèse sur ton peuple »

Que dit alors Noël face à toutes ces oppressions ? Il nous dit ce qu’Esaïe annonçait il y a fort longtemps : « Tu brises aujourd’hui le joug de l’oppression qui pèse sur ton peuple »Et pourquoi ? « Car un fils nous est né, un enfant nous est donné ». Cela est aussi dit aux bergers par les anges : « aujourd’hui, un Sauveur vous est né » ; cela nous est dit à nous qui écoutons l’Evangile. Et quel est le signe que Dieu est intervenu de manière décisive ? L’Evangile le dit : « Voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ».

Le signe que les bergers reçoivent n’est pas un signe glorieux, mais un signe pauvre : un enfant qui naît dans la pauvreté d’une étable. Le signe de Noël est tout entier là-dedans : le Messie est un enfant pauvre, né dans la pauvreté.

Ce signe appartient aussi à toute l’humanité. A l’humanité souffrante qu’elle soit riche ou pauvre, car une princesse dans son palais souffre autant en accouchant que Marie dans son humble étable. Noël, c’est d’abord un accouchement avec tout ce que cela représente de souffrances, depuis Eve. Noël c’est certes la douceur et la joie, mais nous sommes toujours tentés de fermer les yeux devant la pauvreté nue du nouveau-né, de nous boucher le nez devant la puanteur de l’étable et de cacher la souffrance. Nous nous concentrons sur la lumière, la gloire des anges, le faste des Mages. Mais à Noël, Dieu a à jamais réuni ces deux choses que sont la pauvreté et la gloire, la souffrance et la joie, l’enfant fragile et le Seigneur tout-puissant. Ne séparons pas ce que Dieu a uni !

Noël s’adresse donc en priorité à tous ceux dont ces fêtes sont colorées par la souffrance : maladie, épreuve, événement douloureux. Noël leur redit que Dieu les prend au sérieux dans ce qu’ils vivent. Bien plus, qu’il y participe intensément, physiquement, puisqu’il a choisi d’assumer notre humanité dans le sein d’une vierge et d’en sortir en souffrant comme toutes les femmes et les enfants sur cette terre.

Ainsi depuis Noël, derrière chaque douleur, il y a un écho du cri du Christ nouveau-né, comme il y a un écho du cri de Jésus abandonné par lequel il est retourné vers son Père. La crèche et la croix sont faites avec le même bois. Nous pouvons donc tout mettre dans la crèche, comme dans la croix : nos réussites, mais aussi ce qui est allé de travers, ce qui est triste et ce qui fait mal.  

Si nous savons donner nos souffrances à Jésus, qui les a vécues, alors celles-ci sont brisées. Elles ne sont plus pour nous un joug qui opprime, même si peut-être la douleur ne disparaît pas immédiatement. Ayons donc ce réflexe d’apporter nos épreuves à Jésus, à l’exemple des Mages apportant leurs cadeaux. Elles seront l’or, l’encens et la myrrhe les plus précieux que nous pourrons déposer à la crèche.

« Tu brises aujourd’hui le joug de l’oppression qui pèse sur ton peuple »…

C’est aujourd’hui qu’a lieu la fin de l’oppression, pas demain, ni hier. C’est maintenant que Dieu accomplit cette libération. Car « aujourd’hui vous est né dans la ville de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur ». Cet aujourd’hui de la grâce et de la libération se réalise maintenant quand nous entendons cette Parole (Luc 4). A ceux qui sont pauvres, pleurent et sont persécutés, c’est maintenant que leur est donnée l’encouragement de la présence du Royaume. C’est maintenant que la grâce actuelle agit. Croyons-le et attendons avec confiance la venue du Seigneur, qui réalise ce qu’il dit.

Quand nous allons avec les bergers vers Bethléem pour contempler le Christ, nous découvrons non seulement un enfant, mais en lui, le Verbe qui était au commencement et qui est Dieu et en qui est la vie plus forte que la mort, la douceur qui apaise toute douleur. En tant qu’homme, il a eu un commencement, mais en tant que Verbe, il n’a pas eu de commencement. Il introduit dans notre monde la vie sans mesure.

Si nous vivons avec lui, rien ne pourra nous enfermer de manière définitive, nous pouvons toujours être libérés. Nous pourrons chaque jour recommencer, car le Verbe sans commencement apporte en Jésus la nouveauté sans fin.

Noël, ce n’est donc pas seulement un anniversaire qui revient chaque année, mais c’est une force de libération, de renouveau et de recommencement. Comme Jésus était entre Marie, Joseph et les berges, il y a deux mille ans, Il est aussi présent parmi nous, en tant que ressuscité : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ». Lui qui était au commencement de tout, est venu dans notre monde afin de demeurer à jamais parmi nous pour nous offrir chaque jour ce que Noël nous dit une fois l’an, que Dieu nous aime, qu’il s’est fait homme pour nous donner une espérance, pour nous assurer que nous pouvons toujours recommencer avec lui.

La crèche de S. François

L’exemple de François d’Assise nous aide à comprendre ce mystère d’amour gratuit de Jésus, qui nous est désormais à jamais offert, dans un recommencement sans fin. À l’approche de Noël, François dit à son ami Jean Velita : « Cette année, je veux évoquer le souvenir de l’Enfant qui naquit à Bethléem et tous les désagréments qu’il endura dès son enfance ». Son but n’était pas de faire une représentation sacrée, comme on le croit généralement. Il voulait « voir », toucher du doigt en quelque sorte, l’amour de Dieu qui, pour être auprès de nous, accepte de naître dans la froideur de ce monde. Et François ajoutait que ce mystère d’amour se réalise chaque fois que l’Eucharistie est célébrée.

Chaque sainte cène est comme Noël. François le répétait souvent à ses frères : « Voyez-vous, chaque jour le Fils de Dieu s’humilie, comme le jour où il est descendu de son trône royal dans le sein de la Sainte Vierge ; chaque jour, il vient vers nous sous une humble apparence ; chaque jour, il descend du sein du Père sur l’autel dans les mains du prêtre. Et comme il est apparu aux saints apôtres dans sa vraie chair, il se montre à nous dans le pain consacré ». Cette nuit-là, la crèche de Greccio ne fut pas une sainte représentation, mais une célébration eucharistique dans une mangeoire, dans le froid et dans la pauvreté d’une étable. Et au moment de la lecture de l’Evangile, François qui était diacre le chanta. Cette nuit-là François fut l’ange qui annonça à ceux qui étaient autour de lui la grande joie de Dieu qui venait habiter parmi les hommes.

Approchons-nous donc avec confiance de la table de communion, pour toucher le Verbe de Vie, pour goûter combien le Seigneur nous aime, pour accueillir l’Emanuel, le Dieu qui est avec nous, et non pas contre nous, afin que tout joug soit brisé, afin que nous ne soyons contre personne mais que nous apportions à tous la confiance qu’en Lui tout recommencement est possible.


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