Francois leveque Munib Younan president Federation lutherienne mondialedune ceremonie oecumenique cathedrale Lund Suede 31 octobre 2016 0 1400 967

Luther, l’unité de l’Eglise et les dialogues oecuméniques actuels

Lund, 31.10.2017. Signature d’une Déclaration par le pape François et l’évêque Mouneeb Younan, président de la Fédération luthérienne mondialeLe but de cet article est d’étudier comment la pensée de Luther sur l’Eglise et son unité permet de nourrir un dialogue fécond. En cette année 2017 du jubilé de la Réformation, le message de Luther est remis en avant de la scène œcuménique. Revenir aux sources de sa pensée réformatrice me paraît en effet indispensable. 

 

« Ni la chrétienté protestante ni la chrétienté catholique ne peuvent ignorer la figure et le message de Luther », affirme la Commission luthéro-catholique sur l’unité, dans son important document « Du conflit à la communion ».[1] 

 Lire l’étude complète (avec notes) en format pdf 

 

  1. Liberté et unité chez Luther

 Martin Luther, chantre de la liberté chrétienne, a donné, comme nul autre en son temps, une place à l’individu. Son appel à retourner à la Parole de Dieu a provoqué un grand vent de liberté.

C’est l’Evangile de Jésus-Christ qui rend libre. Il lui importait donc que cette Parole ne soit pas étouffée par aucune autre autorité.

«Je ne puis souffrir que l’on soumette la Parole de Dieu aux lois de nos interprétations, car il importe que la Parole de Dieu ne soit pas liée, elle qui enseigne toute liberté.» WA 7, 47, 28-30.

Puisque c’est l’Esprit saint, à travers la Parole, qui crée cette liberté, personne ne doit être contraint à croire.  

Toutefois Luther ne se reconnaîtrait pas dans l’individualisme moderne. Chez lui liberté et communauté s’appellent réciproquement.

L’individu qui s’isole de la communauté n’est pas vraiment libre, car c’est dans la communauté qu’il reçoit l’Evangile de la liberté. Une liberté qui le conduit à servir les autres.

Durant toute sa vie, Luther gardera la conviction qu’un chrétien a besoin de l’Eglise pour vivre sa foi.  

« Qui veut trouver le Christ doit d’abord trouver l’Eglise… » (WA 10,1, 140,8-11).

Cette idée, reconnaissons-le, a été abandonnée dans le protestantisme moderne. L’accent est mis sur la personne avec sa psychologie et ses expériences subjectives.

L’Eglise n’est pas vraiment indispensable pour nouer notre relation au Christ. Le protestant est volontiers critique par rapport à l’Eglise. Ce qui compte sont les convictions personnelles, toutes à respecter.

D’où un grand pluralisme dans les domaines dogmatique, éthique, ecclésiologique et liturgique qui constitue un obstacle au dialogue œcuménique.

 

  1. Luther tenait à l’unité de l’Eglise et a voulu son renouveau.

Luther a vécu toute une évolution, mais sa passion du début à la fin était l’Evangile qui nous appelle à conformer notre vie à celle de Jésus-Christ.

La première ses 95 thèses de 1517 concerne la « pénitence ». Le jeune Luther n’avait pas de programme de Réforme élaboré. Son projet se résume en ce mot.

Il savait qu’un renouveau commence par un appel à la conversion et que celle-ci accompagne toute la vie du croyant.

Un principe qui reste toujours d’actualité, que cela soit à l’interne des Eglises protestantes ou dans le dialogue œcuménique, comme le dit la Déclaration de Lund.

« Alors que nous sommes profondément reconnaissants pour les dons spirituels et théologiques reçus à travers la Réforme, nous confessons aussi devant le Christ que luthériens et catholiques ont blessé l’unité visible de l’Église et nous le déplorons. Des différences théologiques ont été accompagnées de préjugés et de conflits, et la religion a été instrumentalisée à des fins politiques. Notre foi commune en Jésus Christ et notre baptême exigent de nous une conversion quotidienne par laquelle nous rejetons les désaccords et les conflits historiques qui empêchent le ministère de la réconciliation.» (« Déclaration commune », à l’occasion de la commémoration commune catholique-luthérienne de la Réforme, Lund, 31 octobre 2016)

Ses premiers écrits, tout en formulant des critiques, comme d’autres, contre l’Eglise d’alors, ne la remettent pas en cause. Son commentaire sur les psaumes ne critique ni la hiérarchie, ni la papauté. Il reconnaît tout ce qu’elle a apporté :

Dieu « a honoré l’Eglise romaine plus que d’autres, il y a quarante six papes, il y a les cent mille martyrs…Ainsi Dieu l’a particulièrement considérée » (WA 2,72,31)

Dans son cours sur l’épître aux Romains, il refuse la solution séparatrice : il ne faut pas quitter l’Eglise pécheresse, pour rester pur. Quand le conflit avec la hiérarchie se précise, il cherche l’accord en se référant au bien commun : l’Ecriture, les Pères de l’Eglise et les conciles.  

En 1519, en rappelant à l’Eglise sa subordination à la Parole de Dieu, il écrit :  

« Nous critiquons, nous détestons, nous prions, nous avertissons, mais nous ne nous séparons pas…sachant que le charité est au-dessus de tout ». (WA 1,605,23s)

Dans la relecture commune de l’histoire faite par luthériens et catholiques, il y a aujourd’hui un fort consensus que Luther et ses compagnons étaient déterminés à maintenir l’unité de l’Eglise, et à rester au sein d’une seule Eglise visible.

Voici la conclusion du document de dialogue Du conflit à la communion :  

« Luther n’avait absolument pas l’intention d’établir une nouvelle Eglise, mais il faisait partie d’un vaste courant, très varié, aspirant à une réforme ». (Du Conflit à la Communion, §59, 69-70)

 

  1. La réformation, une nécessité ou une tragédie ?  

Aujourd’hui encore il y a une tension dans la manière de comprendre la réformation initiée par Luther. Etait-elle une nécessité ou une tragédie ? Un appel à retrouver la vraie catholicité contre la romanisation de l’Eglise ou une fragmentation de la chrétienté ?  

La vérité se trouve sans doute entre les deux approches. Ainsi l’historien Jaroslav Pelikan a parlé de « la tragique nécessité  de la Réformation ». Tragique était en effet la dégénérescence de l’Eglise médiévale.

Tragiques étaient le refus de Rome d’écouter Luther et la radicalisation des réformateurs.

Tragique était la mise en place d’une structure parallèle.

Tragique était – est toujours – le fait que les protestants se soient habitués à la séparation et que beaucoup ne voient pas la nécessité de retrouver une pleine communion.

Cependant l’approfondissement des dialogues a conduit à un changement d’attitude de part et d’autre.

Il y a plus de 50 ans, le pape Jean XXIII s’était écrié :

« La responsabilité est partagée… Réunissons-nous et mettons fin à nos divisions » ! (Jean XXIII)

Un cri entendu par ses successeurs : Paul VI a demandé pardon à Dieu et aux « frères séparés », lors du discours inaugural de la 2e session du Concile Vatican II et dans le Décret sur l’oecuménisme.

En 1984, Jean-Paul II a déclaré lors de la visite au Conseil œcuménique des Eglises à Genève : « Pour ce dont nous sommes responsables, je demande pardon, comme l’a fait mon prédécesseur Paul VI ».     

Côté protestant, le dialogue a aidé les théologiens luthériens à surmonter certaines attitudes confessionnelles pleines de préjugés.

Ils sont devenus plus lucides sur leur propre tradition. Cela a conduit à des « confessions luthériennes des péchés contre l’unité », que cela soit sur la polémique contre l’Eglise romaine et le pape, contre les anabaptistes et les juifs.

Des projets œcuméniques comme, en 1980 « les anathèmes du 16e siècle sont ils encore actuels ? » et en 1999 « la Déclaration commune sur la doctrine de la justification par la foi » ont permis de progresser vers un consensus sur le cœur de la foi chrétienne.

La recherche catholique sur Luther a admis que celui-ci a dépassé en lui-même un catholicisme qui n’était pas pleinement catholique. Elle a abandonné la caricature de Luther comme moine apostat, hérétique et diviseur de la chrétienté.

Une nouvelle compréhension, davantage œcuménique de Luther, voit alors le jour. Jean-Paul II le considère avant tout comme un « témoin de l’Evangile ». Benoît 16 voit en lui un passionné de la question de Dieu. Et le pape François, tout récemment lors de la cérémonie œcuménique d’ouverture du jubilé des 500 ans de la Réformation, le 31 octobre 2017 à Lund, a reconnu :

« La Réforme a contribué à mettre davantage au centre la Sainte Écriture dans la vie de l’Église…» (Pape François, Lund, 31 octobre 2016)

 

  1. Vraie et fausse unité  

Luther a repris la notion de S. Augustin de l’Eglise comme un « corps mixte » (corpus mixtum) où l’on ne peut séparer l’ivraie du bon grain, mais plutôt où l’on doit éviter de juger, s’en tenir à l’amour et prier avec persévérance pour la conversion de tous. 

Pour Luther, les signes de la vraie unité de l’Eglise, nous le verrons plus loin, sont avant tout l’Evangile et les deux sacrements du baptême et de la cène.  

La fausse Église – celle dont le Christ parle quand il dit « gardez –vous des faux prophètes » – décide de règles,  et de pratiques étrangères à l’Evangile. Elle crée une unité factice, de façade. Ce faisant elle s’écarte de l’Eglise ancienne, alors que la vraie Eglise se trouve dans son sillage.  

Toutefois Luther reconnaît que les membres de la fausse Église demeurent aussi dans l’Eglise dans laquelle ils ont été baptisés. Le baptême n’a pas pu être détruit. En 1541, cinq avant sa mort, dans son épître au pape, Luther écrit :

« Nous ne confessons pas seulement que, avec nous, vous êtes issus de l’authentique Eglise et que, avec nous, vous êtes issus de l’authentique Eglise et qu’avec nous vous avez été rincés et lavés dans le baptême, par le sang de notre Sauveur Jésus-Christ,… mais nous disons que vous êtes aussi dans l’Eglise et que vous y demeurez » (WA 51,507,7-10)

La vraie Eglise sera toujours minoritaire et sous la croix, attaquée et tentée. Son unité est celle des vrais croyants. Ses signes extérieurs sont l’Evangile et les sacrements. « Dieu maintient un reste », même si « l’Evangile est sous le banc ». Il en était déjà ainsi dans l’Ancien Testament durant l’époque des prophètes et plus tard avec les Pères de l’Eglise jusqu’à François d’Assise. (WA 42,424,10)

Cette distinction entre la vraie et la fausse Eglise est-elle encore pertinente ? Luther appelle à ne pas se séparer d’une Eglise où les signes de la vraie unité sont présents : l’Evangile et les sacrements. Pour lui l’Eglise doit toujours se demander si ses décisions et ses pratiques expriment la vraie Eglise. Elle a constamment besoin de se renouveler, d’ôter les faux habits qu’elle a pris du monde pour revêtir l’habit de fête que le Christ lui donne.

 

  1. L’Eglise est d’abord communion des cœurs. 

A une époque où l’Eglise se caractérisait par son décorum, son faste, son pouvoir, Luther insiste sur le fait que ce qui la constitue d’abord n’est pas l’extérieur, mais l’intérieur. Dès 1518, dans la tradition augustinienne de l’Eglise invisible, il distingue « l’Eglise extérieure », caractérisée par son organisation et ses règles, de « l’Eglise intérieure », communion personnelle des croyants avec le Christ et, en Lui, les uns avec les autres.

La première doit être au service de la seconde. L’existence concrète et formelle de l’Eglise doit contribuer à l’existence devant Dieu. (WA 1,634-643) La première est « une assemblée de corps », la seconde est « une réunion des cœurs en une seule foi ».

Pour Luther, l’Eglise est essentiellement « communion des saints », l’assemblée de ceux qui se réunissent dans la fraternité avec le Christ et les uns avec les autres et partagent les dons que Dieu a donnés :  

 « Cette Communaute est composée de tous ceux qui communient dans la vraie foi, l’espérance et l’amour, en sorte que l’essence, la vie et la nature de la chrétienté n’est pas une assemblée de corps, mais une réunion des cœurs en une seule foi, comme le dit S. Paul (Eph 4,5s) … ». (WA 6,277ss)

Cette communion en Christ unit les chrétiens qui sont comme « un gâteau avec le Christ et entre eux ». (WA 10,II,218,15) La sainte cène est « un signe de la communion de tous les saints ». (WA 3,547,27)

L’accent de Luther sur la communion a été partagé en son temps. Il est actualisé aujourd’hui par l’ecclésiologie de communion, valorisée tant par Vatican II que par la théologie œcuménique.

Ce concept est aussi repris par les Eglises luthériennes et les Eglises réformées afin d’approfondir leur communion.

Cette ecclésiologie a aussi de grandes implications œcuméniques, car elle met l’accent sur les relations entre les croyants au niveau local, là où la Parole de Dieu est annoncée, célébrée dans les sacrements et vécue.

C’est surtout à ce niveau que des chrétiens de différentes Eglises se mettent ensemble au service de tous, en particulier des plus pauvres.

 

  1. Le Saint Esprit crée l’unité de l’Eglise

Qui est digne de recevoir le nom de chrétien ? Seul celui qui est régénéré par le Saint Esprit, dit Luther sans ambages dans un de ses traités principaux : « ceux qui ne subissent pas cette action de l’Esprit ne doivent pas se compter au nombre des chrétiens ». (Des conciles et des Eglises, 1539) Sans la foi animée par l’Esprit saint un chrétien n’est qu’un « simulacre de chrétien », dit-il encore. La vie chrétienne est donc une continuelle invocation de l’Esprit saint, car par notre propre force on ne peut croire en Jésus-Christ, ni le suivre. 

Si l’Esprit saint est à l’origine de la vraie foi, c’est lui aussi qui crée l’Eglise par l’Evangile et la garde dans l’unité. Luther en donne une des définitions les plus concises – et belles – dans son œuvre la plus populaire, le Petit catéchisme de 1529:  

« le Saint Esprit … appelle, assemble, éclaire, sanctifie toute la chrétienté sur la terre et la maintient, en Jésus-Christ, dans l’unité de la vraie foi. C’est lui qui, dans cette chrétienté, me remet, chaque jour, pleinement tous mes péchés, ainsi qu’à tous les croyants ; c’est lui qui, au dernier jour, me ressusciter, moi et tous les morts, et me donnera, ainsi qu’à tous les croyants en Christ, une vie éternelle. Ceci, en toute certitude, est vrai » (Petit Catéchisme, 3e article)

Mais si l’œuvre de l’Esprit est de créer l’unité, cette unité n’est pas uniformité. Luther le dit dans son commentaire sur Jean 17, 21 : « Que tous soient un » !

L’Eglise, créature de la Parole et de l’Esprit ?  Cependant tant les traditions luthérienne que réformée ont mis l’accent sur la Parole.

L’ecclésiologie est essentiellement pensée à travers la christologie. L’Esprit est le grand oublié.

La même chose peut être dite de la théologie catholique avant Vatican II. Yves Congar a forgé le terme de christomonisme pour critiquer cet oubli dans la tradition latine.

Il faudra l’apport de la théologie orthodoxe ainsi que les renouveaux pentecôtiste et charismatique pour redécouvrir la personne du Saint Esprit et approfondir une perspective davantage trinitaire sur l’Eglise.

 

  1. L’unité et l’égale dignité de tous les chrétiens

Le texte de Luther qui a sans doute eu le plus grand retentissement est son « Manifeste à la noblesse allemande » publié en 1520.

Dans une société à double vitesse compartimentée entre clercs et laïcs, moines et chrétiens ordinaires, il y affirme l’unité et l’égale dignité de tous les chrétiens par le baptême.

Ce sacrement fait entrer chacun dans une relation nouvelle avec le Christ et avec son prochain. Il est vraiment un sacrement d’unité et de fraternité :

 « Mon cher, par le baptême, tu as noué des liens de confraternité avec le Christ, les anges et les saints, et tous les chrétiens sur terre ; tiens t’en à cette confrérie-là et satisfais à tes devoirs envers elle, et elle te suffira ». WA 6,452,32-35 

La foi et le baptême sont la consécration et l’ordination de chaque chrétien à suivre le Christ, à vivre son Evangile là où Dieu l’a placé et à en témoigner.

Un texte que Luther a particulièrement médité est celui de la première épître de Pierre, où celui-ci décrit les chrétiens comme des prêtres et des rois, appelés à proclamer les hauts faits de Dieu :

 « Nous sommes absolument tous consacrés prêtres par le baptême… Tout ce qui émerge du baptême peut se vanter d’être déjà consacré prêtre, évêque et pape, encore qu’il ne convient pas à tout chrétien d’exercer semblable fonction ». (WA 6,407,22-408) 

Chaque croyant a ainsi la responsabilité d’intercéder et de communiquer l’Evangile autour de lui, en particulier les parents à leurs enfants : « le père et la mère sont assurément les apôtres, les évêques et les pasteurs des enfants lorsqu’ils leur annoncent l’Evangile ». (WA 10,II,301,23-28 )

Tous sont appelés à lire les Ecritures personnellement pour rencontrer le Christ qui se communique à travers ce texte. C’est pourquoi Luther, avec ses collègues de l’université de Wittenberg, traduisit la Bible en allemand et établit des écoles pour filles et garçons.

Sacerdoce universel et ministère

Si le sacerdoce universel, baptismal vient en premier et doit constamment être vivifié par la foi, cela n’exclut pas le ministère particulier. « Tous ont une dignité égale, tous sont prêtres, évêques et papes en puissance, mais tous ne sont pas chargés de ces différentes fonctions » (Appel à la noblesse), précise Luther.

Pour exercer le ministère de la Parole et des sacrements, tâche première des pasteurs et des évêques, il faut être « régulièrement appelé » par la communauté.

De même la Confession d’Augsbourg, comme les confessions de foi réformées insisteront sur cet appel : c’est la vocation et l’ordination (ou la consécration) qui font le ministre.  

 « Quant au gouvernement de l’Eglise, nous enseignons que nul ne doit enseigner ou prêcher publiquement dans l’Eglise, ni administrer les Sacrements, à moins qu’il n’ait reçu une vocation régulière ». (Confession d’Augsbourg, Article 14)

L’actualité de la pensée de Luther doit être soulignée. Sur la base du renouveau biblique et patristique, le Concile Vatican II a conçu les ministères comme un service du sacerdoce commun des baptisés. La notion de hiérarchie est à comprendre selon cette perspective. La réflexion œcuménique va dans le même sens.

Le thème du ministère est désormais traité à l’intérieur de la vocation de tout le peuple de Dieu, ce que Foi et Constitution a appelé « la base baptismale de tout ministère chrétien ».

 

  1. Les signes de la vraie unité de l’Eglise

Nous avons vu que, selon Luther, l’Eglise comme communion spirituelle peut exister partout sur terre où, selon la Parole de Jésus « deux ou trois sont réunis en mon nom ». Quand il y a cette communion en Christ vivant dans sa Parole, l’Esprit saint se manifeste avec plus de force que si on reste seul.

Toutefois il n’y a pas seulement cette réalité cachée de communion mais aussi des signes qui attestent de manière visible et concrète que la vraie Eglise est présente. Dans son célèbre article VII, la Confession d’Augsbourg, publiée en 1530, définit l’Eglise comme

« l’assemblée des saints dans laquelle l’Evangile est enseigné dans sa pureté et les sacrements sont administrés dans les règles…  

La Parole et les sacrements sont événements de communion. C’est la compréhension fondamentale qu’ont de l’unité non seulement les luthériens mais aussi tous les protestants.  

Ce même article donne ensuite une définition qui deviendra le pivot du modèle luthérien d’unité :

« Pour que soit assurée l’unité véritable de l’Église chrétienne, il suffit (satis est) d’un accord unanime dans la prédication de l’Évangile et l’administration des sacrements conformément à la Parole de Dieu. Mais pour l’unité véritable de l’Eglise chrétienne il n’est pas indispensable qu’on observe partout les mêmes rites et cérémonies qui sont d’institution humaine ». (Confession d’Augsbourg, Art. 7)

La discussion au sujet de cet article a été vive tant à l’intérieur du Luthéranisme que dans le dialogue œcuménique. Le débat s’est focalisé en particulier sur un « silence ». Cet article, en effet, ne parle pas de la nécessité du ministère ecclésial pour assurer l’unité de l’Eglise. Comment le comprendre ?

Le ministère est-il, oui ou non, constitutif de l’être de l’Eglise et, par conséquent, nécessaire pour son unité ? Telle est la grande question que soulève cet article.

Cet article VII ne dit pas tout sur l’Eglise. Il doit être complétée par d’autres articles. L’article V dit en effet que le ministère de la Parole et des sacrements a été institué par Dieu. L’article XIV affirme que « nul ne doit enseigner ou prêcher publiquement dans l’Église, ni administrer les sacrements, à moins qu’il n’ait reçu une vocation régulière ». L’article XXVIII définit le ministère épiscopal, en tant que « ministère de droit divin ».

Dans l’un des formulaires d’ordination utilisé à Wittenberg, il est dit : « Le ministère ecclésial est pour toutes les Eglises quelque chose de très important, il est donné et maintenu par Dieu seul ».

En conclusion, l’on ne peut argumenter à partir de l’article VII de la Confession d’Augsbourg que le ministère ne serait pas institué par le Christ et, par conséquent, n’appartiendrait pas à l’être de l’Eglise et ne serait donc pas nécessaire pour son unité.

Oui, le ministère est aussi un signe de la vraie unité ! Avec cette interprétation la position protestante n’est pas si éloignée des  conceptions catholique et orthodoxe de l’unité, en tant qu’unité complète de la foi, des sacrements et du ministère ecclésial.

 

 

  1. Prier le Dieu d’unité

Sans la prière continuelle, l’Eglise se diviserait en mille factions. Dans son commentaire du notre Père dans le Grand Catéchisme, Luther montre la nécessité de la prière sans laquelle nous ne pouvons ni obéir aux commandements, ni croire, ni vivre dans l’Eglise. Elle est l’âme de l’Eglise.

Il faut surtout prier pour rester dans l’humilité et être gardés de l’orgueil. L’humilité construit l’unité tandis que l’orgueil en est le principal obstacle.

 «Cette humilité convient à un chrétien comme une des vertus les plus éminentes et les plus nécessaires, vertu qui est aussi le lien le plus éminent de l’amour chrétien et de l’unité chretienne (comme le dit S.Paul, Eph 4,2s) ». (Œuvres, IX, 1961, p. 335)

Le modèle de l’humilité chrétienne est Marie, « la douce Mère de Dieu », comme Luther l’appelle. Il faut aussi prier pour que nous soyons délivrés du diviseur qui veut mettre sans cesse en péril l’unité de l’Eglise.

Ce n’est qu’à l’ombre de la croix, où le Christ a réconcilié le monde que l’on peut vaincre tout ce qui divise et devenir artisan d’unité.

La vie du chrétien est unifiée par la prière. Sa vie entière a vocation à n’être que prière : « Là où est le chrétien, là est le Saint Esprit qui ne fait rien d’autre que de prier sans discontinuer ». (WA 45,541,27s)

Concluons par cette prière pour l’unité attribuée à Martin Luther, qui apparaît pour la première fois dans un livre de piété de Nuremberg au XVIème siècle.

« Dieu éternel et miséricordieux, toi qui es un Dieu de paix, d’amour et d’unité, nous te prions, Père, et nous te supplions de rassembler par ton Esprit Saint tout ce qui s’est dispersé, de réunir et de reconstituer tout ce qui s’est divisé. Veuille aussi nous accorder de nous convertir à ton unité, de rechercher ton unique et éternelle Vérité, et de nous abstenir de toute dissension. Ainsi nous n’aurons plus qu’un seul cœur, une seule volonté, une seule science, un seul esprit, une seule raison, et tournés tout entiers vers Jésus-Christ notre Seigneur, nous pourrons, Père, te louer d’une seule bouche et te rendre grâces par notre Seigneur Jésus-Christ dans l’Esprit Saint. Amen ! » 

[1] Du conflit à la communion. Commémoration commune catholique -luthérienne de la Réforme en 2017. Olivétan, Lyon, 2014, §2.

Luther, Calvin, Viret et l’oecuménisme, un dossier


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