Enfant mendiant

« Pour se voir ». Rencontrer le regard du mendiant.

Il y a quelques années,  j’ai participé à une soirée de réflexion organisée par la Communauté de Sant’Egidio sur le thème de la mendicité dans les rues de nos villes. Un problème politique aigu, à tel point que, à la suite de certaines villes de Suisse, le Grand Conseil du Canton de Vaud a interdit les mendiants.
J’aimerais réfléchir sur ce thème posant la question : quel est mon regard sur les mendiants ? Et pour approfondir cette question du regard, je partirai du texte de la rencontre de Pierre et de Jean avec le mendiant paralysé au début du livre des Actes des Apôtres (3,1-10).

Remarquons le jeu des regards dans ce texte : le thème du regard apparaît quatre fois. Le mendiant et les apôtres se regardent. Pierre dit au mendiant « Regarde-nous » ! Rencontrer un mendiant, c’est d’abord une question de regards. Puis Pierre lui dit : « je n’ai ni or, ni argent, mais ce que j’ai je te le donne : au nom de Jésus le Nazaréen, lève-toi et marche ».
Voir, s’arrêter, entrer en relation ne va pas de soi. Auparavant, les apôtres croisaient sans doute ce mendiant tous les jours assis à cette porte, mais ils ne le voyaient pas. Pourquoi le voient-ils maintenant ? Qu’est-ce qui a changé après Pentecôte ?

Dans les rues de Jérusalem
J’aimerais vous raconter une petite expérience en lien avec ce texte. A la fin du mois de janvier, j’ai passé une semaine à Jérusalem pour participer à la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Chaque soir une célébration dans une des églises de la vieille ville.
C’était très intéressant de découvrir ce désir d’unité entre ces diverses Eglises. Or le jeudi soir j’ai participé à une célébration œcuménique dans le Cénacle, sur le Mont Sion, là où, selon une tradition, Jésus a partagé son dernier repas et où il a envoyé l’Esprit saint, à Pentecôte. La célébration s’est terminée par un long temps de prières d’intercession, où chacun a pu librement s’exprimer dans sa propre langue. Un très beau moment où nous avons entendu « annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu » (Actes 2,11). Une petite Pentecôte en quelque sorte.
Le lendemain, en sortant de la maison où je logeais sur la Via Dolorosa, je suis frappé par des mendiantes. L’une tient un enfant malade dans ses bras et m’implore du regard ; l’autre assise, le visage couvert et penché vers le sol, tend une main ; une troisième est debout contre un mur, l’air résigné.
Je rejoins mes amis avec qui j’ai vécu cette semaine, pour commencer cette nouvelle journée avec un temps de chants et de partage biblique. Durant la prière, ces images de mendiantes se bousculent dans mon esprit. Me revient alors à l’esprit ce récit de la rencontre de Pierre et Jean avec le mendiant paralysé. Le premier « acte des apôtres » après la Pentecôte. Ceux-ci sortent du Cénacle, remplis de l’Esprit saint et rencontrent la pauvreté humaine. Pourquoi leur premier miracle est-il destiné à un mendiant ? Or hier, nous avons justement prié pour l’unité avec les Eglises de Jérusalem dans le Cénacle et c’était comme une nouvelle Pentecôte. Et ce matin, je rencontre des mendiants et suis touché par eux. Je fais part de cette « coïncidence » et propose de faire silence pour méditer sur ce texte.
Après cet échange biblique, je veux ouvrir les yeux et être attentif aux mendiants sur le chemin. J’avais décidé, ce jour, d’aller prier Saint Sépulcre. J’achète quelques petits pains à la vanille dans l’intention de les leur donner. Je rencontre Mouna, qui tient dans ses bras Ibrahim, son enfant malade. Puis, en entrant dans le quartier juif, je rencontre Rami un enfant de 10 ans. Ensuite Rouka d’origine russe, qui a fait son alya, sa « montée vers Jérusalem », il y a 20 ans mais n’a pas réussi, avec ses dix enfants, à sortir de sa grande pauvreté. Enfin, devant la porte de Damas, Muhammad, un jeune handicapé
Ce même soir, durant la célébration de l’unité dans l’Eglise éthiopienne, bercé par les chants en geez, j’avais le sentiment que mon union avec Dieu s’était approfondie…

« Pour se voir »
Regarder et voir. Les apôtres ont vu le mendiant parce qu’ils vivaient dans le temps de l’Esprit. Nous vivons aussi dans ce temps, si nous sommes chrétiens. La question à me poser est alors quelle est ma relation à l’Esprit saint ?
Nous croisons beaucoup de personnes, mais souvent nous ne les voyons pas. Peut-être n’est-ce pas le temps ? Peut-être ne sommes-nous pas prêts à les rencontrer ?
Dans la Bible, la première affirmation sur Dieu est qu’il voit. « Dieu vit que tout ce qu’il a créé était bon », dit sa première page. Quand son peuple est exilé en Egypte, le texte inspiré dit : « J’ai vu la misère de mon peuple…oui je connais ses souffrances » (Ex. 3,7). Dire que Dieu voit le pauvre signifie qu’il l’aime et va intervenir en sa faveur.
Jésus a rencontré une quantité de mendiants. Pas seulement ceux qui lui tendent leur main, mais aussi tous les malades et les chercheurs de sens qui viennent à lui. Dans tous ces récits le contraste entre Jésus et ses disciples est grand. Jésus voit les mendiants, alors que ses disciples ne les voient pas et même les rabrouent.
Je terminerai par cette histoire du patriarche Athénagoras. Celui-ci racontait que des gens simples venaient à son bureau : « quand ils venaient et que je leur demandais pourquoi ils étaient venus, ils répondaient dans leur langue : « pour se voir ». Par le fait de « se voir », il s’est créé dans mon cœur une philosophie, celle qui fait que j’aime tant le dialogue avec les hommes ».
Voir, s’arrêter, entrer en relation. De cette manière la personne sur mon chemin, qu’elle soit mendiante de pain ou d’autre chose, acquière un mon. Elle est reconnue et entre dans ma prière.


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