taureau furieux

Combattre les taureaux furieux

Un jour, le Maître était en prière. Les disciples vinrent le trouver et lui dirent : « Enseigne-nous à prier. » Voici comment il leur enseigna.

Deux hommes traversaient un champ, lorsqu’ils aperçurent un taureau furieux. Aussitôt ils se précipitèrent vers la clôture la plus rapprochée, avec le taureau écumant à leurs trousses.


Très tôt il devint évident qu’ils ne s’en tireraient pas. Alors, l’un des hommes cria à l’autre: « On est pris! Rien ne peut nous sauver. Dis une prière. Vite! »
L’autre lui répondit en criant: « Je n’ai jamais prié de ma vie: je n’ai pas de prière pour semblable occasion! »
« Ça ne fait rien. Le taureau est en train de nous rattraper. N’importe quelle prière fera l’affaire. »
Ben, je vais dire celle qui me revient à la pensée parce que mon père la disait avant les repas: « Pour ce que nous sommes sur le point de recevoir, Seigneur, rends-nous vraiment reconnaissant ! »

Quels sont ces taureaux furieux qui se ruent contre nous et contre lesquels il ne reste plus que la prière ?
Ces taureaux sont toutes les formes d’injustice, dont nous sommes les victimes ou bien les agents.
Ils sont extérieurs à nous. Mais aussi intérieurs à nous !
Extérieurs, car chaque jour, nous voyons qu’il y a beaucoup d’injustices et violences, dans le monde, autour de nous.
Mais il y aussi des taureaux qui nous sont intérieurs. L’injustice est aussi en nous, ou bien, au moins la complaisance envers l’injustice, la passivité devant l’injustice.

Une veuve, symbole de la persévérance dans la prière
Jésus nous parle de la prière. Prier pas seulement quand il ne reste plus rien d’autre à faire, mais prier sans cesse et sans se décourager.
Pour nous le faire comprendre, Jésus dit cette parabole pour montrer à ses disciples qu’ils devaient toujours prier sans se décourager !
Et de leur raconter l’histoire de cette veuve qui va casser les pieds d’un juge pour qu’il lui rende justice contre son adversaire. (Luc 18,1-8)
J’ai une fois rencontré une telle veuve, en procès depuis 20 ans, pour avoir part à la fortune de feu son mari.
Certainement, il y avait un gros taureau d’injustice dans le fait qu’elle n’ait pas pu toucher cet argent, mais il y avait aussi une telle obsession en elle que je me demande si elle n’avait pas besoin d’être libérée personnellement d’un taureau intérieur. Elle s’était mise à dos tous les juges du canton, tellement elle était vindicative. Toutes ses forces, ses pensées, ses prières étaient dirigées pour obtenir justice.
Elle était persuadée que Dieu lui demandait de faire cela.
Moi, je me suis demandé si telle était vraiment la volonté de Dieu pour elle ?
Car l’Evangile parle aussi de renoncement, de ne pas faire justice soi-même, de confiance en Dieu qui agit lorsque nous reconnaissons notre faiblesse, notre pauvreté.
Mais toujours est-il que cette pauvre femme m’a fait penser à la veuve dont parle l’Evangile et qui est louée pour sa persévérance.
Car c’est bien de persévérance dont il est question aujourd’hui.
Devant les injustices, les épreuves qui durent, nous sommes toujours tentés de baisser les bras.
On veut bien prier et patienter quelques jours, voire une ou deux semaines. Mais quand cela se prolonge, sur des mois, sur 10, 20 ou même 40 ans.
Quand on ne voit pas le bout du tunnel.
Quand on se perd dans la vallée de l’ombre.
40 ans, c’est le temps de l’épreuve. 40 années au désert, où le peuple de Dieu n’a pas manqué de rouspéter, de se révolter, de regretter le passé.

Justice et amour
Qui d’entre nous peut dire qu’il n’a jamais été victime d’une injustice ?
Qui d’entre nous peut dire qu’il n’a jamais commis une injustice ?
Pour savoir ce qu’est l’injustice, il faut parler de la justice.
Qu’est-ce la justice. J’ai trouvé cette bonne définition : “ La justice est la vertu morale qui consiste dans la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû.”
La justice est de donner à Dieu ce qui lui est dû.
La justice est de donner au prochain ce qui lui est dû.
Or le juge de la parabole est précisément injuste car il ne craint pas Dieu, ni ne respecte l’homme. Il ne rend ni à Dieu, ni à l’homme ce qui lui est dû.
Comment ne pas être frappé par la relation qui existe entre la justice et l’amour, comme c’est le cas des autres vertus ?
La charité, en effet, consiste précisément à aimer Dieu de tout son cœur, de tout son esprit et de toutes ses forces, et son prochain comme soi-même.
Ce que le juge inique ne fait pas.
Augustin d’Hippone lui-même voit un lien étroit entre la justice et l’amour, qui les rend quasiment synonymes. Il affirme à ce sujet : “ La charité à ses débuts est un germe de justice. À un stade ultérieur, la charité est une justice en train de mûrir. La charité parfaite coïncide avec la parfaite justice . ”
Il y a une relation incontournable entre amour et justice : “ Le Christ nous a laissé le commandement de l’amour du prochain. Ce commandement renferme également tout ce qui concerne la justice . ”

Le thème de la justice traverse toute la Bible.
Les prophètes dénoncent les injustices commises par les rois, les prêtres. Ils dénoncent les fausses promesses de paix, alors que l’injustice blesse le peuple. Ils annoncent un temps où Dieu interviendra et rétablira la justice sur toute la terre.
Ils prédisent aussi le déclin des empires lorsque ceux-ci violent la dignité de l’homme et méprisent les lois de la nature.
Les prophètes savent que la justice vient de la liberté que Dieu donne à l’homme ; son secret se trouve dans une relation droite avec Dieu.
Mais cette relation droite avec Dieu se vérifie si je suis dans une relation droite avec mon prochain. En un mot, si je vis dans le partage, la solidarité
Car je ne peux dire que j’aime Dieu que je ne vois pas, si je commets une injustice envers mon frère, ma sœur que je vois.
La vocation principale de Jésus était la proclamation de l’année du Jubilé. Une année où Dieu libère et manifeste sa justice.
En Jésus, Dieu est le défenseur des laissés-pour-compte et des marginaux. Ceux qui sont à la périphérie sont amenés au centre.

Comment vivre dans la justice ?
En priant sans cesse !
En demandant le don de la foi. Il a un lien entre l’amour, la foi, la justice et la prière.
L’histoire de Moïse levant les bras nous le rappelle. En priant ensemble : Moïse a été aidé par Aaron et Hur. (Exode 17.8-13)
Voilà le rôle de la communauté chrétienne, de toute communauté, mais celle de S. Loup en particulier : joindre le geste de la prière de la foi au geste de la main qui soigne et qui cherche la justice avec tous.
Cette prière est vigilante, persévérante. Un vrai combat ! Arthur Rimbaud a écrit cette phrase étonnante : « Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes» ( Une saison en enfer).
Paul aussi intercède jour et nuit dans sa communauté pour ceux qui viennent à la foi.
Il demande à Timothée que son être tout entier soit habité par la Parole de Dieu. (2 Tim 3,14ss)
Prier et vivre la Parole, voilà la lumière qui nous aide à discerner des situations d’injustice

La foi est un don de Dieu. Comme tout don de Dieu, elle est à demander.
Elle est à demander non seulement au premier jour, mais chaque jour.
Et que demander : d’abord la grâce de rester dans son amour. Fais qu’à aucun moment je ne vive sans sentir que tu m’aimes !
Chez certains chrétiens orthodoxes, leur respiration est habitée par la prière de Jésus, qui dit : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de nous ».
Faisons donc nôtre cette prière des apôtres : « Seigneur Jésus, augmente-nous la foi, montre-nous ton amour ».
Prier est donc la première chose à faire pour vivre dans la justice.
La deuxième est d’aimer.
Prier et aimer sont les deux rames qui font avancer le bateau de la vie spirituelle.
Aimer Dieu dans la prière, car la prière, c’est parler à celui qu’on aime le plus.
L’aimer aussi dans chaque personne rencontrée, dans chaque situation.
A force d’aimer, notre foi deviendra solide comme du diamant.

Le Seigneur combattra pour vous !
Il arrive que je ne puisse rien faire dans ce cas, pour cette personne chère qui est en danger ou malade, pour dénouer cette situation impossible, devant telle injustice…
Que faire alors ? Eh bien, je ferai ce que Dieu désire de moi en cet instant : étudier le mieux possible, balayer une pièce, prier, faire une promenade, bien écouter une personne, bien m’occuper de mes enfants…
C’est Dieu qui veillera à démêler cette affaire, à réconforter celui qui souffre, à trouver une solution à l’imprévu…
Ce qu’il me demande, c’est de l’aimer dans sa volonté telle qu’elle se présente à moi. Voici mon travail. Puis je laisse à Dieu faire son travail.
C’est un travail à deux, une confiance réciproque.
Moïse avait cette confiance lors de la sortie d’Egypte, quand lui et son peuple étaient confrontés à des centaines de taureaux furieux : les chars de la cavalarie de pharaon :
« Le SEIGNEUR combattra pour vous, et vous, vous garderez le silence » (Exode 14,14)
Cette petite histoire peut l’illustrer. Elle m’a été racontée par un ami italien. C’est avec elle que j’aimerais conclure :
« J’ai un ami, qui s’appelle Angelo ; il me dit qu’il est au chômage, et me fait part d’une grande douleur : il vient de perdre sa petite fille nouveau-née. Quand nous nous quittons, je n’ai qu’un désir : faire quelque chose pour lui. Ma première pensée a été : il faut que je cherche un travail pour Angelo.
Parmi les rares possibilités existantes, dans une région où il y a tant de chômage, il me vient à l’esprit de m’adresser à Carlo, un autre de mes amis, directeur d’une grosse entreprise. Mais la journée qui m’attend est très chargée, et je réalise que je n’aurai pas le temps de l’appeler. Pendant la prière, je me plains un peu à Jésus : « Tu m’en demandes trop ! »
Tandis que je me rends auprès d’une autre personne, qui vit elle aussi une situation très douloureuse – une visite que j’avais programmée dans l’emploi du temps de ma journée – je confie au père la recherche d’un travail pour Angelo.
Pendant des heures, j’écoute tranquillement cette personne, à la fin de l’entretien, elle est vraiment apaisée et heureuse.
De retour à la maison, un message m’attend. C’est Angelo : il a trouvé un travail. Il est heureux. Et moi aussi. Mais je suis littéralement bouleversé par sa deuxième phrase : il est embauché par l’entreprise de Carlo, avec lequel il a été mis en contact par une autre voie ».

Ayons donc cette confiance que là où nous ne pouvons agir directement, un Autre agit véritablement, qui fait immensément mieux que nous.
Et que cette prière nous habite : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, augmente notre foi en ton amour! »

 

Prière

« Il leur disait une parabole, pour montrer qu’il faut toujours prier, sans se lasser » (Luc 18,1)


Comment as-tu réagi, Jésus, devant les injustices, les fermetures et les abandons
que nous devons vivre, nous aussi, un jour ou l’autre ?

Tu n’as pas rendu le mal pour le mal, ni attaqué ceux qui te blessaient.
Avant de répondre ou de garder le silence, tu es d’abord entré en toi,
dans la maison de ton cœur, là où ton Père te rencontrait sans cesse.

Jour et nuit tu maintenais ce dialogue vital en lui apportant
tout ce que tu vivais et tous ceux que tu rencontrais.
Tu déposais dans son cœur toute la violence, dont ce monde si blessé est capable.

Seigneur, moi aussi, en toi et par ton Esprit
je veux vivre cette conversation continuelle avec notre Père,
comme tu m’y invites tant de fois dans l’Evangile,
et avoir confiance qu’il me fera justice bien vite.


Publié

dans

par

Étiquettes :