Quand les Eglises ont commencé à se rencontrer, elles découvraient les différences et les ressemblances. Les théologiens utilisaient ce qu’on a appelé la « méthode comparative ». Puis au fur et à mesure qu’on avançait, on s’est rendu compte qu’on pouvait procéder autrement en disant ensemble l’essentiel de notre foi. C’est alors qu’on a utilisé la « méthode de la convergence ». A partir d’une méditation commune des Écritures, on peut mettre en valeur tout ce qu’on a en commun, avant de dire quels sont les points qu’il faut encore travailler.
Le groupe des Dombes utilise la même méthode, mais va encore plus loin : il ne se borne pas à mentionner les points controversés, mais appelle à une démarche de conversion des Églises.
Décrivons rapidement ces trois méthodes:
Comparaison
En 1927, à Lausanne, on utilise « l’ecclésiologie comparative », et on fait le recensement des ressemblances et des différences.
Convergence
En 1952, à l’assemblée de Foi et Constitution de Lund, en Suède, on passe à « l’approche christologique », où on cherche d’abord à dire ensemble la foi : « En cherchant à être plus proches du Christ, nous devenons plus proches les uns des autres. » Le document « Baptême, eucharistie, ministère » publié il y a trente ans, est l’exemple par excellence de cette méthode. C’est ainsi que les théologiens des diverses Églises ont pu aboutir à un accord sur ces trois réalités.
Conversion
Le Groupe des Dombes a publié un livre marquant intitulé « Pour la conversion des Églises », où il invitait à reconnaître les blessures et les manques dans chaque Eglise. Il continue à utiliser cette méthode fructueuse dans ses publications ultérieures, dont la dernière vient de paraître sur la catholicité de l’Église.[1]
En effet une conversion ne se décrète pas, mais se prépare : « Une telle préparation suppose que les Églises, à tous les niveaux, s’efforcent de reconnaître leurs manques, leurs imperfections, leurs résistances par rapport à leur vocation ».[2] Entrer dans une humble démarche de conversion est l’antidote à un « œcuménisme de statu quo » ou « d’autosatisfaction » qui constitue un alibi pour figer les affirmations identitaires.[3]
Selon Beverly Gaventa, il y a trois formes de conversion dans le Nouveau Testament:
Altération : Forme limitée de changement, qui émerge de manière graduelle (par exemple, le final d’un morceau de musique)
Conversion-pendule : Changement radical, comme Paul sur le chemin de Damas. Le passé est rejeté. Il y a a discontinuité
Transformation : Elle n’implique pas le rejet du passé, mais une nouvelle perception de celui-ci. Une reconnaissance, une nouvelle connaissance du passé.
La conversion appelle à une expression plus inclusive de la foi chrétienne.
Aujourd’hui, aucune Église n’est la même qu’il y a 100 ans, au début du mouvement oecuménique.
La conversion incorpore l’apport des autres plutôt que de les rejeter. Des changements réels ont eu lieu. Par exemple, auparavant il n’était pas possible pour un réformé de recevoir l’Eucharistie dans une Église anglicane. Les raisons avancées étaient que les deux confessions n’ont pas la même conception de l’eucharistie, que les ministres réformés sont ordonnés de manière déficiente et qu’il n’y a pas de communion avec l’archevêque de Canterbury. Aujourd’hui l’hospitalité eucharistique est devenue possible. Il est donc historiquement possible que les relations entre Églises se transforment.
« Je n’ai plus peur de rien »
La « conversion » présuppose une ecclésiologie « kénotique ». Être avec l’autre, d’un amour vide (kénose) de soi pour que l’autre soit. Le patriarche de Constantinople, Athénagoras, dans un fameux entretien avec Olivier Clément, parle de la nécessité de se déposséder de soi pour avoir la capacité de voir le meilleur chez l’autre :
« La guerre la plus dure, c’est la guerre contre soi-même. Il faut arriver à se désarmer. J’ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible. Mais je suis désarmé. Je n’ai plus peur de rien, car l’amour chasse la peur. Je suis désarmé de la volonté d’avoir raison, de me justifier en disqualifiant les autres. Je ne suis plus sur mes gardes, jalousement crispé sur mes richesses. J’accueille et je partage. Je ne tiens pas particulièrement à mes idées, à mes projets. Si l’on m’en présente de meilleurs, ou plutôt non, pas meilleurs, mais bons, j’accepte sans regrets. J’ai renoncé au comparatif. Ce qui est bon, vrai, réel, est toujours pour moi le meilleur.
C’est pourquoi je n’ai plus peur. Quand on n’a plus rien, on n’a plus peur.
Si l’on se désarme, si l’on se dépossède, si l’Esprit nous donne la grâce de nous ouvrir au Dieu-Homme qui fait toutes choses nouvelles, alors, Lui, Il efface le mauvais passé et nous rend un temps totalement neuf où tout est vraiment possible. »[4]
1] « De toutes les nations … » Pour la catholicité des Églises. Éd. du Cerf, coll. « Patrimoines », 2, 2023
[2] Groupe des Dombes, « Un seul Maître ». L’autorité doctrinale dans l’Église. Bayard, Paris, 2005, p. 198
[3] Groupe des Dombes, « Vous donc, priez ainsi ». Le Notre Père, itinéraire pour la conversion des Églises, Bayard, Paris, 2011, p. 148
[4] Olivier Clément, Dialogues avec le patriarche Athénagoras, Fayard, Paris, 1976, p. 183
Pour une introduction à l’œcuménisme, consulter aussi : « Histoire et dimensions de l’oecuménisme »
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