Cerf et dame

Le Cerf et l’Epouse

Dans le Cantique des Cantiques, ce poème biblique d’amour (mal connu) entre un Bien-aimé et sa Bien-aimée, il y a une grande violence. Elle surprend même par son réalisme et sa présence dans toutes les relations. A travers les lignes de ce poème, nous allons découvrir comment cette violence peut être vaincue par le Bien-Aimé, « Celui qui vient ».

Celui qui vient vers sa Bien-aimée nous est présenté par l’image d’un cerf. Je partirai du chapitre 2 du Cantique (v.8-14) et illustrerai mon message au moyen d’une estampe du peintre Etienne Vollery qui a peint cette page : « le Cerf et l’épouse ».

Il y a tant de violences aujourd’hui. Les médias et les réseaux sociaux la répercutent presqu’à l’infini.

Il y a quelques années, le Conseil œcuménique des Eglises a proposé une décennie pour « Vaincre la violence ». Cette décennie a duré de l’an 2000 en 2010. Notre monde est-il aujourd’hui moins violent qu’en l’an 2000 ? Chaque jour, l’actualité semble contredire cette espérance.

Et puis il y a des violences moins spectaculaires, celles dont nous pouvons aussi être les victimes (et parfois même les acteurs) dans nos relations les uns avec les autres.

Mais « Il vient » ! Dieu vient dans notre monde traversé par la violence, pour la subvertir de l’intérieur. « Il vient », ce verbe se trouve dans notre texte du Cantique.

« Il vient ». Mais le pas du bien-aimé n’est pas un pas de promenade. « Il bondit sur les montagnes, il sautes sur les collines, comme un jeune cerf ». Son pas est rapide comme celui de la danse. Il n’y a pas d’obstacle infranchissable pour rejoindre celle qu’il aime.

Le Cantique des Cantiques, ce « plus beau  de tous les chants »  est d’abord un poème d’amour entre un homme et une femme. Mais dès la plus haute antiquité, on l’a interprété comme une allégorie des relations entre Dieu et Israël, puis  entre le Christ et l’Eglise. Ou encore entre Dieu et l’âme.  

Alors quand il est dit que le Bien-aimé vient rapidement comme un cerf à la rencontre de sa bien-aimée, c’est pour nous dire aussi que Dieu accourt pour nous délivrer.

C’est le désir de Dieu. Aujourd’hui plus que jamais. Et pour toujours.

Et c’est aussi notre désir que Dieu nous visite et demeure en nous.

« L’Esprit et l’Epouse disent « Viens » ! Ce sont les derniers mots de la Bible dans le livre de l’Apocalypse. (Apocalypse 22,17).

Souffrance et  violence dans le Cantique des Cantiques

Une lecture attentive permet de la discerner. On est même surpris par l’ampleur de la violence qui atteint la femme, alors que l’homme ne la subit pas. Un indice de la relation asymétrique entre eux, qui témoigne qu’il y a plus qu’une relation humaine dans ce texte. 

A une dizaine d’endroits du Cantique, en effet, la femme souffre, et des actes de violence contre elle sont mentionnés. Suivons le texte : 

–       Les filles de Jérusalem se moquent d’elle car, brunie par le soleil, elle ne correspond pas aux canons de beauté de l’époque. Souffrance d’être tournée en dérision. (1,6)

–       Ses frères se sont fâchés contre elles et l’ont contraint à surveiller des vignes. Violence dans la famille et souffrance de l’incompréhension des plus proches. (1, 6)

–       Elle vit en hiver. Saison de l’épreuve, un temps de torpeur et de tristesse. (2,11)

–       Elle souffre de l’absence de son bien-aimé et se met à le chercher durant la nuit dans les rues de la ville. (3,1-2)

–       Elle vit isolée dans les montagnes du Liban, entourée de lions dangereux. Souffrance de l’exil et d’une dangereuse solitude. (4,8)

–       Les gardes de la ville la frappent, la blessent et lui arrachent un vêtement. Violence contre son intégrité physique. (5,7) 

–       Elle est malade d’amour. Elle souffre de ne pas avoir répondu à la venue de son Bien-aimé. La cause de la souffrance est ici intérieure et psychologique (5,8 ; cf 1,6)

Le bien-aimé prend l’initiative 

Toutefois, dans son exil et sa souffrance, la femme fait l’expérience de la venue surprenante de son Bien-aimé. Et cela éveille son cœur.  Elle s’attend à la visite quotidienne de son Amour : « à la fraîcheur du soir, quand les ombres s’allongeront, tu reviendras, mon amour » (2,17).

En fait rien ne peut retenir le Bien-aimé. Aucun obstacle ne peut s’opposer à son désir de rejoindre celle qu’il aime : « C’est lui qui arrive, franchissant monts et collines, comme un jeune cerf» (2,8)… Rien n’est infranchissable pour l’amour de Dieu.  Aussi éloigné que nous soyons de lui, il est capable de surmonter tous les obstacles. 

Le Cantique des Cantiques illustre les qualités de l’amour. En particulier celui du Bien-aimé  pour sa fiancée : cet amour est gratuit, il ne s’impose pas, il est vulnérable, il fait le premier pas, il sort de soi-même et s’expose, il se met à la recherche de l’autre et franchit toutes sortes d’obstacles,  il met en valeur l’autre, il l’embellit et en souligne tout le positif, il le défend et n’écoute pas les critiques des autres, il ne fait pas de l’autre un objet pour la satisfaction de son propre désir, il ne l’utilise pas comme un instrument pour arriver à un but, il aime l’autre non pas pour sa beauté ou son amabilité, mais simplement pour ce qu’il est, il ne veut pas changer l’autre, il désire la présence de l’autre et tend à la réciprocité et à la communion.

C’est cet amour délié de tout égoïsme, qui est seul capable de vaincre la violence. C’est cet amour de Dieu que le Cantique des cantiques nous appelle à accueillir. C’est dans cet amour que Dieu nous appelle à vivre les uns avec les autres.

« Le Cantique des Cantiques nous montre clairement que l’amour est une longue et patiente recherche de l’un par l’autre. Dieu nous cherche plus que nous le cherchons et, à sa suite, nous devons rechercher l’autre plus qu’il nous cherche ».[1]

Et pour nous chercher Dieu va jusqu’à se donner totalement en Jésus. Pour guérir nos blessures, il les subit ; pour nous délivrer de la violence, il la traverse ; pour nous donner sa lumière, il passe par l’obscurité ; pour nous ouvrir sa communion, il vit l’abandon. C’est pourquoi Etienne Vollery a mis une couronne d’épines autour de la tête de cerf.

Jean de la Croix, ce grand spirituel espagnol du 16e siècle a chanté ainsi  cette image : « Sur le sommet des monts apparaît le cerf blessé. Car voyant que son épouse est blessée d’amour, et l’entendant gémir, il est lui aussi blessé d’amour pour elle…Il accourt aussitôt auprès d’elle pour la consoler et la caresser…et semble dire : « Ô mon épouse, si tu es blessée d’amour pour moi, moi aussi, comme le cerf, je suis par ta blessure blessé d’amour pour toi ».[2]

L’éveil

La bonne nouvelle du Cantique des Cantiques est que l’hiver n’est pas pour toujours.  « Allons, dit le Bien-aimé, ma tendre amie, ma belle, viens. L’hiver est passé ». L’hiver de la violence, de la souffrance et de l’éloignement est terminé. 

Le temps de l’épreuve et des pleurs est terminé : « C’en est fini des pluies, elles ont disparu ».

Le printemps est là. « Sur la terre, les fleurs paraissent, c’est le temps des chansons » (v. 12). Si vous avez été en Terre sainte au printemps, vous pouvez voir même le désert refleurir. « Les figues murissent et les vignes en fleur exhalent leur parfum ». (v. 13). Au réveil de la bien-aimée toute la création est associée. Les épines et les ronces de l’épreuve donnent des fleurs magnifiques.

Parce que le Christ vient dans nos vies, il ne faut jamais désespérer des hivers les plus durs. Il faut toujours se souvenir qu’il n’y a pas d’épines sans rose au bout. Il faut regarder à la promesse de la rose et ne pas voir que les épines.

Le Bien-aimé vient et fait fleurir la rose au bout des épines. Le temps que nous vivons depuis que le Christ est ressuscité est celui de sa visite. Celui qui est venu, vient maintenant et reviendra pour mettre fin à toute violence.

Lève-toi !

Cependant la condition pour éprouver cet amour de Dieu est de se lever, de lui ouvrir la porte, de se tourner vers lui. « Lève-toi, ma bien aimée, ma belle, viens» ! « Ouvre-moi ta porte ! » dit à plusieurs reprises le Bien-aimé.

Ces mots le Bien-aimé les dit avec les mots d’amour les plus tendres : « Viens, ma bien-aimée, mon amie, ma belle » !

Ces mots Jésus ressuscité nous les dit à chaque fois que nous écoutons son Evangile. Il les dit sans s’imposer. C’est une invitation, pas un ordre. S’il vient à nous fougueux comme un cerf, il s’arrête à la porte de notre cœur et attend notre réponse.

Il ne force pas, il respecte notre rythme. Quel contraste entre la toute puissance de son amour qui peut franchir tous les obstacles et son humble attente de l’ouverture de notre cœur.

« Me voici, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un m’ouvre la porte, j’entrerai chez lui… », dit en écho Jésus, notre divin époux, qui a pris sur lui toute la violence du monde (Apocalypse 21,14). 

Pour vaincre toute violence, en nous et en dehors de nous, écoutons la voix de Jésus, notre Bien-aimé qui nous dit « Viens » ! Cette voix qui nous promet qu’aucun hiver n’est éternel,  que personne ne doit s’enfermer ni enfermer l’autre dans un hiver. Car la joie suit toujours la peine.

Oui, que notre cœur s’éveille à sa voix, forte et pleine de tendresse !

Prière

Seigneur, il y a tant de violences dans notre monde,

Tant de conflits dans nos relations,

Tant de blessures dans nos vies,

Même dans nos familles et nos communautés.

Toi, le Crucifié, tu connais nos exils

Tu participes à nos épreuves,

Tu compatis à nos souffrances.

Bien que nous soyons en plein été

Notre âme est en hiver.

Bien que la pluie arrose nos champs

Notre esprit est au désert.

Mais toi, le Ressuscité, tu es celui qui vient,

Tu cherches un chemin vers nos cœurs,

Tu travailles sans cesse à les refleurir.

Dans ce moment de silence,

Nous déposons devant toi ce qui est difficile.

Avec le Bien-aimé du Cantique des cantiques,

Tu nous redis :

« Lève-toi, mon amie, ma belle et viens !

Montre-moi ton visage, ma colombe !

Fais-moi entendre ta voix !

Ouvre-moi la porte de ton cœur ! »



[1] Christianne Méroz, Le visage maternel de Dieu, Ouvertures, Le Mont sur Lausanne, 1989, p. 12

[2] Cantique spirituel, Strophe XIII, cité en Blaise Arminjon, La Cantate de l’Amour. Desclé de Brouwer, Bellarmin, Paris, 1983, p. 173


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