Jesus arcabas

Le martyre de la vie ordinaire. (Luc 9,18-27)

J’aimerais vous parler de ce que j’appelle le « martyre de la vie ordinaire ». Ce que je viens de dire est un oxymore. Qu’est-ce à dire ? Un oxymore est de mettre l’un à côté de l’autre deux termes contradictoires. En l’occurrence martyre et vie ordinaire.

 En effet dans le langage courant le martyre est une chose extraordinaire, qui se termine par verser son sang, comme ces 21 jeunes chrétiens égyptiens décapités en Lybie et tant d’autres victimes de l’extrémisme. Tandis que la vie ordinaire est faite d’habitudes et de programmes.

 

Et vous qui dites-vous que je suis ? … Tu es le Christ ! (v. 20)

Ce qui fait le martyre ce n’est pas d’abord la mort sanglante, mais tout commence avec ce oui tu es le Christ, qu’affirme Pierre après que Jésus ait posé la question : « Et vous qui dites-vous que je suis ? »

Tout commence avec le don de soi en tant que libre réponse d’amour à Dieu. Le oui de la foi manifeste le fond de toute existence chrétienne : « Le Seigneur nous aimés au prix fort, nous ne pouvons l’aimer à bas prix. »

Clément de Rome parle du martyre spirituel antérieur à celui du sang. Ce martyre spirituel, qui se vit dans la vie quotidienne et dans les plus petites actions de notre vie nous est décrit dans les versets qui suivent.

 

Puis, il dit à tous… (v. 23)

Etre témoin comme Pierre, cela n’est pas réservé aux apôtres. Mais c’est une vocation adressée à tous les chrétiens. Jésus s’adresse maintenant à tous, pas seulement aux apôtres, comme dans le passage précédent. Le martyre est l’horizon possible de chaque disciple.

 

Si quelqu’un veut venir à ma suite (v. 23)

Jésus invite à bien réfléchir à quoi on s’engage en le suivant. Il s’adresse à notre liberté. La liberté à laquelle le Christ m’appelle est une liberté obéissante. Paradoxe ! Suivre le Christ ouvre à une aventure spirituelle époustouflante.

Cela fait bientôt 40 ans ans que j’ai dit « oui » au Seigneur…et je peux en témoigner. Je n’aurais jamais imaginé que je serais aujourd’hui à m’entretenir avec vous sur le martyre. Où me conduira-t-il dans les 40 prochaines années ? Je suis bien incapable de le dire.

Le Seigneur nous prend tels que nous sommes, dans notre singularité et notre personnalité unique. Il nous prend et nous surprend.

 

Qu’il se renie lui-même 

Drôle de programme. Quel politicien oserait proposer cela : prendre sa croix, se renier, perdre sa vie ! Pourtant des millions de personnes ont été fascinées par cet appel, ont eu confiance en Jésus et l’ont suivi sur ce chemin et continuent à le suivre. Elles ont eu confiance en lui, car elles ont été touchées par son amour. C’est son amour qui nous appelle à des renoncements.

Renoncer à soi même signifie vivre son baptême. Renier sa vie inauthentique, démolir sa façade d’orgueil et laisser apparaître, dans la relation au Christ, son vrai moi fragile et dépouillé.

Cela signifie « entrer dans la façon de penser de Dieu, telle que Jésus nous l’a montrée dans sa propre façon d’agir. C’est la logique du grain de blé qui doit mourir pour porter du fruit, la logique de trouver plus de joie à donner qu’à recevoir ». (Parole de Vie, mars 2015)

Dans ce sens, Nicolas de Flue disait cette belle prière : «Mon Seigneur et mon Dieu, ôte de moi tout ce qui me sépare de toi, et donne-moi tout ce qui me conduit à toi ».

 

Qu’il porte sa croix chaque jour

Que signifie porter sa croix ? Je comprends cette expression ainsi : c’est traverser chaque épreuve dans l’amour, comme Jésus l’a fait, durant toute sa vie, mais plus particulièrement sur la croix quand il a aimé jusqu’à l’extrême en pardonnant. Prendre sa croix, c’est donc rester envers et contre tout dans l’amour, dans chaque difficulté, épreuve ou opposition.

De plus celui qui marche dans l’amour ne reste pas seul. La croix – l’épreuve – portée avec les autres devient plus légère. Et au milieu de nous s’infiltre Jésus, qui la porte avec nous. Sa promesse est qu’il vient là où deux ou trois s’unissent en son nom et que son fardeau est léger.  

Prendre sa croix – marcher dans l’amour dans les difficultés – c’est avancer sur un chemin, une aventure extraordinaire.

Je suis toujours touché quand je vois l’attitude de Marie au pied de la croix. Pourquoi reste-t-elle debout, en silence ? Parce qu’elle est restée dans l’amour. Si on est dans cette attitude, comme elle, on devient père ou mère spirituels.

 

Chaque jour

Luc diverge de Marc en ce qu’il met la croix en rapport avec la vie quotidienne. L’occasion pour témoigner de notre appartenance au Christ, c’est le moment présent. Chaque jour, nous avons à recommencer à chercher à mieux marcher avec le Christ, dans la vie ordinaire, dans les choix éthiques que nous avons à faire en relation avec l’argent, le travail, la famille, la vie de couple, etc. Le lieu du martyr chrétien est l’existence quotidienne du chrétien.

« La croix peut prendre bien des visages : maladie, chômage, incapacité de gérer les problèmes familiaux ou professionnels, échec pour créer des rapports authentiques, sen d’impuissance face aux grands conflits mondiaux, indignation devant les scandales répétés de notre société…La croix, inutile de la chercher. Elle nous arrive d’elle même, peut-être de manière totalement inattendue et sous une forme que nous n’aurions jamais imaginée » (Parole de Vie, mars 2015)

 

Avoir honte des Paroles de Jésus :

Jésus appelle ensuite à ne pas avoir honte de ses paroles. (v. 26)

La honte est un sentiment. La foi n’est pas uniquement affaire d’intelligence, mais aussi de cœur. La honte paralyse l’homme et lui dicte sa conduite, intérieure et extérieure.

Il faut une grande solidité intérieure pour ne pas copier les autres. On a vite honte de fréquenter les gens qui ne sont pas « comme il faut ». On a vite aussi fait de ne pas déclarer sa couleur chrétienne dans un contexte indifférent, dans la famille ou au travail…pour ne pas faire des remous…

Aujourd’hui on veut bien avoir des valeurs communes. Mais beaucoup ont honte de leur baptême, n’osent dire leur attachement à Jésus. Il y a même tout un discours de l’Eglise qui parle davantage des valeurs que de l’appel du Christ.

Les premiers chrétiens eurent à surmonter ce sentiment de honte, aussi bien parmi les Juifs que dans la société des villes grecques. La personne de Jésus et son enseignement pouvaient choquer. Il fallait un sacré courage pour déclarer son appartenance à Jésus dans une petite ville de Galilée.

Jésus ajoute de mes paroles. On ne peut séparer Jésus de ses paroles.

On peut avoir honte des Paroles de Jésus de plusieurs manières.

            En les passant sous silence, en les réinterprétant de telle manière qu’elles perdent de leur tranchant ou en les adaptant à notre culture, à l’éthique ambiante.

Par exemple, rappeler aujourd’hui dans certains contextes l’intention du Dieu créateur pour le couple peut provoquer des réactions fortes…On vit alors une sorte de martyre.

Cyprien de Carthage avertissait que si on ne vit pas les Paroles de Jésus, on n’est pas chrétien. Il ne suffit pas d’avoir été baptisé, ni de participer au culte, ni même d’avoir une responsabilité dans l’Eglise. Pour être chrétien, il faut vivre ses Paroles, pas seulement les annoncer.

Vivre les paroles se résume en une seule parole : aimer Dieu et aimer son prochain comme soi-même. Mais l’aimer en Dieu et s’aimer soi-même en Dieu. Dieu est amour, mais toute forme d’amour n’est pas forcément dans la volonté de Dieu. Notre amour doit se laisser transformer, purifier, pour être délivré des conformismes.

J’aimerais terminer par cette double question : Quelle est la Parole que Jésus m’appelle à vivre ici et maintenant ? De quelle Parole veut-il que je sois son martyr ?

 

Nous avons entendu ton invitation, Jésus, et nous y avons répondu.

Merci pour ce temps que nous pouvons passer en ta présence, à te contempler au milieu de nous,

A faire silence avec toi pour nous exposer à l’amour de ton Père et notre Père.

Que chaque jour nous prenions ce temps d’intimité avec toi !

Dans les troubles et les tourments de notre monde,

Dans les défis lancés par ton Evangile,

Dans les turbulences qui secouent ton Eglise,

Creuse en nous ce désir et ce besoin d’être avec toi,

Simplement, gratuitement, fidèlement !

Nous nous ouvrons à toi dans ce temps de silence et déposons devant toi tout ce qui alourdit notre marche vers toi.

 

Martin Hoegger


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