D2E65AD2 5D41 4CAE BAF9 84F5308D7FAD 1 105 c

Présence, joie et silence – Culte d’adieu à Saint Loup

A l’occasion de cette étape de l’entrée dans le temps de retraite, j’aimerais faire un petit retour en arrière de seize ans de ministère au sein de la Communauté de Saint Loup. Puis méditer sur un passage du prophète Sophonie, un des plus beaux textes de l’Ancien Testament.

La première chose qui me frappe à Saint Loup est la diminution de l’effectif des sœurs. Elles étaient 95 quand j’ai commencé en 2004. Elles sont 26 aujourd’hui.

Alors qu’au début des années 1960, Saint Loup comptait plus de 450 sœurs, une « communauté pauvre et faible » vit ici aujourd’hui.

Comme en écho à ce qu’annonçait le prophète Sophonie : « Je laisserai en ton sein un peuple pauvre et faible, qui trouvera un abri dans le nom du Seigneur ». (3,12)

J’ai donc accompagné plusieurs sœurs vers l’Éternel ! La plupart soupiraient comme le psalmiste après la maison du Seigneur. Leur prière préférée était alors « Maranatha ! Viens Seigneur Jésus, viens bientôt ! »

Leur confiance a renforcé la mienne : notre vie est vraiment un saint voyage vers le Père, avec Jésus notre « accompagnateur » !

Beaucoup de sœurs m’ont partagé leur « histoire sainte », ce moment où elles ont entendu l’appel du Seigneur et comment il est resté gravé en elles, comme si c’était hier. J’ai connu leurs prières, leurs luttes, leurs engagements auprès des malades et d’autres personnes démunies.

J’ai été édifié par leur persévérance et leur fidélité à leur vocation. J’ai été encouragé par leur prière : une prière réaliste car enracinée dans la connaissance de la souffrance humaine.

J’ai été aussi heureux d’exercer mon ministère dans une communauté qui est une « parabole » de la vie de l’Église. Une communauté où j’ai pu vivre une continuité, alors que l’Église vit des changements importants, voire des ruptures dans sa foi et sa prière.

Je mesure aussi le privilège d’avoir pu célébrer souvent l’eucharistie et partager la Parole de Dieu avec une communauté priante et attentive. La rencontre avec le Christ vivant parmi nous dans sa Parole, dans le sacrement et dans les sœurs et frères est réelle : elle est devenue la source de ma foi.

Que serais-je sans lui qui vint à ma rencontre ? Que serait Saint Loup ? Que serait l’Église ?

C’est lui, le Ressuscité au milieu de nous, qui a donné à Saint Loup de se renouveler. La rénovation de la « Maisonnée » en est un symbole visible ! Mais il y a d’autre signes qu’Il est à l’œuvre. L’élargissement de sa vocation à être un lieu d’accueil, par exemple.

La vision d’une « communauté plurielle » s’ouvrant à d’autres personnes que les sœurs, le rayonnement du mouvement des « Bergères », les diverses offres d’accompagnement et de retraite spirituelle, la communion avec le « frère ainé », le peuple juif, sont d’autres signes réjouissants.

Si je pouvais vous laisser une seule chose, je dirais « ayons confiance en Lui, le Ressuscité parmi nous…et en lui prenons soin les uns les autres » ! C’est lui qui nous rejoint, nous accompagne, nous éclaire, nous conduit, nous pardonne et nous renouvelle ! Que Saint Loup soit toujours ce lieu « prophétique » où tous peuvent le rencontrer !

Aux soeurs j’aimerais dire les trois petits mots de la prière:

Merci pour tout ce que j’ai reçu à travers vous!

Pardon de pas avoir été, trop souvent, à la hauteur!

S’il vous plaît, priez pour moi!

Que Saint Loup soit ce lieu où l’on fait « la joie de Dieu au milieu de nous », comme nous y invite le prophète Sophonie sur lequel j’aimerais méditer durant la deuxième partie de ce message. Voici ce qu’il écrit :

Ne crains rien. Au milieu de toi, le Seigneur ton Dieu, est un héros sauveur ; 

il fera de toi sa plus grande joie ; il gardera le silence dans son amour ; 

il poussera des cris d’allégresse à ton sujet. (Sophonie 3,16-17)

Présence : Jésus au milieu de nous

Sophonie chante la présence de Dieu au milieu de nous. Écoutons ce que signifie pour lui d’avoir « Dieu au milieu de nous » (3,14ss).

            – Nous recevons un pardon plein et entier

            – Nous sommes libérés de nos ennemis

            – Toute peur est ôtée de nos cœurs

            – Nous sommes fortifiés

            – Nous sommes vainqueurs dans les combats

            – Nous sommes renouvelés intérieurement

            – Nous sommes rassemblés dans l’unité

            – Nous recevons la guérison

            – Notre destinée change : des horizons incroyables s’ouvrent devant nous.

Ceci ne donne-t-il pas un merveilleux relief à la Parole que Jésus dira : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » ? (Mt. 18,20). Une parole qui me tient très à cœur et que vous avez souvent entendue de ma bouche. Cette présence de Jésus ressuscité au milieu de nous résume le sens du Royaume de Dieu, sur lequel Thierry Juvet a parlé lors de son culte d’adieu, le mois dernier.

Il est clair que pour le prophète cette présence de Dieu au milieu de son peuple est la perle précieuse qu’il faut acquérir. Elle est le bien suprême, qu’il faut chercher avant tout, et garder envers et contre tout.

Joie et silence

Sophonie annonce donc que Dieu viendra au milieu de nous. « Il fera de nous sa plus grande joie et gardera le silence dans son amour », dit-il

Joie et silence. Deux attitudes qui décrivent ce que Dieu fait au milieu de nous. Il est celui qui est joie, pure joie. Il est celui qui garde le silence, le silence intérieur pour écouter et accueillir.

Ces deux attitudes sont aussi à rechercher dans nos relations les uns (es) avec les autres.

Que veut dire pour nous faire de l’autre sa plus grande joie ?

Que signifie garder le silence par amour devant l’autre ?

La voie du frère

Pour l’apôtre Jean, une chose est claire. C’est qu’on ne peut séparer l’amour pour Dieu de l’amour les uns envers les autres.

Au soir de sa vie, après une longue expérience de la vie chrétienne, il dit une seule chose : « Dieu est amour » .

Un de mes versets préférés que j’ai reçu au moment même où j’ai, pour la première fois, fait l’expérience de l’amour de Dieu, à l’âge de vingt ans, est : « Dieu est amour ; celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (1 Jean 4,16).

Puis, Jean redit sa conviction de mille et une manières. Comment puis-je dire que j’aime Dieu, que je ne vois pas, si je n’aime pas le frère, la sœur, que je vois ? (4,20)

Si quelqu’un possède les biens de ce monde et voit son frère dans le besoin, et qu’il se ferme à toute compassion, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? (3,17)

Pour Jean la voie privilégiée pour faire l’expérience de la présence de Dieu est la voie du frère, la voie de la sœur, à aimer comme Jésus l’a aimé, c’est-à-dire en étant prêt à donner notre vie pour lui, pour elle. (3,16)

Dans les circonstances actuelles, nous nous rendons bien compte combien cette voie du frère et de la soeur est importante. Il est bon de se retrouver dans cette chapelle, mais c’est une épreuve de ne pas voir nos visages. C’est à travers notre visage que nous communiquons un sourire ou une grimace, une approbation ou réprobation.

C’est à travers nos visages que nous transmettons la présence de Dieu. Un sens possible de la bénédiction est le sourire. En effet dans la bénédiction d’Aaron, l’expression « que le Seigneur tourne sa face vers toi » peut signifier « qu’il te sourie« ! (Nombres 6,26)

Joie

Faire de l’autre sa plus grande joie. Mais qu’est-ce que cela signifie ?

Séraphim de Sarov, un des saints les plus aimés dans l’Église orthodoxe russe, disait à chaque personne qu’il rencontrait : « Ma joie ».

Il discernait sur chacun le visage de Dieu, un frère créé à l’image de Dieu, reflétant sa gloire

Devant chaque personne, nous pouvons chanter intérieurement le beau chant : « O Jésus ma joie, toi que Dieu m’envoie »… 

Chaque personne est un don, que Dieu me donne pour me réjouir et pour augmenter sa joie, car elle est créée à l’image de Dieu.

Silence

Garder le silence intérieur devant l’autre, qu’est-ce à dire ?

C’est une haute manifestation de l’amour.

C’est donner à l’autre un espace, c’est l’écouter sans arrière-pensées. Et cela commence par faire taire en nous toute pensée négative à son égard, lesquelles peuvent s’infiltrer si facilement et si rapidement.

C’est le voir avec des yeux nouveaux, comme si on le rencontrait pour la première fois.

Apaiser son coeur

Si nous abordons chaque personne dans cet esprit, je suis certain que la qualité de notre vie spirituelle va progresser de manière décisive.

Le fruit de cette attitude sera que la présence de Dieu en nous grandira, ainsi que sa présence au milieu de nous.

C’est ce que Saint Jean écrit :

« Mes petits enfants, n’aimons pas en paroles et de langue, mais en acte et dans la vérité, et devant lui nous apaiserons notre cœur ». (3,18)

Recevoir la paix dans notre cœur, c’est y trouver celui qui donne la paix, le Christ en nous.

Et nous la recevons, comme un don et dans la mesure où nous aurons fait de nos frères et sœurs notre joie et dans la mesure où nous aurons gardé le silence intérieur devant eux.

Notez que la paix du cœur, nous ne l’avons pas recherchée pour elle-même, elle est un fruit. La racine de ce fruit se trouve dans l’amour envers le prochain. 

Veux-tu arriver à l’union à Dieu ? Unis-toi à chacun de tes frères et sœurs ! Alors tu trouveras l’amour pour Dieu dans ton cœur, tu seras uni à lui, en communion avec lui.

Fais des autres ta plus grande joie et garde le silence par amour devant eux, comme le Seigneur l’a fait, alors le Seigneur se manifestera dans ton cœur.

A celui qui l’aime dans la personne de ses frères, le Seigneur promet de se manifester.

Commençons donc dès maintenant et à chaque instant à rechercher l’union avec Dieu et faisant de chaque personne rencontrée notre joie et en gardant le silence par amour devant elle !

Commençons et recommençons toujours, car les obstacles sont nombreux, en nous et en dehors de nous ! Sur cette voie nous trébucherons 1000 fois, mais nous nous relèverons 1001 fois, parce que Dieu nous aime et nous fait grâce.

Recommencer est un des plus beaux mots de la vie spirituelle.

 

Donner de la joie à Dieu

Dieu ne regarde pas au nombre ; il ne se réjouit pas de la multitude. Que nous soyons 450, 90, 50, 25 ou encore moins ; cela ne lui importe guère. « En vérité, disait un Père de l’Église, Dieu ne se réjouit pas d’une multitude, mais de ce que deux ou trois sont réunis en son nom, car il est au milieu d’eux ».1

Louis Germond, le fondateur de la Communauté de Saint Loup, disait la même chose. L’important pour lui n’est pas le nombre mais l’esprit : « Ce que nous désirions beaucoup plus que de voir (cet établissement) grandir et s’étendre, c’était d’y voir régner un véritable esprit de famille, avec les rapports simples, affectueux et faciles qu’il saurait créer et nourrir. Aussi n’aspirions-nous pas à rassembler au-delà de trente diaconesses, car il nous semblait difficile de conserver dans l’établissement l’esprit de famille si ce nombre était dépassé ».2

Demandons sans cesse la grâce de la joie et du silence intérieur devant nos frères et sœurs afin d’attirer le Christ à nous et de lui permettre de venir au milieu de nous !

En conclusion quels sont les effets de sa présence au milieu de nous ? Je les ai déjà énumérés. Mais je voudrais souligner un effet surprenant, selon Sophonie : nous allons donner de la joie à Dieu !

Réjouir Dieu lui-même ! Voici le but le plus élevé de la vie communautaire.

Que notre manière de vivre les uns avec les autres donne des « transports d’allégresse » à Dieu !       

« Pouvons-nous imaginer quelque chose de plus grand que de faire de notre vie une succession de journées qui ajoutent une joie supplémentaire à la joie de Dieu » ?3

Faisons de notre prochain notre joie, gardons le silence intérieur devant lui et nous augmenterons la joie de Dieu !

Que Saint Loup soit un lieu où la joie de Dieu inspire et renouvelle tout !

 

Prière

Dans ton amour, Seigneur, tu promets de venir parmi nous,
et même plus : d’être tous les jours avec nous,
surtout dans ces temps où tout est remis en question.

Tu nous promets une joie que personne ne peut enlever.
Peu de personnes la connaissent.
Mais à nous, réunis ici ce matin,
fais-nous la grâce de nous la révéler !
Verse-la dans nos cœurs !

Tu es notre joie, Jésus le ressuscité au milieu de nous
et dans l’Évangile tu nous montres le secret de cette joie.

Le secret de cette joie est la simplicité des béatitudes
que tu nous as données et qui sont ton portrait :
nous mettre d’accord les uns les autres dans la prière,
rechercher l’unité et ne rien faire par rivalité,
considérer l’autre comme supérieur à soi,
et par-dessus tout, vivre ton chemin d’humilité.

Seigneur, révèle-nous ce secret !
Donne à notre communauté de Saint Loup
de marcher chaque jour sur ce chemin.
Donne à ton Église de s’y engager résolument !

Révèle ce secret en particulier aux malades et aux prisonniers,
aux affamés et aux victimes d’injustice,
à ceux qui peinent, qui se divisent
ou qui se révoltent dans ces temps difficiles !

Que chacun fléchisse les genoux devant toi
pour être encouragé et élevé au temps voulu.
Que personne ne désespère de ta miséricorde,
toi, notre ami, qui est proche de chacun.

1 Theophile de Bulgarie, Expositio in Prophetam Oseam (PG 126,587)

2 Etablissement des Diaconesses de S. Loup, près de la Sarraz, précédemment à Echallens. 17e rapport. Imprimerie Genton, Voruz et Dutoit, Lausanne, 1860, p. 5

3 Chiara Lubich, Augmenter la joie de Dieu au ciel, Méditation du 26 août 2004.

Aquarelle représentant la Maisonnée de Saint Loup


Publié

dans

par

Étiquettes :