Tableau de l'Arzillier

Sous le signe de la rencontre. Le tableau de la Maison de l’Arzillier

Le tableau de l’Arzillier, la Maison du dialogue, m’inspire depuis bientôt 20 ans. Œuvre de l’artiste vaudoise Madeline Diener, il veut « signifier » ce que les personnes sont invitées à vivre dans ce lieu consacré à la rencontre entre religions, églises et spiritualités. Placé dans le grand salon de cette maison, il exprime de manière imagée ce que la « Charte » de l’Arzillier dit avec des mots.

 Commençons avec la Charte de l’Arzillier :

Dans notre monde beau et fragile,

riche en potentialités et pourtant écartelé

entre fidèles de différentes religions et spiritualités,

croyants et incroyants, pauvres et riches en biens ou en bonheur,

nous nous engageons

selon nos moyens, par la quête de Dieu ou de la Réalité ultime,

la recherche intérieure et l’attention au monde,

le respect de l’autre et le respect de soi,

le dialogue, l’écoute et le partage, la paix et la justice,

à construire

sans confusions de doctrines, ni pressions prosélytes,

des ponts de convivialité.

 

Et lisons-la à la lumière des quatre symboles de ce tableau :

Des figures géométriques aux formes anguleuses – presqu’agressives – et de toutes les couleurs parsèment le tableau. Elles représentent les différentes communautés de foi qui se rencontrent en ce lieu. Chacune a son identité, sa couleur à respecter. Nous ne sommes pas à l’Arzillier pour niveler, ni pour créer une « super-religion », mais d’abord pour nous connaître et nous re-connaître. Bien sûr il y a tant de choses que nous avons en commun, et nous ne manquons pas de le souligner. C’est très important de commencer une rencontre en mettant en avant les similitudes. Mais l’autre peut aussi, parfois, nous apparaître dans son étrangeté, sa singularité. Surtout quand on commence à mieux le connaître. Même des éléments qu’on croyait rassembleurs sont intégrés dans un système de pensée, où ils prennent un sens différent. Mais cela vaut la peine de s’atteler au patient labeur d’ouverture à l’autre, dans ce monde « riche en potentialité et pourtant écartelé ».

Arzillier 19960008Des ponts dorés relient les figures entre elles. « Construire sans confusions de doctrines, ni pressions prosélytes, des ponts de convivialité », dit la Charte. Construire des ponts, voici le but de cette maison. Comment construire un pont pour enjamber une vallée ? Il faut avoir au moins un pilier de chaque côté, puis aller vers l’autre côté. Pour construire un « pont de convivialité », il faut également une volonté de rejoindre l’autre, reconnaître chez l’autre ce désir de rencontre. Et que le terrain sur lequel il construit son pilier soit solide. Ce terrain ferme, j’en fais constamment l’expérience, est cette extraordinaire « règle d’or », que l’on retrouve d’une manière ou d’une autre dans les diverses religions et spiritualités. Jésus l’a formulée ainsi : « Fais à l’autre ce que tu voudrais qu’il te fasse ! » La mettre au cœur de la rencontre, la rappeler, chercher à la vivre, est une base commune solide pour construire le « vivre ensemble ». Lentement, modestement, mais sûrement la confiance se bâtit.

A chaque étape significative de l’histoire de l’Arzillier, quand des communautés se sont rapprochées, un pont a été posé entre deux figures géométriques (par exemple, à l’occasion d’une rencontre entre les responsables des différentes religions du canton de Vaud et les représentants du monde politique, ou lors de l’engagement pris par les autorités des Eglises du canton de Vaud en l’an 2000, suite à une belle célébration, ou encore lors d’un engagement pour la paix, au moment où la guerre en Irak a éclaté, etc…). En tout une dizaine de ponts ont été posés, à ce jour. Comme il y a une centaine de figures, les pontonniers du dialogue ne risquent pas de chômer !

Un fin liseré doré entoure le tableau. L’or de la miséricorde divine ! Les membres des religions monothéistes le comprennent très bien, tant la miséricorde est au cœur de chacune, même si elle prend des visages différents. Pour moi, chrétien, j’y vois le visage de Jésus, le Christ, qui l’a vécue à l’extrême en restant dans l’amour jusqu’à l’abandon. D’autres parleront de bienveillance ou de compassion, sans référence à une transcendance. Cette divine miséricorde, je le crois, est là, me précède et fait toujours le premier pas. Elle m’engage aussi à compter sur elle, à ne jamais désespérer de son aide et à recommencer toujours la rencontre, surtout lorsqu’elle a été difficile. Ce qui arrive aussi parfois dans cette maison !

Le centre du tableau est vide ! Il n’appartient à personne. Personne ne peut prendre la place du centre. Si je me place au centre, je fais graviter les autres autour de moi, ce qui rend la rencontre impossible. Il faut alors que je me décentre et accepte d’être déplacé. La rencontre est une terre sacrée où je dois ôter mes chaussures, me mettre à genoux. Considérer l’autre comme supérieur à moi-même. L’accueillir comme un don, qui a été créé pour moi, comme j’essaye d’être un don pour lui, en partageant ce qui me fait vivre.

Ce vide au cœur du tableau m’invite aussi à faire le vide de préjugés en moi pour rencontrer l’autre et grandir dans la rencontre : « Quand tu juges, tu cesses de grandir », disait avec justesse Gilbert Cesbron. Et cette possibilité de juger l’autre reste toujours actuelle, tant la critique nous est quasi-congénitale. Le défi est de passer de la confrontation à la conversation. La logique de la première est : « J’ai raison, tu as tort ». Mais la seconde dit : « Tu as tes raisons, et j’ai mes torts ». Et cela change toute l’atmosphère.

La voie et le vide.

Croix LoppianoDans une des salles de la Maison de l’Arzillier se trouve un lieu de méditation. Aucun symbole religieux n’attire le regard. Seule une peinture abstraite : un simple trait doré au milieu d’un fond rouge, œuvre aussi de Madeline Diener. Un symbole de la voie que cherche chaque religion pour rejoindre l’Ultime. Chaque jeudi, un temps de silence réunit dans ce lieu des personnes de divers horizons spirituels. Mais dans les armoires se trouvent des objets spécifiques à chaque religion. Quand j’y prie avec des chrétiens, j’aime poser sur la petite table une croix, dont la forme est obtenue par un vide taillé dans le bois. J’explique alors quel sens prend pour moi ce vide présent aucentre du tableau dont j’ai parlé, à la lumière de ma foi chrétienne.

Ce vide me rappelle celui que Jésus a dû traverser en éprouvant l’abandon par Dieu. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », s’est-il écrié sur la croix. Lui qui n’a cessé de rester dans une attitude d’ouverture envers Dieu et chaque prochain, il éprouve ici la plus terrible déréliction. Mais c’était pour remplir tout vide par la lumière de son amour et surmonter toute division. Sa résurrection le manifeste, nous disent les évangiles.

Or, c’est dans ce vide vécu par Jésus qui était toujours rempli de Dieu, que je trouve le secret pour rencontrer les autres, qu’ils soient membres d’autres religions, ou chrétiens appartenant à une autre Eglise que la mienne. Mon secret, je vous le livre donc : une prière intérieure constante au Ressuscité, afin qu’il creuse en moi ce vide d’amour qui permet d’accueillir l’autre, de l’écouter vraiment, afin de construire avec lui des « ponts de convivialité ».

Martin Hoegger


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