Étrangers et exilés sur terre. Les réfugiés

    

Dans mon enfance, j’avais un fort accent suisse-allemand jusqu’à l’âge de 10 ans environ. Le suisse allemand était en effet ma première langue. Parfois mes camarades de jeu me le faisaient remarquer. Même méchamment, à deux ou trois reprises. Ce qui me donnait l’impression d’être étranger dans mon propre pays.

     Je pense que cela a développé en moi une fibre pour entrer en contact avec des personnes étrangères.

     Vous le savez, la Suisse est le pays d’Europe où il y a les plus d’étrangers. Ils représentent environ 20% de la population. En 2022 un peu plus de 200’000 personnes sont des requérants d’asile. C’est donc une réalité sociale importante.

     Comment les considérons-nous ? Je crois que l’Ancien Testament nous est d’une grande utilité pour orienter notre regard.

     Dans l’Israël de l’A.T, il y avait aussi des étrangers. On y distinguait l’étranger de passage, qui ne restait que provisoirement. Mais on lui devait l’hospitalité. Et puis l’étranger résidant dans le pays, à qui on octroyait progressivement des droits, également la possibilité de participer à la religion d’Israël.

     Vu la présence constante des étrangers sur la terre promise, Israël a longuement réfléchi sur la signification de leur présence.

     Je voudrais résumer en une phrase ce que je désire développer : pour la Bible, la présence des étrangers n’est pas d’abord un problème à résoudre, mais le signe d’une vocation. A chaque fois que nous rencontrons un étranger, Dieu nous appelle à revenir au coeur de notre vocation chrétienne. Cette vocation a sept aspects.

Se rappeler nos exils.

     Tout d’abord, cet appel à la mémoire : « Rappelez-vous que vous avez aussi été des étrangers en Egypte. »  Cette parole est répétée plusieurs fois pour que nous nous mettions dans la peau de ceux qui sont étrangers. L’Egypte représente à jamais pour le peuple de Dieu l’expérience d’exil.

     Se rappeler de cela nous aide à nous mettre à la place de ceux qui sont dans cette situation. Comment est-ce que je voudrais qu’on se comporte vis-à-vis de moi, si j’étais à leur place ? La petite expérience que j’ai raconté au début m’aide également

Une prospérité généreuse.

     Pourquoi les étrangers venaient-ils dans la terre d’Israël. Parce que le pays était devenu prospère. C’est un pays ruisselant de lait et de miel, que Dieu a béni. La comparaison avec la Suisse se passe de commentaires. La prospérité attire, ce n’est pas nouveau.

     Dans l’Ancien Testament la loi du glanage invite à la générosité envers les démunis et les étrangers. Elle ordonne de ne pas repasser dans les vignes pour ramasser les grappes oubliées ou les grains tombés à terre, mais les laisser aux glaneurs. Ce droit du glanage est sacré. Il garde toute sa valeur symbolique aujourd’hui dans notre société d’abondance, où nous avons l’adapter aux conditions actuelles.

Devant Dieu, nous sommes tous des immigrés.

     On appelle le pays d’Israël la terre promise. Mais promise par qui ? Par Dieu. Cela veut dire que Dieu en reste le vrai propriétaire. Israël n’en est que le locataire. Aucune terre n’appartient de manière définitive à qui que ce soit. « Le pays est à moi, vous n’êtes chez moi que des émigrés et des hôtes. »  Nous sommes tous à la même enseigne : devant Dieu nous sommes tous des exilés, car rien ici bas ne nous appartient de manière définitive. Chaque personne exilée me le rappelle personnellement. Elle m’aide à ouvrir les yeux sur mes faux attachements.

« Le Seigneur protège les immigrés. »

     Cette Parole du Psaume 147 nous le dit : derrière chaque étranger, il y a plus qu’un homme ou une femme avec une autre culture ou une couleur de peau différente. Il y a la présence  mystérieuse de Dieu. « Dieu aime l’émigré en lui donnant du pain et un manteau. » (Deut. 10.18) Ce qui explique l’appel à « aimer l’étranger comme vous-mêmes. » (Lév. 19.33). En l’aimant on fait d’une pierre trois coups : on s’aime soi-même et on aime Dieu, qui se cache en lui. Jésus l’a dit aussi : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli. » (Mat. 25)

Jésus, l’émigré du ciel

     Je pense que la motivation la plus haute dans notre attitude envers les exilés se trouve en Jésus. Il a quitté sa patrie, le ciel, et il est venu marcher sur nos chemin. Comme un étranger nous apporte sa culture, sa langue, sa manière de cuisiner, Jésus nous apporte sa culture, celle du ciel, qui est l’amour trinitaire.

     Dès le début sa vie a été marquée par l’exil. Ses parents ont du aller en Egypte pour fuir la folie meurtrière du roi Hérode. Par amour pour nous et pour nous ramener auprès du Père, il a vécu l’exil le plus profond, quand il a fait l’expérience de l’abandon sur la croix, en criant : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Il semblait que le ciel lui était fermé à jamais, mais c’était pour nous l’ouvrir. Il semblait qu’il avait perdu à jamais sa patrie, mais c’était pour nous y faire entrer.

     Ainsi chaque exilé me rappelle en quelque sorte le visage de Jésus crucifié et abandonné. Et si c’est lui qui se cache derrière chaque exilé, comment vais-je le rencontrer ?

La vie est un voyage

     Le chrétien est étranger sur terre, pas seulement parce qu’elle est la propriété de Dieu, mais parce qu’il n’appartient pas à ce monde. Il est dans le monde, mais pas du monde. Il est citoyen de la patrie céleste à laquelle il aspire ; il n’a pas ici bas de demeure permanente. Sa vie est un voyage, à l’imitation de celle d’Abraham et des autres patriarches. (Hébr. 11.15s)

     Jésus est venu nous chercher afin que là où il est, nous soyons aussi. Il nous a précédé en revenant de l’exil de la mort par sa résurrection et il nous à préparé une place dans la maison de son Père.

     Chaque exilé me rappelle la fragilité des maisons que nous construisons ici. Il m’invite à tourner le regard de la foi vers cette maison que la rouille n’attaque pas et dont les voleurs ne peuvent percer les portes.

« C’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice »

    En conclusion, je vous laisse cette parole de l’Évangile où Jésus demande l’attitude de la miséricorde devant chaque personne (Mt. 9.13). Devant des étrangers, il y a parfois des peurs ou des jugements à surmonter. La miséricorde signifie s’ouvrir à l’autre. C’est  prendre le risque de devenir vulnérable ou d’être déçu. Mais la rencontre est aussi une occasion de recevoir de personnes qui sont porteuses de grandes richesses humaines. On reçoit toujours beaucoup plus que ce que l’on aurait pu imaginer

     Ouvrons notre coeur à cette miséricorde, comme nous y invite C. Lubich: « La miséricorde nous aide à voir toujours nouvelles toutes les personnes…à toujours accueillir dans notre coeur celui ou celle qui passe à côté de nous. »


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