D’abord banqueter, puis jeûner !

Il est important de lire ce passage sur le jeûne en considérant ce qui précède. Jésus a appelé Matthieu et a pris un repas chez lui. Les pharisiens s’étonnent qu’il mange avec ce collecteur d’impôts, un pécheur notoire. Jésus leur répond alors : « Allez donc apprendre ce que signifie : « C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice ». Pour Jésus ce qui vient en premier c’est la miséricorde, la proximité du Royaume de Dieu. Il n’attend pas que quelqu’un soit juste pour l’appeler, il adresse vocation à des hommes et des femmes fragiles, englués dans les méandres des compromissions. Il les appelle, les rétablit dans la société humaine, les libère et les envoie. 

  Pour les pharisiens en revanche ce qui vient en premier, c’est l’effort de l’homme et les pratiques religieuses. 

  Puis vient ce passage où les disciples de Jean Baptiste s’étonnent que les disciples de Jésus ne jeûnent pas. Jean, comme le judaïsme de son époque mettait l’accent sur la pénitence, la conversion. 

  La question qui nous est posée ici est : qu’est-ce qui vient en premier ? La conversion de l’homme ou la proximité du Royaume pleinement présent en Jésus, qui apporte grâce, pardon, communion. La réponse est claire : la miséricorde avant l’exigence. Dieu est miséricordieux avant d’appeler à le suivre sur ce chemin (qui est d’ailleurs exigent). 

  Tout est relativisé par rapport à la grâce qui fait irruption, sans que l’homme ne l’ait cherchée ou méritée. De même sur le plan des relations humaines, c’est un clair appel à mettre la miséricorde avant toutes choses : « Ayez avant tout un amour constant les uns pour les autres. » (I Pierre)

  Le jeûne est alors pris comme une illustration de ce grand principe. Comme tous les efforts de l’homme, il est subordonné à la joie du banquet de l’époux, qui est une figure du Messie. D’abord la grâce de l’invitation à la noce, puis l’effort du jeûne. 

  Avec Jésus le Messie est là. Sa présence est comme un banquet de noces. Par conséquent, ce n’est pas le moment de jeûner. Jésus est l’époux (cf Mat. 25.1). Il console les affligés et met dans nos cœurs la joie de la fiancée qui bondit à la voix de son bien-aimé. 

  Quelle était la pratique du jeûne à cette époque ? Alors que la Torah n’avait prescrit qu’un seul jour de jeûne, celui du Yom Kipppour (Nb. 29.7), les pharisiens avaient ajouté plusieurs jeûnes obligatoires durant l’année, ainsi que les jeûnes hebdomadaires du lundi et du jeudi. Les disciples de Jean suivaient ces pratiques. Ces jeûnes avaient un fort accent pénitentiel.  

 Voilà que Jésus compare ces jeûnes à des vieux vêtements et des vielles outres et la nouveauté de l’Evangile à du vin nouveau, qu’on ne peut verser dans de vieilles outres. Il faut des outres neuves. Les vieilles sont les pratiques de jeûne du judaïsme, pas mauvaises en soi, mais qui doivent être relativisées par rapport à la venue de la grâce de Dieu en Jésus. 

  Toutefois Jésus envisage un temps où ses disciples devront jeûner. Quand l’époux-messie leur sera enlevé. Comment comprendre cette indication temporelle ? S’agit-il de la croix, de l’ascension lorsque Jésus disparaîtra des yeux ? En lisant ce texte à la lumière de tout l’Evangile de Matthieu, qui commence et finit avec la promesse de l’Emanuel, je pense qu’on est sur la bonne voie (Mt 1.23, 28.20). 

  Avant de quitter les siens, Jésus a promis d’être « tous les jours avec vous jusqu’à la fin des temps. » Présence de Jésus au milieu de sa communauté exprimée auparavant par la fameuse parole : « Là ou deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. » (Mt. 18,20) 

  L’expérience des disciples entre Pâques et l’Ascension fut déterminante. Chaque jour, Jésus était au milieu d’eux, prenant le repas (la cène !) avec eux (Ac. 1.3s). Après l’Ascension, les disciples continuèrent à se rassembler chaque jour pour écouter l’enseignement des apôtres, partager la cène, vivre la communion fraternelle. Jésus était présent dans sa Parole, dans la cène et la vie fraternelle. L’époux, maintenant invisible continue à être spirituellement présent dans l’Esprit Saint. 

  Comment pourra-t-il leur être enlevé ? Lorsqu’ils ne se rassemblent plus en son nom ! C’est à dire lorsque le jugement primera sur la miséricorde, lorsque les opinions personnelles affaibliront la foi apostoliques. Jésus ne pourra plus être présent, lui l’hôte discret, qui n’entre pas dans nos vies et nos relations par effraction, mais qui frappe avec une divine patience à nos portes. 

  Alors, en ces moments de crise, que traverse toute communauté chrétienne, les chrétiens jeûneront, afin de goûter à nouveau à la joie et la paix que donne la présence de l’époux au milieu de nous. 

   Ceci est une cause de jeûne différente que celle que nous avons vue dans Actes 13, où le jeûne de la communauté précédait un envoi en mission. C’est un jeûne pour surmonter les divisions. 

  Les Eglises chrétiennes sont divisées aujourd’hui encore, malgré un grand chemin œcuménique. Elles ne peuvent encore partager le repas du Seigneur. Si tous les responsables vivaient ensemble un jeûne de  longue durée dans la miséricorde, peut-être l’Epoux nous fera-t-il la grâce de nous asseoir ensemble autour de sa table de noces.


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