Jean 17 et l’unité spirituelle

Le grand texte sur l’unité spirituelle est la prière que Jésus adresse à son Père dans l’Évangile de Jean. On a décrit ce texte comme la « prière sacerdotale » : Jésus, le grand prêtre de notre foi priant pour ses disciples et pour tous ceux qui croiront en Lui. Agissant là où deux ou trois s’unissent dans son amour, il continue à intercéder pour nous. (Mat 18,20-21)

On l’a appelé aussi le « Testament de Jésus » : ce qui lui tient le plus à cœur et qui est une synthèse de tout son Évangile. « Rien n’a plus de valeur que l’unité : parce qu’elle est au cœur du testament de Celui que nous voulons aimer par-dessus tout », écrivait Chiara Lubich.[1]

Voici donc une méditation – non une exégèse de détail – sur quelques versets de Jean 17,11-23, où on trouvera quelques accents de la spiritualité de l’unité de cette dernière.

V 11 « Père saint, garde-les en ton nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un comme nous sommes un. »

L’essentiel est dit d’emblée dans ce verset : être unis entre nous comme Jésus est uni avec le Père. Qu’est-ce que cela signifie ? Pouvons-nous comprendre un si grand mystère ?

Nous pressentons qu’il doit s’agir de quelque chose d’immense. Nous ne pouvons que demander au Père de nous faire pénétrer dans ce mystère de communion et de nous montrer comment le vivre. Seul Jésus en connaît les dimensions, lui seul donc peut nous révéler le chemin de cette unité avec le « Père saint » – en même temps transcendant et tout proche – et entre nous.

V. 13 « Mais maintenant je vais à toi…pour qu’ils aient en eux ma joie dans sa plénitude ».

Jésus parle de la joie. Faire l’expérience de l’unité procure une joie.  Quelle est la joie de Jésus ? Celle d’être toujours uni au Père. Quand nous sommes en communion avec lui et les uns avec les autres, nous recevons une grande joie.

Mais inversement, lorsqu’il y a des divisions entre nous ou une absence d’amitié, la joie disparaît. Et quand la joie n’est plus là, rien ne sert d’accumuler les actions. Mieux vaut faire une chose toute simple dans l’unité – même si elle est imparfaite – que d’accomplir une grande chose avec des divisions, mais d’où la joie est absente.

V. 15. « Je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du Mauvais ».

Quel est le monde dans lequel nous vivons l’aventure de l’unité ? Nous le savons, ce monde est ambigu. Il est à la fois la création de Dieu et reste l’objet de son amour, mais il est aussi en opposition avec Dieu. Jésus demande que nous soyons gardés du Mauvais, c’est-à-dire du « Diabolos », celui qui veut tout diviser. Quels sont aujourd’hui les lieux de fracture dans nos vies, dans l’Église et dans la société ? 

V. 18 « Tu m’as envoyé dans le monde ; de la même façon, je les envoie dans le monde »

En lisant et relisant ce grand texte, trois points me sont apparus avec clarté : l’envoi, la sanctification et l’unité.

Il me semble tout d’abord que le coeur de cette prière de Jésus est l’envoi de ses disciples

Jésus sait qu’il va retourner auprès de son Père. Qui va, après son départ, continuer l’œuvre qu’il a commencée ? Ce sont ses disciples qui l’ont accompagné durant ses trois années de ministère. Et ces disciples représentent chaque croyant jusqu’à aujourd’hui.

Toujours dans l’évangile de Jean, Jésus confirme cet envoi dans les premières paroles à ses disciples dans la Chambre haute, après sa résurrection :

« Jésus leur dit encore une fois : « La paix soit avec vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Après ces paroles, il souffle sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint » (Jean 20,21-22).

L’identité de Jésus est d’être envoyé : « comme le Père m’a envoyé », de même l’identité de ses disciples : « moi aussi je vous envoie ». L’identité de Jésus est missionnaire. C’est la nôtre aussi. Cette identité n’est pas réservée à quelques-uns, mais décrit toute personne désireuse de suivre Jésus.

Notons encore ces trois mots : « Recevez l’Esprit Saint ». La mission se fera dans la force de l’Esprit-Saint. Jésus est le Messie rempli de l’Esprit. C’est dans l’Esprit-Saint qu’il a tout vécu. Il nous donne son Esprit pour être ses témoins. Être chrétien signifie être habité par l’Esprit, puisque « chrétien » vient de « Christ », qui traduit « Messie ». Ce mot signifie justement être rempli de l’Esprit-Saint.

Sanctification et unité :  les deux conditions de l’envoi

Pour être un témoin du Christ, pour qu’à travers nous le monde sache et croie que Jésus est l’envoyé du Père et soit sauvé, il y a deux conditions indispensables. Ce sont les deux autres points centraux de ce texte que je voudrais maintenant aborder.

Ces deux points sont la sanctification et l’unité. La mission se vivra dans la sanctification et l’unité.

Nous avons à nous sanctifier nous-mêmes en vivant la Parole de Dieu, comme Jésus s’est sanctifié en vivant la Parole de Dieu. « Sanctifie-les par la Vérité. Ta Parole est la Vérité » (v. 17). « Pour eux je m’e sanctifie moi-même pour eux. Alors ils seront eux aussi sanctifiés par la vérité (v.19).

C’est par la Parole de Dieu que nous nous sanctifions. Comme Jésus a vécu la Parole jusqu’au bout, en aimant Dieu et les siens jusqu’à l’extrême, notre vocation est aussi de ne rien faire sans la Parole de Dieu.

La deuxième condition pour être envoyé à la suite de Jésus est l’unité spirituelle, sur le modèle de la Trinité : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous, eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jean 17,21).

C’est une unité relationnelle qui n’est pas à opposer à l’unité « rationnelle », théologique. Mais elle doit venir avant toutes choses, comme le dit l’apôtre Pierre : « Avant tout, aimez-vous ardemment les uns les autres » (I Pierre 4,8).

C’est cet « avant tout » qui importe. Nous avons donc à vérifier la qualité de nos relations avant d’entreprendre quoi que ce soit.

V. 20.  Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi : que tous soient un… »

Que tous soient un ! La destinée de chacun est l’unité. Une unité riche, car elle est relationnelle, à l’image des relations qui unissent Jésus au Père. Nous ne pouvons donc plus nous côtoyer sans nous rencontrer, ni vivre dans l’indifférence les uns à l’égard des autres. 

Par notre foi et notre baptême, le Christ nous a unis à lui ; nous lui appartenons et rien ne pourra nous séparer de Lui. Mais il nous a unis aussi les uns aux autres, nous nous appartenons réciproquement et nous ne devons permettre à personne de nous séparer les uns des autres.

V. 21. « Comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient un en nous eux aussi.»

Être un dans la Trinité, c’est vivre à la manière de la Trinité. Et comment vivent le Père et le Fils ? Toujours tournés l’un vers l’autre dans l’amour ! Voici donc notre idéal le plus élevé.  « Avant d’exprimer le désir ardent de Jésus que soit surmonté toute fracture ecclésiale, le texte révèle ce qui constitue au plus profond l’existence chrétienne selon Jean : le UN du Père et du Fils, auquel les croyants participent et qu’ils expriment dans leur dilection fraternelle », dit X-L. Dufour. [2]

Cet idéal n’est pas abstrait ; Jésus nous a révélé à travers sa vie ce que signifie être « tourné vers Dieu » (Jn 1,2). Jusqu’au bout, et surtout sur la croix, il n’a pas cessé d’aimer le Père, même quand il a eu le sentiment terrible d’éprouver son absence et son abandon. Il n’y a pas d’unité sans un regard sur Jésus crucifié.

Dans le même évangile Jésus dit : « Pour moi quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi ».  (Jean 12,32)

Élevé de la terre autant dans sa mort que sa résurrection, Jésus sauve tous ceux qui mettent en lui leur confiance (3,14s) et ainsi unit l’humanité en lui. Ce n’est pas par ses paroles et ses miracles que Jésus nous unit, mais pas sa croix.[3]

Si nous sommes fidèles à sa croix, en accueillant avec foi les épreuves de la vie et en demeurant dans l’amour réciproque, Jésus continuera à attirer, à travers nous, l’humanité à lui.

V. 21b. « Afin que le monde croie que tu m’as envoyé ».

On oublie souvent cette seconde partie du verset. La conséquence de l’unité doit être la foi, la conversion du monde. Inversement, ce sont les divisions entre les chrétiens, lesquelles ont conduit jusqu’aux guerres religieuses, qui ont fait naître l’incroyance et l’athéisme.

Mais quand nous sommes unis dans l’amour, les personnes peuvent retrouver un accès à Dieu. Dans nos efforts pour communiquer l’Évangile, notre souci doit aussi être de garder l’unité entre nous et de témoigner de la tendresse du Christ.   

Notons encore que pour que le monde croie, il doit voir cette unité entre les chrétiens. L’unité doit être visible. Cette visibilité s’exprime notamment dans la diaconie, dans l’enseignement et dans la prière, dont le repas du Seigneur est le sommet (cf Actes 2,42). On ne peut pas mettre de limites à cette visibilité.

V. 22-23. « Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée […] pour qu’ils parviennent à l’unité parfaite et qu’ainsi le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé… »

« Je leur ai donné la gloire ». Thierry et Monique Juvet remarquent que Jésus donne sa gloire pour nous transformer. Par conséquent, « la question de l’unité a à voir avec le Ciel. Sa source est dans le Ciel. L’unité est le fruit d’une transformation céleste de nos personnes. Et cette transformation a nécessité la victoire sur le monde ou plus précisément dans ce cas sur la logique de ce monde dont nous sommes abreuvés dans nos relations ».[4]

« Pour qu’ils parviennent à l’unité parfaite ». Existe-t-elle, ici-bas, cette unité parfaite ? Peut-être dans la maison de Nazareth durant la « vie cachée » de Jésus !  En tout cas, nous sommes tous appelés à avancer sur ce chemin. Les personnes croiraient au Christ si nous étions parfaits dans l’unité. Il s’agit donc de nous perfectionner dans cette voie.

Si l’unité parfaite de ses disciples est la dernière prière que Jésus adresse à son Père, cela signifie que c’est son Testament, ce qu’il considère comme le plus important. Par conséquent, si nous voulons lui être fidèles, nous avons à préférer l’unité à tout le reste. Cette unité n’est pas une uniformité, mais riche de diversité.


[1] Revue Città Nuova, 15 décembre 1959. Pour une première orientation sur l’évangile de Jean, voir Jean-Pierre Lemonon, Pour lire l’évangile selon Saint Jean. Cerf, Paris, 2020. Pour des indications plus amples on consultera les deux tomes de Jean Zumstein, L’évangile selon Saint Jean. Labor et Fides, Genève, 2007 et 2014

[2]  Xavier-Léon Dufour, Lecture de l’Évangile selon Jean. Tome III, Seuil, Paris, 1993, p. 308

[3] Sur le lien entre l’unité et la croix chez Jean, Jean Zumstein écrit : « Le commentaire qui suit la prophétie involontaire de Caïphe en 11,52 avait déjà indiqué que la notion de l’unité universelle des croyants est en lien avec la croix, plus précisément, elle est un don résultant de la mort du Christ. C’est dire que l’auteur n’envisage pas la question de l’unité dans le cadre d’une négociation institutionnelle se fixant pour but la formulation d’un consensus de doctrine ou de pratique. L’unité dont le texte fait état est un don ». L’évangile selon Saint Jean (13-21). Labor et Fides, Genève, 2007, p. 185

[4] L’unité est un fruit. https://tmjuvet.leaderschretiens.com/2021/06/03/lunite-est-un-fruit/


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