Paroles des Pères de l’Eglise sur le jeûne.

Quelques textes des Pères du désert et des Pères de l’Eglise sur la pratique du jeûne, ses bienfaits, ses risques, sa spiritualité.

 

Paroles de Pères du désert.

Abba Joseph interrogea abba Poemen :  » Comment faut-il jeûner ?  » Abba Poemen lui dit :  » Pour ma part, je préfère que celui qui mange chaque jour mange peu afin de ne pas se goinfrer.  » Abba Joseph lui dit :  » Lorsque tu étais plus jeune, ne jeûnais-tu pas deux jours de suite, abba ?  » Et le vieillard lui dit :  » En vérité, même trois jours, et quatre, et toute la semaine. Et tout cela, les Pères l’éprouvèrent comme ils en étaient capables ; et ils trouvèrent préférable de manger chaque jour, mais en petite quantité ; et ils nous livrèrent la voie royale, qui est légère.  » (Paroles 127, 27)

Un samedi de fête, il arriva que les frères mangent à l’église des Kellia. Et comme on présentait le plat de bouillie, abba Helladios l’Alexandrin se mit à pleurer. Abba Jacques lui dit :  » Pourquoi pleures-tu, abba ?  » Il répondit :  » Parce que c’en est fini de la joie de l’âme, c’est-à-dire le jeûne, et que voilà maintenant le contentement du corps.  » (Abba 81)

Un jour à Scété fut donné ce commandement : Jeûnez cette semaine. Or il se trouva que des frères vinrent d’Égypte chez abba Moïse et il fit pour eux un peu de cuisine. Voyant la fumée, les voisins dirent aux clerc :  » Voici que Moïse a violé le commandement en faisant cuire quelque chose chez lui.  » Ceux-ci dirent :  » Quand il viendra, nous-mêmes lui parlerons.  » Le samedi venu, les clercs, sachant la pratique excellente de Moïse, lui dirent devant tout le monde :  » Ô abba Moïse, tu as laissé tomber le commandement des hommes et gardé celui de Dieu !  » (Abba 109)

Abba Euloge disait à son disciple : Enfant, exerce-toi à rétrécir peu à peu ton ventre par le jeûne. Car de même qu’une outre étirée devient plus mince, ainsi également le ventre quand il reçoit beaucoup d’aliments. Mais s’il en reçoit peu, il se rétrécit et exige toujours peu. (Abba 74)

Abba Isidore le prêtre dit : Si vous pratiquer régulièrement le jeûne, ne vous gonflez pas d’orgueil, mais si vous vous glorifiez de cela, mangez plutôt de la viande. Il vaut mieux pour l’homme de manger de la viande que se gonfler d’orgueil et se glorifier. (Paroles 81, 4)

Pierre Chrysologue (vers 406-450), Homélie sur la prière, le jeûne et l’aumône ; PL 52, 320)

Celui qui pratique le jeûne doit comprendre le jeûne : il doit sympathiser avec l’homme qui a faim s’il veut que Dieu sympathise avec sa propre faim ; il doit faire miséricorde, celui qui espère obtenir miséricorde… Ce que nous avons perdu par le mépris, nous devons le conquérir par le jeûne ; immolons nos vies par le jeûne, parce qu’il n’est rien que nous puissions offrir à Dieu de plus important, comme le prouve le prophète lorsqu’il dit : « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; le coeur qui est broyé et abaissé, Dieu ne le méprise pas » (Ps 50,19). Offre donc à Dieu ta vie, offre l’oblation du jeûne pour qu’il y ait là une offrande pure, un sacrifice saint, une victime vivante qui insiste en ta faveur…

      Mais pour que ces dons soient agréés, il faut que vienne ensuite la miséricorde. Le jeûne ne porte pas de fruit s’il n’est pas arrosé par la miséricorde ; le jeûne devient moins aride par la miséricorde ; ce que la pluie est pour la terre, la miséricorde l’est pour le jeûne. Celui qui jeûne peut bien cultiver son coeur, purifier sa chair, arracher les vices, semer les vertus : s’il n’y verse pas les flots de la miséricorde, il ne recueille pas de fruit

      Toi qui jeûnes, ton champ jeûne aussi s’il est privé de miséricorde ; toi qui jeûnes, ce que tu répands par ta miséricorde rejaillira dans ta grange. Pour ne pas gaspiller par ton avarice, recueille par tes largesses. En donnant au pauvre, tu donnes à toi-même ; car ce que tu n’abandonnes pas à autrui, tu ne l’auras pas.

       Le jeûne est une violence faite à la nature, l’amputation de ce qui flatte le goût, l’extinction du feu de la luxure, le retranchement des pensées mauvaises, la délivrance des rêves, la pureté de la prière, la lumière de l’âme, la garde de l’intellect, l’affranchissement de l’endurcissement, la porte de la componction, l’humble gémissement, la contrition joyeuse, l’assoupissement de la loquacité, la source de l’hésychia, la santé du corps, le protecteur de l’impassibilité, la rémission des péchés, la porte du Paradis et ses délices.

 Mes frères, nous commençons aujourd’hui le grand voyage du Carême. Emportons donc dans notre navire toute notre provision de nourriture et de boisson, en plaçant sur la caisse la miséricorde abondante dont nous aurons besoin. Car notre jeûne a faim, notre jeûne a soif, s’il ne se nourrit pas de bonté, s’il ne se désaltère pas de miséricorde. Notre jeûne a froid, notre jeûne défaille, si la toison de l’aumône ne le couvre pas, si le vêtement de la compassion ne l’enveloppe pas.

Frères, ce que le printemps est pour les terres, la miséricorde l’est pour le jeûne : le vent doux printanier fait fleurir tous les bourgeons des plaines ; la miséricorde du jeûne fait pousser toutes nos semences jusqu’à la floraison, leur fait porter fruit jusqu’à la récolte céleste. Ce que l’huile est pour la lampe, la bonté l’est pour le jeûne. Comme la matière grasse de l’huile allume la lumière de la lampe et, avec une aussi faible nourriture, la fait luire pour le réconfort de toute une nuit, ainsi la bonté fait resplendir le jeûne : il jette des rayons jusqu’à atteindre le plein éclat de la continence. Ce que le soleil est au jour, l’aumône l’est pour le jeûne : la splendeur du soleil accroît l’éclat du jour, dissipe l’obscurité des nuées ; l’aumône accompagnant le jeûne en sanctifie la sainteté et, grâce à la lumière de la bonté, chasse de nos désirs tout ce qui pourrait être mortifère. Bref, ce que le corps est pour l’âme, la générosité en tient lieu pour le jeûne : quand l’âme se retire du corps, elle lui apporte la mort ; si la générosité s’éloigne du jeûne, c’est sa mort. (Sermon 8 ; CCL 24, 59 ; PL 52, 208)

 

Aphraate (?-vers 345), moine et évêque près de Mossoul, Les Exposés, n°3 Du jeûne (trad. SC 349, p. 277 rev.)

      Les Ninivites ont jeûné d’un jeûne pur lorsque Jonas leur a prêché la conversion… Voici ce qui est écrit : « Dieu vit qu’ils se détournaient de leurs mauvais chemins ; alors il détourna d’eux l’ardeur de sa colère » (Jon 3,10). On ne dit pas : « Il vit une abstinence de pain et d’eau, avec sac et cendre », mais : « Qu’ils revenaient de leurs mauvais chemins et de la méchanceté de leurs oeuvres ». Car le roi de Ninive avait parlé et dit : « Que chacun se détourne de sa mauvaise conduite et de la rapacité de ses mains » (v.8). Ce fut un jeûne pur, et il fut accepté…

      Car, mon ami, quand on jeûne, c’est toujours l’abstinence de méchanceté qui est la meilleure. Elle est meilleure que l’abstinence de pain et d’eau, meilleure que « s’humilier soi-même, courber le cou comme un crochet et se couvrir de sac et de cendre », comme le dit  Isaïe (58,5). En effet, quand l’homme s’abstient de pain, d’eau ou de quelque nourriture que ce soit, quand il se couvre de sac et de cendre et qu’il s’afflige, il est aimé, beau aux yeux de Dieu et agréé. Mais ce que Dieu agrée le plus, c’est de «…délier les chaînes de l’impiété et de couper les liens de la tromperie » (v.6). Pour cet homme alors « sa lumière se diffusera comme le soleil, et sa justice marchera devant lui. Il sera comme un verger exubérant, comme une source dont les eaux ne tarissent pas » (v.8-11). Il ne ressemble pas aux hypocrites « qui se composent un visage défait et prennent un air sombre » pour faire connaître leur jeûne (Mt 6,16).

Maxime de Turin (?-v. 420), Sermon 28, PL 57, 587-590 ; CC Sermon 35, 136-139 (trad. Les Pères dans la foi, Migne 1996, p.94s)

      Après ce temps consacré à l’observance du jeûne, l’âme, purifiée et épuisée, parvient au baptême. Elle reprend des forces en se plongeant dans les eaux de l’Esprit ; tout ce qui avait été brûlé par les flammes des maladies renaît de la rosée de la grâce du ciel. Abandonnant la corruption du vieil homme, le néophyte acquiert une nouvelle jeunesse… Par une nouvelle naissance, il renaît autre, alors qu’il est le même que celui qui avait péché.

      Elie, par un jeûne ininterrompu de quarante jours et de quarante nuits, a mérité de mettre fin, grâce à l’eau du ciel, à une sécheresse longue et pénible de la terre entière (1R 19,8; 18,41) ; il a étanché la soif brûlante du sol, en lui apportant une pluie abondante. Ces faits se sont produits pour nous servir d’exemple, pour mériter, après un jeûne de quarante jours, la pluie bénie du baptême, pour que l’eau du ciel arrose toute la terre, aride chez nos frères du monde entier depuis longtemps. Le baptême comme une rosée du salut mettra fin à la longue stérilité du monde païen. C’est, en effet, de sécheresse et d’aridité spirituelle que souffre quiconque n’a pas été baigné de la grâce du baptême.

      Par un jeûne du même nombre de jours et de nuits, le saint Moise a mérité de parler à Dieu, de demeurer, de séjourner avec lui, de recevoir de ses mains les préceptes de la Loi (Ex 24,18)… Nous aussi, frères très chers, jeûnons avec ferveur pendant toute cette période, pour que … à nous aussi s’ouvrent les cieux et se ferment les enfers.

Léon le Grand (?-v. 461). Quatrième sermon pour le Carême, 1-2 (trad. SC 49 bis, p. 101 rev.)

      « Voici maintenant le jour du salut ! » Certes, il n’est pas de saison qui ne soit pleine des dons divins ; la grâce de Dieu nous ménage en tout temps l’accès à sa miséricorde. Pourtant, c’est maintenant que tous les coeurs doivent être stimulés avec plus d’ardeur à leur avancement spirituel et animés de plus de confiance, car le jour où nous avons été rachetés nous invite, par son retour, à toutes les oeuvres spirituelles. Ainsi célébrerons-nous, le corps et l’âme purifiés, le mystère qui l’emporte sur tous les autres : le sacrement de la Pâque du Seigneur.

      De tels mystères exigeraient un effort spirituel sans défaillance…, en sorte que nous demeurions toujours sous le regard de Dieu, tels que devrait nous trouver la fête de Pâques. Mais cette force spirituelle n’est le fait que d’un petit nombre d’hommes ; pour nous au milieu des activités de cette vie, par la faiblesse de la chair, le zèle se détend… Pour rendre la pureté à nos âmes, le Seigneur a donc prévu le remède d’un entraînement de quarante jours, au cours desquels les fautes des autres temps puissent être rachetées par les bonnes oeuvres et consumées par les saints jeûnes… Prenons donc soin d’obéir au commandement de l’apôtre Paul : « Purifiez-vous de toute souillure de la chair et de l’esprit » (2Co 7,1).

      Mais que notre manière de vivre soit en accord avec notre abstinence. Le tout du jeûne n’est pas dans la seule abstention de nourriture ; il n’y a aucun profit à soustraire les aliments au corps si le coeur ne se détourne pas de l’injustice, si la langue ne s’abstient pas de la calomnie… Ce temps, c’est celui de la douceur, de la patience, de la paix…; aujourd’hui, que l’âme forte s’habitue à pardonner les injustices, à compter pour rien les affronts, à oublier les injures… Mais que la retenue spirituelle ne soit pas triste ; qu’elle soit sainte. Qu’on n’entende pas le murmure des plaintes, car à ceux qui vivent ainsi la consolation des joies saintes ne manqueront jamais.
      

Jean Climaque, l’Echelle sainte, 14ème degré, § 37

La règle générale à suivre, quant à l’abstinence, consiste à s’accorder, selon ses forces et son âge, ce qu’il faut de nourriture pour sustenter le corps, pas assez pour l’assouvir.

 

Jean Cassien, Conférence avec les Pères du désert, chap. 22

L’ascèse exige discernement. Passer la bénédiction des choses de la vie, qui sont fondamentalement bonnes, à une exigence radicale de dépassement exige qu’on pressente une plus haute plénitude, et que Dieu nous ait donné des arrhes de sa « douceur » (même s’il doit se retirer et nous demander de traverser le désert). Sinon, l’ascète volontariste ou pharisien risque de se dessécher vainement entre terre et ciel.

 

Diadoque de Photicée, chap. gnostiques, 44 (SC n° 5bis, p.110-11)

L’ensemble de la praxis trouve son symbole dans le jeûne, à condition d’entendre celui-ci, comme le font les Pères, à la fois de l’âme et du corps. Dans l’épreuve imposée par Dieu à la liberté et à la confiance d’Adam, l’Eglise ancienne voyait le commandement du jeûne: il eût fallu que l’homme, au lieu de se jeter sur le monde comme une proie, apprît à le contempler comme un don de Dieu et une échelle vers lui. Dans cette perspective, nous retrouvons le péché comme captation et égocentrisme, volonté d’utiliser et de consommer le monde au lieu de le transfigurer. Le Christ, en contraste, a jeûné quarante jours au désert, pour montrer au tentateur que « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sorte de la bouche de Dieu.

Le jeûne signifie donc un changement radical dans notre relation avec Dieu et avec le monde. Dieu -et non l’ego- devient le centre et le monde sa création, un dialogue des hommes entre eux et avec le Créateur. Le jeûne empêche l’homme de s’identifier au monde dans la seule perspective de la possession pour assurer le monde dans une lumière venue d’ailleurs. Tout être, toute chose, devient alors objet de contemplation. Le jeûne introduit entre l’homme et le monde la distance du respect et de l’émerveillement, il permet à l’homme d’avoir faim aussi de Dieu et d’accueillir, de répercuter la faim, le « soupir » de la création.

C’est pourquoi, pour les Pères, le jeûne de nourriture est inséparable de la prière et de l’aumône: de la relation aimante rétablie avec Dieu et du partage spontané, inventif avec le prochain, car tel est bien le sens de l’aumône aux premiers siècles…

Le jeûne risque de rendre méchant, ou de donner bonne conscience pharisaïque. D’où l’appel constant au respect du prochain, à la lutte contre la médisance, et aussi au partage avec le pauvre et aux œuvres de la justice.

 

Athanase d’Alexandrie, De la virginité, 6 p 28, 260

Le jeûne allège le corps, le prépare à la résurrection, l’ouvre à la grâce qui guérit. Il facilite la transparence de l’âme, la prédispose à l’étude de la sagesse, à l’écoute de la Parole. Il permet le partage et l’entraide.

Dieu n’a pas donné le corps pour qu’il fasse obstacle par son poids… Une chair plus légère ressuscitera plus vite.

De la virginité, 7 (PG 28, 260)

A quoi bon observer le jeûne quarante jour et ne pas en respecter le sens? A quoi bon s’interdire les banquets et passer son temps en procès? A quoi bon ne pas manger le pain que l’on possède, si l’on doit voler celui du pauvre? …

Le jeûne du chrétien doit alimenter la paix, non les querelles. A quoi bon sanctifier son estomac par le jeûne et souiller ses lèvres de mensonges? Frère, tu ne pourras venir à l’église que si tes pieds ne s’emmêlent pas dans les filets de l’usure. Tu n’auras le droit de prier que si l’envie, dans ton cœur, ne fait pas obstacle… L’argent que tu donnes au pauvre ne le sera en toute justice que si tu ne l’as pas extorqué à un autre pauvre.

(…) Ainsi, imitons autant que possible le jeûne du Christ pas la pratique des vertus, afin que vienne sur nous la grâce par les jeûnes jumeaux du corps et de l’esprit.

 

Tertullien, Du jeûne, 17 p. 2, 978

Le jeûne est nourriture de l’âme, aliment de l’esprit

 

Ambroise de Milan, Sur Elie et le jeûne, 2, 2 (pl. 14, 698)

Celui qui jeûne se nourrit comme Moïse de la familiarité de Dieu et de sa parole. Il éprouve la vérité de cette sentence: L’homme ne vit pas de pain seulement mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.

 

Jérôme, lettre 130

Nous avons des journées de carême consacrées au jeûne. Nous avons chaque semaine le mercredi et le vendredi… Et le chrétien est libre de jeûner en tout temps, non par superstition, mais pas détachement volontaire… Comment en effet étudierait-on les Saintes Ecritures, comment se consacrerait-on à la connaissance et à la sagesse si l’on ne maîtrisait sa bouche et son ventre? Mais il est une autre raison, spirituelle aussi, que certains apôtres ont louées dans leur lettres… : bienheureux qui jeûne dans le but de nourrir le pauvre!

 

Origène, Homélie sur le Lévitique, 10, 2 (PG 12, 528)

Le jeûne facilite la prière. La prière de celui qui jeûne est l’aigle en plein vol. Celle de l’homme aviné, la satiété la fait lourde et la tire vers le bas.

 

Evarge le Pontique. Des huit esprits du mal, 1 (PG 79, 1145)

De la même façon qu’appesanti par la multitude de mets le corps rend l’esprit lâche et paresseux, de même aussi, exténué par une abstinence excessive, il inspire tristesse et dégoût à la partie contemplative de l’âme. Il faut donc, d’après les mouvements du corps, régler aussi la nourriture, afin que, lorsqu’il est en santé, il soit maîtrisé convenablement et que, lorsqu’il est faible, il soit raisonnablement fortifié. Il ne faut pas, en effet, que l’athlète soit d’un corps débile…

Lettre 56  

La clé du progrès spirituel, selon les plus grands témoins de l’ascèse, est donc l’amour évangélique des ennemis. C’est-à-dire, d’abord, très simplement et très difficilement, le refus de juger, le refus de se faire valoir en méprisant ou condamnant les autres. Seule cette attitude donne le détachement et la paix. Le reste est secondaire.

 

Bernard de Clairvaux (1091-1153) Sermon 1 pour le premier jour du carême,1,3,6 (trad Brésard, 2000 ans B, p. 84)

« Alors ils jeûneront »


      Pourquoi le jeûne du Christ ne serait-il pas commun à tous les chrétiens ? Pourquoi les membres ne suivraient-ils pas leur Tête ? (Col 1,18). Si nous avons reçu les biens de cette Tête, n’en supporterions-nous pas les maux ? Voulons-nous rejeter sa tristesse et communier à ses joies ? S’il en est ainsi, nous nous montrons indignes de faire corps avec cette Tête. Car tout ce qu’il a souffert, c’est pour nous. Si nous répugnons à collaborer à l’oeuvre de notre salut, en quoi nous montrerons-nous ses aides ? Jeûner avec le Christ est peu de chose pour celui qui doit s’asseoir avec lui à la table du Père. Heureux le membre qui aura adhéré en tout à cette Tête et l’aura suivie partout où elle ira (Ap 14,4). Autrement, s’il venait à en être coupé et séparé, il sera forcément privé aussitôt du souffle de vie…

      Pour moi, adhérer complètement à toi est un bien, ô Tête glorieuse et bénie dans les siècles, sur laquelle les anges aussi se penchent avec convoitise (1P 1,12). Je te suivrai partout où tu iras. Si tu passes par le feu, je ne me séparerai pas de toi, et ne craindrai aucun mal, car tu es avec moi (Ps 22,4). Tu portes mes douleurs et tu souffres pour moi. Toi, le premier, tu es passé par l’étroit passage de la souffrance pour offrir une large entrée aux membres qui te suivent. Qui nous séparera de l’amour du Christ ? (Rm 8,35)… Cet amour est le parfum qui descend de la Tête sur la barbe, qui descend aussi sur l’encolure du vêtement, pour en oindre jusqu’au plus petit fil (Ps 132,2). Dans la Tête se trouve la plénitude des grâces, et d’elle nous la recevons tous. Dans la Tête est toute la miséricorde, dans la Tête le débordement des parfums spirituels, comme il est écrit : « Dieu t’a oint d’une huile de joie » (Ps 44,8)…

      Et nous, qu’est-ce que l’évangile nous demande en ce début du carême ? « Toi, dit-il, quand tu jeûnes, oins de parfum ta tête » (Mt 16,17). Admirable condescendance ! L’Esprit du Seigneur est sur lui, il en a été oint (Lc 4,18), et pourtant, pour évangéliser les pauvres, il leur dit : « Oins de parfum ta tête ».


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