Voir l’autre « face à face »

Si vous vous promenez dans les couloirs de l’Académie orthodoxe de Crête, où s’est tenu le Concile orthodoxe, vous serez intrigués par plusieurs tableaux sur le même thème. Ceux-ci illustrent un épisode de la vie de Saint Macaire, un Père égyptien du désert du 4e siècle. Un jour, en promenade dans le désert, il rencontra un crâne dans le sable et lui demanda : « Qui es-tu ?

– Je suis un prêtre païen, répondit celui-ci, quand tu pries pour nous en enfer, nous sommes consolés. – A quoi ressemble l’enfer, demanda Macaire, et quelle consolation éprouves-tu ? – Le prêtre lui répondit : Nous sommes entourés de flammes, mais le plus grand tourment est que nous sommes enchaînés, dos contre dos et que nous ne pouvons pas voir le visage de l’autre. L’enfer c’est en fait cela. Mais quand tu pries pour nous, les liens se détachent et nous pouvons nous voir FACE-A-FACE. Et c’est cela notre consolation »!

J’ai vécu une semaine dans cette académie lors de la Commission plénière de Foi et Constitution (en octobre 2009). Emanuela Larentzakis, membre du comité scientifique de cette Académie m’a expliqué que le dialogue entre Macaire et le crâne est une métaphore de la confrontation de l’homme avec l’Autre, notre compagnon en humanité. Jean-Paul Sartre l’a exprimé de manière tragique : « l’enfer, c’est les autres ». Nous avons ici l’exact opposé, résumant la foi chrétienne : ce n’est pas la présence, mais l’absence de l’autre, le manque de communication, la solitude, les jugements les uns sur les autres, qui sont causes de peines et de tourments.

« Ce que nous voulons vivre dans l’Académie est de permettre aux personnes de se rencontrer dans une nature magnifique et une ambiance de foi, de prière et de recherche. Il me semble que c’est aussi ce que nous avons vécu durant ces jours intenses de la Commission plénière. Nous ne nous sommes pas tournés le dos, mais rencontré face- à-face », m’a-t-elle dit. 

La Bénédiction, sourire de Dieu.
Dans la bénédiction d’Aaron du livre des Nombres, le mot « Face » apparaît à deux reprises:
Que le Seigneur te bénisse et te garde !
Que le Seigneur fasse rayonner sur toi sa face et t’accorde sa grâce !
Que le Seigneur tourne vers toi son visage et te donne la paix !

L’expression « Nasah panaw » – tourner le visage vers quelqu’un – peut avoir le sens de « sourire ». Que le Seigneur te sourie. On pense à l’ange du sourire du portail de la cathédrale de Reims. Bénir quelqu’un, c’est le regarder avec bienveillance et lui sourire.

L’Evangile nous dit que Jésus regardait attentivement les personnes qu’il rencontrait. « Le Seigneur posa son regard sur Pierre », qui l’avait renié, (Luc 22,61) ; « Jésus regarde Nathanaël qui venait à lui » (Jn 1,47). Dans le récit du jeune riche venu à Jésus pour lui poser la question essentielle, il nous est dit « Jésus le regarda et se prit à l’aimer » (Mc 10,21)… Mais quand le jeune homme entendit l’appel de Jésus à le suivre et à le mettre en premier, avant toutes choses, « il prit un air sombre et il s’en alla tout triste parce qu’il avait de grands biens » (v. 22). Cet homme lui a tourné le dos. L’assombrissement de visage est signe extérieur de son repliement intérieur. Le face à face n’a pas duré bien longtemps. Le jeune homme n’a fait que « regarder sans regarder » (Mt. 13, 13). Pourtant, je crois que malgré l’attitude de cet homme, Jésus a continué à lui sourire, attendant que l’impossible se produise.

Contempler le visage du Christ dans l’autre Eglise
Cette métaphore du Face-à-face avait été reprise dans un document de Foi et Constitution : « La nature et la mission de l’Eglise » : « Dans le Face à Face, nous sommes appelés à rencontrer le visage du Christ dans le frère et la sœur dans chaque Eglise». Je me rappelle aussi des paroles du pape Jean-Paul II au synode de l’Eglise orthodoxe roumaine : « Je suis venu contempler le visage du Christ dans votre Eglise ».

Le premier face à face qui donne sens à tout est notre union à Dieu dans la prière. Un Dieu lui-même relationnel, dont les relations trinitaires sont un modèle de l’unité et la diversité à vivre dans l’Eglise. L’icône de la Trinité exprime merveilleusement cette rencontre des visages.

Un Dieu qui aime tant la relation, qu’il a voulu éprouver ce que signifie l’absence totale de relations. Il est entré dans la plus profonde division dans l’abandon du Christ sur la Croix. Aujourd’hui la face du Crucifié se rencontre dans les visages défigurés par la violence, la solitude et la pauvreté.

L’Eglise, lieu du face à face.

L’Eglise est le lieu où se vit ce face à face: elle est Famille et Maisonnée de Dieu. Paul dit que les chrétiens sont « les gens de la maison » en Eph. 2,19.22. En grec, les oïkeoï, terme qui vient de oikos, maison, famille, est un mot à la racine du mot œcuménisme. La maison est le lieu par excellence du face-à-face. Quand les parents se tournent le dos, cela provoque une grande souffrance chez l’enfant. L’œcuménisme commence quand je renonce à juger l’autre Eglise et que je dis au membre d’une autre Eglise : « Nous appartenons à la même famille, nous nous appartenons l’un à l’autre ». « Le monde a vraiment besoin de nous entendre dire : « J’ai vraiment besoin de toi ». L’Eglise est la famille, où l’Esprit saint habite.

Pour pouvoir se rencontrer dans la paix et la vérité, chaque communauté a besoin de faire habiter l’Esprit saint au milieu d’elle. Le faire habiter par la prière et la vie par l’attention permanente à la volonté de Dieu. « Un regard lumineux donne une joie profonde » (Pr. 15,30), « Qui a le regard bienveillant sera béni » (Pr. 22,9). Mais un regard de jugement détruit la communauté et nous isole les uns des autres.

Que le Seigneur tourne sa face vers nous, qu’il fasse rayonner son regard et nous sourie. Prions et bénissons, afin que nos lien se détachent que nous puissions rencontrer chacun face-à-face !


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