Une économie pour la paix

Castelgandolfo. 1e juin 2024. On entend chaque jour parler d’économie de guerre. Est-ce une fatalité ? Peut-on inverser les choses et parler d’économie de paix ? Telle est la question qu’une table ronde a posée lors d’une Conférence interreligieuse organisée par le mouvement des Focolari dans les hauteurs de Rome. 

Premier orateur invité, Luigino Bruni, professeur à l’Université LUMSA (Rome) explique l’ambivalence de la relation entre économie et paix. Les premières écritures que nous connaissons sont des documents comptables. Échanger les choses signifie que nous n’avons pas besoin de les voler ni de faire la guerre pour nous en emparer. Le commerce a toujours été une occasion de rencontres. Pensons à Venise et Constantinople : les marchands se rencontrent ! Là où on travaille, on échange mieux.

Économie et paix ont une relation complexe au cours de l’histoire

Montesquieu a élaboré la thèse du « doux commerce », selon laquelle la diffusion du commerce entre les peuples améliore les mœurs, rendant les actions moins violentes et plus prévisibles, les énergies orientées vers des buts pacifiques et les manières plus polies. Une autre thèse, celle de A. Genovesi, avance, en revanche, que le commerce est la grande source de la guerre. Il est jaloux, et la jalousie arme les hommes.

L’esprit du commerce est mauvais quand il devient belliqueux. L. Bruni déplore le langage belliqueux appris par les étudiants en économie. Pour lui la loi fondamentale de l’économie n’est pas l’égoïsme, ni l’altruisme, mais la réciprocité et la rencontre. Elles seules construisent la paix. L’économie a une vocation à la communion.

Les femmes et la paix

Dans la Bible, il existe un trait spécifique de la sagesse des femmes. Elle se manifeste de différentes manières : chez Abigaïl qui réussit à éviter la guerre de David contre son mari maladroit ; chez Naomi qui enseigne à sa belle-fille Ruth comment conquérir son futur mari Boaz ; ou encore chez l’avisée mère de Tekoa (2 Samuel 14,5-7) qui convainc David de répéter le « signe de Caïn » sur son fils fratricide et, ainsi, de le sauver.

La Bible nous montre souvent l’intelligence différente des femmes, caractérisée par une intuition spéciale pour le soin des relations et de la vie qui passe avant les raisons, les intérêts, le pouvoir et la religion.

Olive Schreiner a écrit ce texte remarquable : « Ce ne sera pas par lâcheté ou par incapacité, ni certainement par une vertu supérieure, que la femme mettra fin à la guerre, quand sa voix pourra se faire entendre dans le gouvernement des États ; mais parce que sur ce point la science de la femme, en tant que femme, est supérieure à celle de l’homme : elle connaît l’histoire de la chair humaine : elle en connaît le prix : l’homme ne la connaît pas. Dans une ville assiégée, il arrive facilement que le peuple arrache des statues et des sculptures précieuses des galeries et des édifices publics pour en faire des barricades, qu’il les jette pour combler les brèches, sans réfléchir, parce qu’elles s’offrent d’abord à la main, sans y faire plus attention que s’il s’agissait de cailloux sur le trottoir.

Mais, il n’y a qu’un seul homme qui ne pourrait pas faire cela : le sculpteur. Même si ces œuvres d’art ne sont pas de ses mains, il en connaît la valeur. Instinctivement, il sacrifierait tous les meubles de sa maison, l’or, l’argent, tout ce qui existe dans les villes avant de jeter les œuvres d’art dans la destruction.

Or le corps de l’homme est l’œuvre d’art créée par la femme. Donnez-lui le pouvoir de contrôler et elle ne le jettera jamais pour combler les gouffres creusés dans les relations humaines par les ambitions et l’intolérance ».

Tout commence par la paix intérieure

L’Hindoue Priya Vaidya, de l’Université de Mumbai, fait référence à Gandhi, pour qui la paix internationale ne peut exister que s’il y a une paix nationale. Laquelle ne peut commencer que par la paix intérieure. Il faut donc se changer soi-même en développant la vie spirituelle et la clarté de la pensée.

Il est essentiel de regarder à l’intérieur de soi. Le but de chaque religion est le même ; la différence se trouve dans la méthode et le langage. Leur premier message est « que la paix soit avec toi » ! Ghandi mettait l’accent sur la vie éthique et la pratique de la non-violence.

Elle lit, en conclusion, un poème qu’elle vient de rédiger invitant à « rester en silence au moins une fois par jour ». 

« La baraka »

Mohammad Shomali, fondateur de l’Institut d’études islamiques, est une figure du dialogue interreligieux. Représenté par une de ses collègues, il apporte une perspective musulmane. Selon le Coran, la paix est un idéal pour ce monde et pour l’au-delà. Elle est un nom de Dieu. Ce n’est pas par hasard qu’on se salue par « Salam ».

Mais le diable, Satan, est l’ennemi de la paix selon le Coran (Sourate 2,208). Il ne faut pas le suivre, car il provoque des conflits pour supprimer la paix intérieure et nous diviser. Dieu, en revanche, fait de nous des frères et sœurs. Si nous suivons sa Parole, nous serons en mesure d’atteindre la paix.

Concernant l’économie, elle ne doit jamais être laissée à elle-même. Elle devient dangereuse si c’est le cas. La cupidité et la recherche de pouvoir sont à la racine de tous les maux. En soi l’argent est neutre, mais l’attachement à lui et le désir de richesses sont problématiques.

De manière paradoxale, Shomali développe l’idée que le principal bénéficiaire de la charité n’est pas celui qui reçoit, mais celui qui donne. Les activités économiques construisent la paix si on les vit en Dieu. La « baraka » – la bénédiction – signifie que certains lieux, entreprises et activités sont bénies si elles sont faites dans la prière, la justice et la dignité. Elle apporte la paix à tous, conduit à la confiance, à la sérénité, au soutien et au pardon. « Dieu est reconnaissant envers les personnes qui introduisent l’éthique et la spiritualité dans l’économie », conclut-il

Semences d’espérance

Fabio Petito, professeur à l’Université de Sussex et à l’Institut d’études politiques internationales (ISPI), estime que les « Objectifs du développement durable » sont mis en péril par les transgressions du droit multilatéral. Malheureusement, les religions semblent les favoriser. Celles-ci sont considérées comme une partie du problème.

Cependant, des semences d’espérance grandissent à travers la solidarité interreligieuse. Les leaders cherchent à répondre en ensemble à la violence. Le document sur la « Fraternité humaine » d’Abu Dhabi en témoigne. Si nous sommes tous frères et sœurs en Dieu, alors nous avons tous besoin de reconnaissance et de respect. Et de participer de manière égale à la vie publique.

Par conséquent, le dialogue interreligieux doit se déplacer de la théologie à la collaboration pratique. C’est un lieu des plus prometteurs de collaboration. Surtout pour les jeunes et les femmes. Ainsi les religions pourront être une partie de la solution, et non du problème.

« Dans cette salle, dit-il en s’adressant à l’assemblée, vous êtes des semences d’espérance de cette nouvelle solidarité mondiale, par un nouveau style de vie. Vous êtes l’avant-garde, une petite lumière qui peut changer la face de la terre. Nous avons besoin de votre créativité pour réaliser la prophétie de Chiara Lubich »

Autres articles sur ce congrès : https://www.hoegger.org/article/une-seule-famille-humaine/


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